Opinion

Just’ in peu mieux que Harper

En matière de je-m’en-foutisme environnemental, Stephen Harper était difficile à battre. Quand on lui parlait de réduire les émissions, il pensait d’abord à la programmation de Radio-Canada, dont la simple vue du logo lui donnait une crise d’urticaire.

Le gouvernement Harper, c’était une marginalisation sans précédent de l’expertise scientifique œuvrant sur l’impact de la contamination des écosystèmes par les hydrocarbures. C’était la chasse aux spécialistes des contaminants chimiques et de leurs effets sur la biodiversité, de la protection de l’habitat et de la lutte contre les changements climatiques.

C’était le massacre de l’expertise en écotoxicologie au ministère des Pêches et Océans (MPO). C’était les coups de machette à Environnement Canada, à Santé Canada, à Parcs Canada et à Statistiques Canada. C’était la disparition annoncée du programme des 58 lacs expérimentaux (RLE) du Nord-Ouest ontarien, qui, depuis un demi-siècle, permettait entre autres aux scientifiques un monitorage de l’effet des contaminants sur les écosystèmes aquatiques et ont été à la base du traité canado-américain sur les pluies acides en 1991.

La méthode Harper, c’était aussi la fermeture programmée du Laboratoire de recherche atmosphérique en environnement polaire (PEARL) dans l’île d’Ellesmere, qui est un centre d’expertise majeure sur les changements climatiques et l’étude de l’ozone stratosphérique. C’était la fermeture programmée du Laboratoire d’expertise pour l’analyse chimique aquatique (LEACA), à Sainte-Flavie. C’était l’acharnement contre des stations de lutte contre les déversements de pétrole en Colombie-Britannique. C’était une coupe drastique dans le budget de fonctionnement de l’Amundsen, ce navire amiral de la recherche canadienne sur les changements climatiques.

C’était le projet de loi omnibus C-38 qui avait transféré à l’Office national de l’énergie, étroitement lié à son bureau, la compétence première de déterminer les impacts éventuels d’un projet d’oléoduc sur les espèces menacées. C’était l’abrogation du règlement fédéral qui interdisait la circulation de navires de plus de 32 m de large sur le chenal laurentien. La méthode Harper, c’était une honteuse et rétrograde façon de faire qui a amené, en octobre 2014, quelque 815 scientifiques de 32 pays à le critiquer ouvertement pour son ingérence manifeste dans la liberté scientifique et la marginalisation de la recherche fondamentale.

La méthode Harper, c’était une décennie d’agressions idéologiques contre toutes les disciplines scientifiques auxquelles il reprochait probablement de se dresser contre l’industrie en général et celle des hydrocarbures en particulier.

La méthode Harper, c’était l’économie qui devait indiscutablement passer avant les préoccupations environnementales et l’acceptabilité sociale d’un projet. Je suis de ceux à qui cette période rappelle de très mauvais souvenirs.

Mais quand je regarde le premier ministre Trudeau aller, il m’arrive presque de m’ennuyer de la franchise de Stephen Harper. Même ceux qui, comme moi, étaient aux antipodes de sa vision sont forcés d’admettre que lorsqu’il s’agissait d’environnement, Harper avançait à visage découvert. L’environnement, ce n’était pas son truc. Ce qui n’est pas le cas de son successeur pour qui la cause environnementale semble être une préoccupation de façade. Là où Harper choisissait de tout défaire dans le silence, M. Trudeau semble avoir choisi de toujours parler sans rien faire. C’est la fameuse sagesse populaire des bottines qui ne suivent pas les babines.

M. Trudeau, c’est celui qui répète continuellement qu’il n’y a pas de contradiction à se proclamer grand chevalier de la défense de la planète bleue tout en travaillant à décupler l’exploitation des sables bitumineux.

Autrement dit, on peut en même temps tripler sa consommation déjà abusive de fast-food et être le plus en santé de la planète. Le premier ministre Trudeau, c’est cet automobiliste roulant à haute vitesse qui dit vouloir négocier un virage sans ralentir et qui finira certainement par prendre le clos. C’est celui dont la ministre de l’Environnement et du Changement climatique complètement éteinte semble nous démontrer chaque jour que même les convictions les plus profondes peuvent être corrompues par les lignes de parti et la mainmise du pouvoir économique sur le politique.

C’est celui qui, pour mystifier la population, répète sans cesse qu’on n’a pas à choisir entre l’environnement et l’exportation des ressources. Une rhétorique simpliste à laquelle on a envie de répliquer : « Mais si on ne peut choisir entre l’environnement et l’économie, il faut chercher un point d’équilibre. Entre cesser d’exploiter et vouloir décupler la production des sables bitumineux au point d’investir 4,5 milliards de l’argent des contribuables dans l’achat d’un oléoduc à l’avenir douteux, il y a un point de bascule qui s’appelle commencer par garder le statu quo. C’est la meilleure façon de préparer l’indispensable décélération qui permettra de mieux négocier le virage vers d’autres énergies moins polluantes. Être incapable de choisir entre l’économie et l’environnement, au point de vouloir multiplier par trois le flux d’hydrocarbures provenant des sables bitumineux vers le Pacifique quand l’économie canadienne va très bien à leur niveau actuel d’exploitation, c’est choisir égoïstement d’engraisser des géants là où on devrait se soucier de l’avenir de ses petits-enfants. »

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