Analyse

RIP DavidsTea

Herschel Segal a repris le contrôle du conseil d’administration de DavidsTea et savez-vous quoi ? Ça ne changera rien à la réalité : ce n’est pas la direction, le problème, mais le modèle d’affaires. La société DavidsTea est condamnée à vivre une longue phase terminale. Au lieu de répondre à une demande, on a tenté de la créer. On a voulu copier le marché du café : imposer le thé comme produit haut de gamme au quotidien des Américains. L’Amérique n’est peut-être pas prête à faire vivre un Starbucks du thé.

Le consommateur ne semble pas voir suffisamment la valeur du produit pour accepter la prime sur le prix demandée par DavidsTea. Surtout, veut-il payer autant de coûts fixes au niveau de la distribution pour un produit majoritairement en vrac et à consommer à la maison ?

Les états financiers parlent d’eux-mêmes

Jacques Fortin, professeur retraité de HEC Montréal, le mentionnait souvent dans ses cours : consulter un rapport annuel, c’est comme lire une histoire. L’histoire de DavidsTea est dans ses états financiers. Les résultats annuels de 2016 à 2018 nous montrent que la marge brute est passée de 52,8 % à 50,2 % pour finalement descendre à 47,9 % en 2018. Le récit est simple : on a augmenté le volume du chiffre d’affaires avec les points de vente supplémentaires. Par contre, on a dû faire moins de marge pour réussir à vendre les stocks. En 2017 et 2018, la marge opérationnelle a même été négative, si bien qu’en 2018, on a généré une perte d’exploitation de 24,7 millions et une perte nette de 28,5 millions.

La « réali-thé » ? La consommation de thé est en croissance dans le marché, mais au-delà du marché du cadeau ou de l’achat spontané, l’achat de thé en vrac peut se faire à l’épicerie pour une fraction du prix. 

D’ailleurs, l’offre en épicerie s’améliore tellement que des produits plus haut de gamme en vrac viennent jouer dans les platebandes des traditionnels thés en sachets. Starbucks a eu le bon réflexe, c’est-à-dire mettre à mort les boutiques Teavana pour en intégrer les produits dans ses points de vente de café où la rentabilité est déjà démontrée. En 2017, on annonçait la fermeture de 379 boutiques Teavana.

Le titre de DavidsTea a perdu 42 % en Bourse depuis un an. Qui plus est, le titre a perdu 87 % de sa valeur boursière depuis son entrée sur la Bourse NASDAQ en 2015. En trois ans, le NASDAQ est passé d’une valeur autour de 5000 points à environ 7673 points : une hausse de plus de 50 %. C’est dire à quel point l’investissement dans DavidsTea s’est avéré un coût de renonciation énorme pour les investisseurs.

Aucun culte du barista

Ce qui nous attire au café du coin, c’est la machine de 240 volts qu’il serait impossible de posséder à la maison pour des raisons financières. Le café à 4 $ a donc une plus-value importante. On s’attache au barista, on le regarde accomplir le rite du lait dans le café latté, on goûte la différence. Tout cela génère un attachement à la marque, au lieu et aux produits. Commander un thé à 4 $ chez DavidsTea, c’est voir un employé verser de l’eau chaude dans une tasse. Rien de magique, rien de spectaculaire, rien d’inaccessible à la maison. DavidsTea n’a pas de barista ni d’équipement qui incitent le consommateur à entrer quotidiennement dans une boutique. 

Le café a réussi ce tour de force : créer une fréquence, une habitude et une fidélisation quotidienne de la clientèle.

La place de DavidsTea était peut-être en épicerie ou dans un nombre limité de boutiques. Je me suis toujours dit que le modèle d’affaires du thé était de le faire vendre par les autres. Avoir quelques boutiques phares et signer des partenariats avec un réseau de distribution (restaurants, boutiques, épiceries, etc.) est peut-être une stratégie moins spectaculaire, mais moins lourde sur les finances que des baux dans les centres commerciaux. C’est d’ailleurs ce que Camellia Sinensis a bien compris : une croissance organique et lente est peut-être un modèle d’affaires plus logique à long terme. Parce que dans le marché du thé, il faut aussi laisser le temps au client d’infuser au lieu de l’ébouillanter à coup d’éclairage et de turquoise. Repose en paix, DavidsTea.

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