Opinion Pascale Navarro

LA FÉDÉRATION DES FEMMES DU QUÉBEC ET LE DÉBAT SUR LA PROSTITUTION Sortons de l’impasse

Depuis des décennies, le débat sur la prostitution revient toujours dans les mêmes termes : soit on reconnaît qu’elle peut constituer un « travail » et l’on est forcément antiféministe, soit on s’oppose à cette vision et on est forcément contre les femmes qui se prostituent.

Je résume, mais c’est à peu près ça. C’est ce dont ont débattu les membres de la Fédération des femmes du Québec (FFQ) le 28 octobre dernier, pour conclure sur une série de résolutions qui reconnaissent « l’agentivité des femmes dans la prostitution/industrie du sexe incluant le consentement à leurs activités ». Cette résolution crée des remous et plusieurs organismes féministes s’y opposent, arguant qu’elle revient à légitimer ce qu’on appelle (trop nonchalamment) l’« industrie du sexe ».

Nommer les choses

Dans l’une de ses résolutions, la FFQ dit aussi souhaiter que l’on distingue les termes et les enjeux : « l’industrie du sexe, les échanges consensuels, les situations d’exploitation et la traite humaine ». Ces quatre catégories, tel que stipulé, sont en effet différentes, mais elles ont tout de même un point commun. À savoir qu’elles fonctionnent avec le même carburant, des corps qui servent à donner du plaisir et, la majorité du temps, à enrichir des souteneurs.

L’organisme dit aussi vouloir lutter « contre l’exploitation et les violences faites aux femmes dans la prostitution/industrie du sexe » et défendre « le droit de toutes les femmes à l’intégrité physique et mentale, à la dignité, à la santé et à la sécurité ».

Mais si on ne condamne pas ouvertement le système qui les rend vulnérables, comment s’en sortir ? Contre qui ou quoi défend-on les femmes exactement ?

L’éléphant dans la pièce

C’est comme si on refusait de voir cette « industrie » comme un problème, et c’est là que bien des féministes s’insurgent avec raison. Car il est documenté, et depuis des années, que la prostitution résulte d’un système économique qui broie les femmes, mais aussi des hommes et des enfants, et ce système a à voir avec l’exploitation des personnes vulnérables. Et cette dynamique se répercute dans toutes les couches sociales, où l’on trouvera toujours des gens qui usent de leurs privilèges, même parmi les moins privilégiés. C’est toute la perversité de ce système. Il faut le dénoncer.

D’un autre côté, penser la prostitution uniquement en tant que système mène aussi à une impasse : cela évite de nous poser des questions qui ont trait aux parcours personnels et psychologiques des individus. Ceux-ci, parfois, se retrouvent devant certains choix et, pour des raisons qui leur appartiennent, feront celui d’échanger leurs corps, leur sexualité contre de l’argent. Tellement de facteurs se retrouvent au cœur d’un parcours humain. Comment juger de cela ?

Libre arbitre et dignité

La position de la FFQ souhaite donc reconnaître le libre arbitre des femmes qui se prostituent. Et ce, même si ce libre arbitre est toujours soumis (pour tout le monde d’ailleurs) aux contingences économiques, mais également sociales, contingences dont fait partie la socialisation des sexes : on ne peut s’extraire de notre monde, quel que soit le sujet dont on parle. Ce que je comprends de la FFQ, c’est qu’en reconnaissant l’« agentivité » de chacune, l’organisme souhaite affirmer la dignité des femmes de « l’industrie ».

Mais l’impasse demeure, car elle fait porter aux femmes d’un camp ou de l’autre le poids d’un système (celui de la prostitution), sans que celui-ci ne soit incommodé.

Une troisième voie

Et c’est tout l’intérêt du modèle scandinave, qu’a choisi le Canada, en légiférant aussi pour que les clients soient criminalisés plutôt que les femmes qui se prostituent. En 2012, j’ai posé la question à une chercheuse suédoise (la Suède avait alors adopté ce modèle depuis 1999) et lui ai demandé ce que changeait la loi. Elle m’a répondu que bien peu d’arrestations avaient eu lieu, mais qu’en revanche, les cabinets de psychologues débordaient de travail.

Ce que ça traduit, c’est que des hommes se posent des questions sur leurs comportements et les conséquences de leurs choix. De cela, on ne débat pas beaucoup. On dira qu’on ne se mêle pas de ce qui se passe dans la chambre à coucher. Le féminisme a démontré tout le contraire, et c’est bien ce qui dérange.

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