Égalité hommes-femmes

Les filles se croient moins brillantes que les garçons

« Les filles sont plus intelligentes. On dit que leurs cerveaux sont mieux que ceux des garçons, parce que les filles savent plus de choses. C’est fait comme ça, la vie ! »

Isaac Fontaine, 7 ans, est un original. Peut-être même un féministe qui s’ignore ! Car en première année, les deux tiers des écoliers – garçons ou filles – associent plutôt l’intelligence exceptionnelle aux hommes.

Pour les filles, ce réflexe est dévastateur. Car il leur enlève tout net l’envie de participer à un jeu « destiné aux enfants vraiment, vraiment intelligents ». Même si elles sont convaincues que ce sont les femmes qui décrochent les meilleurs résultats scolaires.

Cette réalité surprenante vient d’être exposée dans le prestigieux journal Science. « Entendre les filles dire : “Ça, ce n’est pas un jeu pour moi” était déprimant », affirme l’auteure principale de l’étude, Lin Bian, chercheuse en psychologie à l’Université de l’Illinois.

« Il y a clairement une influence sociale. Six ou sept ans, c’est l’âge où on devient plus conscient de l’image que les autres ont de nous. Quelque chose pousse les filles à ne pas accorder de poids à leurs bonnes notes. »

Dès le début de leur parcours, la majorité d’entre elles commence donc à se priver de certaines expériences, ce qui finit par faire boule de neige et les désavantager.

Selon une étude antérieure, publiée elle aussi dans Science, le fossé est rendu immense au stade universitaire. La présence des femmes dans les diverses disciplines est alors inversement proportionnelle à la croyance qu’y réussir exige une « aptitude spéciale qui ne s’apprend pas », plutôt que des efforts et de bonnes notes.

Au Québec

Au Québec, exactement comme aux États-Unis, les domaines de grande abstraction et d’érudition comme la physique ou la philosophie accueillent généralement eux aussi moins de femmes.

23 %

Proportion des étudiants aux études supérieures de physique à Montréal qui sont des femmes

32 %

Proportion des étudiants aux études supérieures de philosophie à Montréal qui sont des femmes

60 %

Proportion des étudiants en médecine à Montréal qui sont des femmes

Sources : Université McGill, Université de Montréal, Maclean’s

Mais de vieux stéréotypes s’estompent chez les élèves québécois. « D’après mes recherches, au primaire et au secondaire, les filles perçoivent majoritairement les mathématiques comme une discipline féminine, et les garçons, comme une discipline neutre. C’est un beau progrès », expose Isabelle Plante, professeure au département d’éducation et formation spécialisées de l’UQAM.

Ce revirement ne signifie pas que les filles québécoises se croient désormais aussi douées que les garçons, nuance-t-elle. « Ce que mesure l’étude de Science – les perceptions relatives à l’intelligence globale, à la brillance –, c’est très nouveau. »

En classe, les enseignants observent encore des attitudes tenaces. « Les filles sont sûres de leurs connaissances, alors elles sont à l’aise dans tout ce qui est académique. Mais quand il faut un peu plus oser, s’exprimer sur un sujet, les garçons sont plus campés dans leurs idées et les enterrent un peu », constate Sarah Valiquette, qui enseigne en troisième année dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, à Montréal.

« Dans ma classe, on discute tous les matins pour que les murs tombent, que les élèves s’habituent et voient que ce n’est pas grave de se tromper. »

Plus de surdoués ?

De nos jours encore, les études sur l’« intelligence perçue » révèlent un net biais en faveur des garçons, indique la psychologue britannique Josephine Storek, spécialiste du sujet à University College London, avec son ancien professeur Adrian Furnham.

Presque partout dans le monde, les participants attribuent une plus grande intelligence à leur père qu’à leur mère. Les parents trouvent leurs fils plus intelligents que leurs filles. Et les hommes invités à estimer leur propre intelligence se prêtent un quotient intellectuel nettement plus élevé que les femmes ne le font.

« Dans certains cas, ils s’attribuaient en moyenne 20 points de plus que les femmes, alors qu’il est établi que l’écart réel est négligeable », souligne la Dre Storek.

Ses études expérimentales montrent que ce ne sont pas les femmes qui sous-estiment leur QI par excès de modestie, mais plutôt les hommes qui surestiment le leur, ce qui leur procure un net avantage (plus de détails à l’onglet 4).

En 2005, le président de l’Université Harvard, Lawrence Summers, a plutôt avancé que la rareté des femmes en sciences pourrait s’expliquer par une plus forte proportion d’hommes parmi les gens surdoués. Car ceux-ci sont trois fois plus nombreux que les filles à décrocher des résultats exceptionnels en mathématiques (dans le premier dix millièmes) lors des examens standardisés d’entrée à l’université (SAT).

Ce discours a provoqué sa démission, mais sa vision est assez partagée. « Plusieurs enseignants affirment qu’on trouve vraiment beaucoup de garçons dans le tiers inférieur de la classe, mais que le petit surdoué des mathématiques est généralement un garçon », rapporte Isabelle Plante.

« Intelligent comme papa »

Depuis la conférence controversée de Summers, la proportion de filles qui excellent aux SAT de mathématiques a légèrement augmenté (elle avait déjà quintuplé entre 1980 et 1990). Et les chercheurs ayant relevé ce progrès l’attribuent aux nouveaux efforts pour changer les préjugés des enseignants.

Alors, quels rôles jouent précisément la biologie et l’environnement ? « C’est très délicat de se prononcer, car la plupart des discours sur cette question ne sont pas neutres, voire sont très idéologiques », répond Serge Larivée, professeur de psychoéducation et chercheur sur l’intelligence à l’Université de Montréal.

On sait à tout le moins qu’en situation d’examen, la crainte de confirmer des préjugés relatifs à son groupe nuit. « On appelle ça la menace du stéréotype. Ça crée un sentiment d’anxiété qui te fait perde tes moyens », explique Isabelle Plante.

Des dizaines d’études ont montré qu’on pouvait activer ou désactiver cet état d’esprit – et ainsi influencer la performance des sujets – simplement en donnant des directives qui renforcent ou nient les idées reçues.

Au quotidien, toutefois, les clichés priment encore. Des pyjamas pour bébé affichent « intelligent comme papa » et « belle comme maman ». Au Royaume-Uni, GAP a coiffé des mots « petit savant » la photo d’un garçon portant un t-shirt d’Albert Einstein, et des mots « petite sociable » la photo d’une fillette.

« Toute la production culturelle réitère que les grands scientifiques, les grands intellectuels et les grands commentateurs de l’actualité sont des hommes. C’est la répétition constante du même modèle », dénonce Hélène Charron, chercheuse au Conseil du statut de la femme.

Brandir des modèles de femmes qui s’illustrent pourrait reprogrammer les fillettes, en les vaccinant contre le discours ambiant, suggère Josephine Storek. « Il faut commencer très tôt à leur montrer les réussites de femmes et à les célébrer. Aujourd’hui, avec les médias sociaux, les choses peuvent vraiment commencer à changer. »

Deviner les enfants grâce aux histoires

Pour découvrir ce que pensent les enfants – sans toujours le dire –, les auteurs de l’étude publiée dans Science ont raconté de courtes histoires à 240 petits cobayes. L’une mettait en scène « une personne vraiment, vraiment intelligente », qui comprend et répond « beaucoup plus vite que n’importe qui d’autre ». Les écoliers devaient deviner si ce héros était un homme ou une femme.

À 5 ans, environ 65 % des filles et des garçons présumaient que le personnage surdoué était du même sexe qu’eux. Les deux groupes affichaient par ailleurs la même envie d’essayer un jeu fictif, qu’on leur disait « destiné aux enfants vraiment, vraiment intelligents ».

Mais à 6 ou 7 ans, les filles étaient aussi portées que leurs camarades masculins à associer la brillance aux garçons (à 60 % contre 64 %). Elles se détournaient ainsi du jeu nécessitant d’en faire preuve, alors qu’elles demeuraient tout aussi intéressées que les garçons par un autre jeu fictif, qu’on leur disait « destiné aux enfants qui travaillent vraiment, vraiment fort ».

Les pourcentages rapportés ici ne figurent pas dans Science ; ils nous ont été fournis par l’auteure de l’étude.

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