Chronique

Josiane ne sourira plus

Catherine était devant moi, mais elle n’était pas avec moi. Contrairement à son habitude, elle avait déposé son cellulaire sur la table de cuisine, à côté de sa main ; elle le consultait chaque minute.

Elle s’en était excusée. « Je pense juste à elle. »

Elle, c’est son amie Josiane Arguin. Elle s’était volatilisée depuis deux semaines déjà ; personne n’avait eu de ses nouvelles depuis le 1er septembre. « D’habitude, quand elle est dans le trouble, elle m’écrit. Elle vient chez nous le temps de se replacer, elle me raconte tout. »

Son silence était louche.

Et lourd.

Josiane n’avait pas l’habitude de disparaître sans donner de nouvelles, Catherine craignait le pire, mais elle ne comprenait pas tout à fait. C’est que Josiane semblait aller mieux ces derniers temps, le ciel semblait moins orageux qu’il l’avait déjà été. Elle avait le don, parfois, de se mettre dans le trouble.

Elle relevait la tête chaque fois.

Catherine est allée au cégep avec Josiane. Elles s’étaient liées d’amitié, elles s’étaient perdues de vue pendant un certain temps et elles s’étaient retrouvées. « C’était tellement une bonne personne. » Josiane était partie faire sa vie à Montréal ; elle revenait à Québec de temps en temps pour voir sa famille.

Quand Catherine a appris que Josiane avait disparu, elle a envoyé un message sur Messenger à son chum, Simon Brind’Amour. Elle a hésité avant de le faire, ne voulait pas s’immiscer dans sa vie. Elle n’a jamais eu de réponse.

Catherine a partagé tant qu’elle a pu l’avis de disparition rendu public par la police de Montréal le 19 septembre. Elle nous avait demandé, nous ses amis, de partager aussi, pour qu’on la retrouve au plus vite. Pour au moins savoir ce qui s’était passé. Catherine et les proches de Josiane étaient hantés par cette idée de ne pas savoir.

Et là, on a une piste.

Josiane ne serait jamais partie de chez elle le matin du 1er septembre, comme l’avait raconté Simon, qui a été arrêté vendredi avant d’être accusé de meurtre au deuxième degré et d’outrage à un cadavre. Au corps de Josiane. Selon les informations qui ont filtré, le couple se serait disputé pour une question d’argent.

Simon l’aurait frappée avec un objet.

À mort.

Il l’aurait jetée aux ordures.

Il a signalé sa disparition aux policiers deux semaines plus tard. Il a participé aux recherches. Il a même hébergé des membres de la famille de Josiane dans leur maison de l’avenue d’Anvers, dans Parc-Extension, celle-là même où il l’aurait tuée.

Sur la page Facebook de Simon Brind’Amour, on peut toujours voir le statut du 10 août 2017, « en couple avec Josiane Arguin ».

La sœur de Simon a partagé trois fois l’avis de recherche de Josiane dans les jours suivant le signalement ; elle a demandé à ses proches d’ouvrir l’œil pour retrouver la blonde de son frère. Simon ne l’aurait pas fait. Pendant que ses proches et ceux de Josiane multipliaient les appels à tous, il serait resté coi.

La semaine dernière, les policiers ont concentré leurs recherches à la résidence de l’avenue d’Anvers.

Puis ils sont allés arrêter Simon à son travail.

Catherine a eu quelques échanges avec son amie au cours de l’année. Josiane ne lui a pas parlé beaucoup de Simon, peut-être parce qu’il n’y avait rien à dire ou parce qu’elle préférait ne pas en parler. Elle lui a dit, tout au plus, que c’était un gars bien ordinaire, sans histoire.

C’est ce que les voisins disaient aussi.

Il y a quelque chose de terrifiant quand l’horreur vient de l’ordinaire. D’un banal homme de 37 ans, père de trois enfants, qui aurait pris la vie de celle qu’il disait aimer et qui, pour continuer à vivre la sienne comme si de rien n’était, aurait fait disparaître le corps et récuré le sang.

Qui aurait, jour après jour, joué le rôle de l’amoureux éploré.

Catherine, comme tous ceux qui connaissaient Josiane, n’aurait jamais pu imaginer une histoire aussi horrible. Ils ont pensé, comme le laissait présager le récit de Simon, qu’elle avait commis l’irréparable. Ou qu’elle s’était retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment avec de mauvaises personnes.

Jamais ça.

Depuis l’arrestation de Simon Brind’Amour, des voix se lèvent encore pour dénoncer la violence conjugale. Encore. Josiane, 34 ans, n’est plus. Pour elle, on voit circuler sur Facebook un bouquet de poings brandis contre cette violence qui ne cesse de faire des victimes innocentes.

Simon Brind’Amour, lui, doit revenir en cour le 3 décembre. Il devra faire face aux accusations qui pèsent contre lui.

Il devra faire face à la justice.

Et à lui-même.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.