Opinion : Europe

La réalité attend les partisans du Brexit au détour

Après plusieurs mois d’attente, nous avons enfin eu droit au plan pour le Brexit de Theresa May. La Grande-Bretagne va de l’avant avec une sortie totale et complète de l’Union européenne. Mme May ne cherchera pas à maintenir son pays dans le marché unique. Elle fera tout pour s’assurer que la Grande-Bretagne ne soit plus sous la férule de la Cour de justice européenne et de la libre circulation de la population. Ce choix est le résultat d’un réalignement idéologique majeur. Du coup, ce réalignement camoufle les conséquences les plus graves de cette sortie.

Le rejet de l’autre

La Grande-Bretagne se joint aux autres États qui effectuent un réalignement idéologique sur un axe différent de celui de la gauche et de la droite. Ce nouvel axe se décline en ouverture et en fermeture vers l’autre. Ce nouveau référent idéologique restructure les positions politiques autour d’une question si différente qu’elle ne peut pas être incluse sur l’axe précédent.

L’orientation choisie par le gouvernement fait que le contrôle de l’immigration est maintenant LA politique phare de celui-ci.

Elle supplante toutes les autres considérations. Dans le cas britannique, cela amène le gouvernement à prendre la position de fermeture à l’autre. Peu importe les coûts que cela pourrait occasionner à la population britannique, l’important c’est de sceller les frontières et d’avoir un contrôle souverain sur l’acceptation ou le rejet de l’autre.

L’écran de fumée

Il serait très surprenant que cette orientation mène la Grande-Bretagne sur le chemin de la prospérité, et ce pour trois raisons. De un, avec le vieillissement de la population il sera intéressant de voir comment la croissance pourra s’activer sans l’afflux nécessaire de main-d’œuvre et d’expertise externe.

De deux, Mme May se trompe gravement si elle croit qu’elle pourra relancer l’économie britannique à l’aide d’un nouveau traité de libre-échange avec les États-Unis. M. Trump, autoproclamé le meilleur négociateur de la planète, ne fera pas de cadeaux à la Grande-Bretagne. Après sa sortie complète de l’Union européenne, la Grande-Bretagne sera en position de faiblesse. Il y a fort à parier que Trump voudra profiter de cette proie facile pour en soutirer le plus qu’il peut.

De trois, la menace du gouvernement britannique de créer un paradis fiscal et de créer une prospérité digne de Singapour si l’Union européenne décide de punir le pays laisse perplexe. L’économie de Singapour est parmi les plus inégalitaires au monde selon son coefficient Gini, mais elle repose également sur des centaines de milliers de travailleurs étrangers sous-payés. Cela me semble un projet politique peu enviable, mais aussi en contradiction directe avec la raison pour laquelle la Grande-Bretagne veut quitter l’Union européenne.

L’excès de confiance

Il faut reconnaître la mission ingrate dont Mme May a hérité. On attend d’elle qu’elle négocie pour le beurre et l’argent du beurre. Elle doit négocier la sortie sans perdre trop au change. Elle doit obtenir l’assentiment du Parlement anglais. Elle doit ménager et rassurer l’Irlande du Nord et l’Écosse. Elle doit obtenir la bénédiction de la City et de ses financiers. Ces promesses sont si invraisemblables qu’elles seraient loufoques si Donald Trump ne s’était pas fait élire en novembre sur une trame semblable.

Le gouvernement et le camp pro-Brexit semblent souffrir d’un excès de confiance. Après la victoire-surprise du référendum de juin dernier, c’est l’écroulement économique prédit par tant d’analystes qui ne s’est pas matérialisé. Après cette série de deux victoires, ils semblent être convaincus qu’ils seront capables de mener le projet de sortie de l’Union européenne tout à leur avantage. Une fois que le voile sera levé sur les conséquences de la sortie, la réalité ne reviendra que trop rapidement au galop.

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