Chronique

Barrette, la culture de l’intimidation

Gaétan Barrette, dans sa carrière publique, s’est souvent distingué, tant comme président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, que comme candidat de la CAQ et comme ministre du gouvernement Couillard, par ce que l’on pourrait appeler un populisme brutal. Depuis plusieurs mois toutefois, il semblait avoir fait preuve d’une retenue plus appropriée à sa fonction.

Mais chassez le « bully », il revient au galop. Cette semaine, le ministre Barrette s’est lancé dans une attaque franchement vulgaire contre sa vis-à-vis, la critique péquiste Diane Lamarre, pharmacienne de profession, qui a été présidente de l’Ordre des pharmaciens du Québec.

Il ne s’agit pas, dans ce cas précis, de l’un des débordements de langage hélas typiques de nos traditions parlementaires. M. Barrette n’a pas agi sous le coup de l’émotion ou dans le feu des échanges. Son intervention a été, selon des sources fiables, planifiée à l’avance. 

Le ministre n’a pas proféré d’insultes ou prononcé de gros mots. Ce qu’on peut lui reprocher, c’est plutôt d’avoir dit des faussetés et d’avoir lancé des accusations très injustes contre son adversaire politique et contre l’ensemble des pharmaciens.

Voici ce qu’il a dit entre autres : « Alors, Diane Lamarre, a été partie et a approuvé par omission un scheme pour aller chercher de l’argent dans une partie du Québec. Moi, j’appelle ça les ristournes Lamarre, et puis elle s’est servie dans le pot aux bonbons, et puis, il y a pas de problème, le pot aux biscuits, et elle avait les deux mains dedans. »

Qu’est ce qui est faux là dedans ? C’est de décrire comme un scheme, un stratagème en français, ce qui est en fait un système de rémunération des pharmaciens qui a été cautionné, encadré et encouragé par les gouvernements québécois.

Son intervention s’est déroulée avant la présentation de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires à une commission parlementaire. L’AQPP se plaint du fait que le ministre n’a pas tenu parole au terme des négociations qu’il a eues avec elle. Les pharmaciens ont été beaucoup plus pénalisés que les médecins par les politiques d’austérité du gouvernement Couillard. Les médecins ont subi un ralentissement de leurs hausses salariales, les pharmaciens ont été carrément coupés, de 170 millions. Pour compenser ce choc, le ministre avait accepté de permettre une augmentation de leurs allocations professionnelles, actuellement plafonnées à 15 %. Il ne l’a toujours pas fait. Ce qui place les pharmacies dans une position difficile, assez pour avoir des effets concrets sur leurs opérations, notamment des réductions d’heures d’ouverture.

Ces allocations sont des ristournes versées par les compagnies de médicaments génériques pour convaincre les pharmaciens de prendre leurs produits plutôt que ceux de leurs concurrents. Cela n’a aucun effet sur les patients, puisqu’il s’agit exactement des mêmes molécules. Mais il n’en reste pas moins que la pratique est inélégante. Pourquoi le gouvernement l’a-t-il acceptée, en la limitant à 15 % et en imposant que les sommes soient affectées aux services aux patients ? Parce que cela lui permettait de payer les pharmaciens moins cher.

Cela a eu une autre conséquence. Comme les honoraires payés aux pharmaciens par l’État pour les Québécois couverts par le régime d’assurance-médicaments public ont été gelés et sont plus bas qu’ailleurs au Canada, les pharmaciens, depuis le début du régime, chargent plus cher aux compagnies d’assurance qui couvrent les autres citoyens. Il y a de l’interfinancement qui pénalise ceux qui ont des assurances privées.

Tout cela donne un système archaïque et confus. Cependant, il n’y a pas de stratagème, mais plutôt les conséquences des politiques de rémunération gouvernementale. Il n’y a pas de « pot aux bonbons » où l’on plonge les mains. Il n’y a pas de scandale que Mme Lamarre aurait cautionné comme présidente de son ordre professionnel.

Dans des excuses qui n’en sont pas, le ministre a ajouté : « Il n'en reste pas moins que tout ce que j'ai dit hier a été confirmé par les principaux intéressés. » Une autre malhonnêteté, parce que ce système est connu, documenté, mesuré.

Mais pourquoi cette sortie mesquine ? Une tentative d’intimidation pour remettre à sa place Mme Lamarre, qui le critique à l’Assemblée nationale? Son agacement sur les critiques qui fusent au sujet du droit à l’incorporation des médecins, où il patauge évidemment dans les conflits d’intérêts ? Une hargne viscérale d’un médecin traditionnel à l’égard des pharmaciens ?

Ce qui est clair c’est que non seulement il attaque Mme Lamarre, mais il attaque aussi l’ensemble des pharmaciens. Ceux-ci constituent un élément essentiel de la première ligne de notre système de santé, et il est tout à fait inadmissible que le ministre les insulte de cette façon. Et je n’arrive pas à voir comment M. Barrette, après les énormités qu’il a proférées, peut avoir le détachement et le jugement nécessaires pour prendre des décisions éclairées dans le dossier si important des pharmacies.

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