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Des sanctions lourdes de conséquences

Le 9 mai dernier, le président Donald Trump annonçait le retrait des États-Unis de l’accord nucléaire avec l’Iran. Trois mois plus tard, Washington vient de rétablir un premier train de sanctions contre Téhéran. Tout en menaçant les pays qui ne le suivraient pas dans cette démarche de devoir dire adieu à leurs relations commerciales avec les États-Unis. Une approche sans précédent qui aura de lourdes conséquences pour les Iraniens. Et qui met à risque la survie même de l’accord de 2015. L’impact des sanctions décrypté en cinq questions.

Quelle est la nature des sanctions annoncées hier ?

La première tranche de sanctions touche l’industrie automobile, l’aéronautique et les métaux précieux. De plus, elle bloque l’accès des Iraniens aux quelque 100 milliards de dollars qu’ils détiennent à l’extérieur du pays. Ça fera forcément mal, dans un pays qui a déjà des problèmes de liquidités, dont la monnaie s’est effondrée de 60 % depuis le début de l’année et qui n’arrive pas à payer sa fonction publique. Certains employés n’ont pas été payés depuis trois ans, signale Houchang Hassan-Yari, spécialiste du Moyen-Orient au Collège militaire royal de Kingston.

La deuxième tranche de sanctions, qui doit entrer en vigueur en novembre, sera encore plus douloureuse, croient les spécialistes : cette fois, elle ciblera les exportations pétrolières, le cœur de l’économie iranienne.

Quel sera l’impact de la première tranche de sanctions ?

En réalité, cet impact se fait déjà sentir depuis le mois de mai, de nombreuses entreprises ayant quitté l’Iran dans l’appréhension des sanctions, signale Vahid Yücesoy, doctorant au Centre d’études sur la paix et la sécurité internationales à l’Université de Montréal. Il cite le cas de la firme danoise Maersk, de la pétrolière française Total et du constructeur automobile allemand Daimler.

Résultat : l’économie iranienne, qui n’allait déjà pas très bien, a accéléré son déclin.

La suite des choses dépendra de la détermination de la communauté internationale à défier Washington et à poursuivre ses relations avec l’Iran. L’Union européenne a déjà annoncé qu’elle comptait poursuivre ses relations économiques avec Téhéran, mais les experts doutent que les entreprises européennes prennent ce risque, dans le contexte actuel.

Lundi, la cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, dans une déclaration commune avec les ministres des Affaires étrangères de l’Allemagne, de la France et du Royaume-Uni, a annoncé l’entrée en vigueur d’une loi censée protéger les entreprises européennes actives en Iran.

« Je doute très fort que les Européens sacrifient leurs intérêts aux États-Unis pour leurs intérêts en Iran, ils ont plus à gagner à écouter Trump qu’à le défier », prévoit Houchang Hassan-Yari. Le cas échéant, s’ensuivra une confrontation transatlantique qui aura forcément des répercussions sur l’économie mondiale.

Ces tensions s’accentueront en novembre, des pays comme la Chine et la Russie ayant déjà annoncé leur intention de continuer à acheter du pétrole iranien.

Comment la population iranienne réagit-elle aux sanctions ?

Un mouvement de protestation se manifeste depuis quelques jours dans plusieurs villes du pays. Mais au lieu de s’en prendre à Donald Trump, les manifestants critiquent leurs propres dirigeants, qu’ils accusent de corruption institutionnalisée et systémique, constate Houchang Hassan-Yari. « Il y a une absence absolue de confiance dans le système. »

Trois ans après la signature de l’accord nucléaire, la situation économique des Iraniens s’est dégradée au lieu de s’améliorer. Le problème, c’est que « l’argent de l’accord est allé dans les poches des proches du régime iranien », déplore Vahid Yücesoy.

Ainsi, sur les réseaux sociaux, on voit les enfants des dirigeants iraniens, incluant les plus conservateurs, faire la belle vie à l’américaine. Corruption et contradictions ont éloigné la population du régime iranien.

Certains experts croient que cette insatisfaction pourrait faire vaciller le régime. D’autres sont plus sceptiques. Chose certaine, l’administration Trump mise sur la vulnérabilité du régime dans l’épreuve de force actuelle et espère qu’elle le poussera à négocier. Le régime a déjà été obligé de reconnaître publiquement ses égarements. S’adressant à la population lundi, le président Hassan Rohani a reconnu les « faiblesses systémiques » de l’économie iranienne, signale Naysan Rafati, spécialiste de l’Iran à l’International Crisis Group.

« Pour l’instant, les protestations populaires ont forcé le gouvernement iranien à se poser quelques questions sur lui-même », note-t-il. Reste à voir si le pouvoir sera prêt à tenir compte des frustrations actuelles et à entreprendre de véritables réformes. Ou s’il optera plutôt pour la répression.

Comment la population a-t-elle réagi au discours de Rohani ?

Il y a beaucoup de scepticisme et de ressentiment sur les réseaux sociaux, signale Vahid Yücesoy. « Rohani demande au peuple d’être patient, mais les gens disent : “Ça fait 30 ans qu’on est patients !” »

À quoi peut-on s’attendre à partir de maintenant ?

L’administration Trump veut forcer Téhéran à des concessions, et il n’est pas exclu qu’elle y parvienne, quoique ses conditions soient très intransigeantes. Ainsi, l’administration Trump veut que l’Iran se retire de la Syrie, qu’il mette fin à son engagement au Yémen et qu’il cesse de soutenir le Hezbollah libanais.

Ces conditions sont difficilement acceptables pour Téhéran, mais Vahid Yücesoy n’exclut pas que Donald Trump recule sur ses demandes, pour pouvoir ensuite se positionner comme un grand négociateur et faiseur de paix, comme il l’a fait avec la Corée du Nord de Kim Jong-un.

Mais le conflit avec la communauté internationale pourrait aussi s’exacerber, notamment si l’industrie pétrolière iranienne est frappée de plein fouet par les sanctions, signale Naysan Rafati. Téhéran a déjà haussé le ton à cet égard, laissant entendre qu’il pourrait intervenir militairement dans le détroit d’Ormouz, lieu de passage du pétrole iranien. « Si nous ne pouvons pas vendre notre pétrole dans le détroit d’Ormouz, personne d’autre ne le pourra », a averti le gouvernement iranien.

Enfin, même si ce n’est pas dans son intérêt, l’Iran pourrait aller jusqu’à se retirer à son tour de l’accord nucléaire de 2015.

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