Sel, gras et sucre

Santé Canada maintient la ligne dure en matière d’affichage

Santé Canada a dévoilé hier les logos choisis pour être apposés sur le devant des emballages des aliments trop gras, salés ou sucrés, malgré des pressions exercées par l’industrie alimentaire qui a fait connaître ses nombreuses réserves. 

« C’est une étape importante pour l’amélioration de la santé des Canadiens », s’est félicité Ian Culbert, directeur de l’Association canadienne de santé publique, en voyant quels symboles ont été retenus pour cette initiative. 

Quatre logos ont été présentés au grand public. Après une période de consultations publiques, il n’en restera qu’un, le même pour tout le monde. Tous les aliments transformés trop salés, sucrés ou riches en gras saturés devront l’afficher sur le devant de leur emballage. Pour entrer dans cette catégorie peu enviable, un produit devra atteindre, ou dépasser, 15 % de la valeur quotidienne recommandée en une seule portion, que ce soit en gras saturés, en sel ou en sucre. Pour les repas préemballés, le seuil est de 30 % de la valeur quotidienne. 

Santé Canada avait annoncé son intention d’imposer le logo il y a un peu plus d’un an. Depuis, des représentants du ministère fédéral ont rencontré beaucoup de gens impliqués dans le dossier, autant du côté de la santé publique que de l’industrie. 

Unilever Canada, à qui l’on doit la mayonnaise Hellmann’s, les thés glacés Pure Leaf et la margarine Becel, a eu droit à deux rencontres pour discuter des options relatives à cet étiquetage obligatoire. A aussi eu droit à une rencontre privée l’Association canadienne des boissons, qui fait la promotion des boissons gazeuses, sportives, des jus et autres eaux aromatisées. 

Dans une lettre adressée à Santé Canada l’automne dernier, l’Association dit regretter le manque de dialogue avec l’industrie dans ce processus et n’approuve pas les logos choisis par Santé Canada. 

Les fabricants de jus et de boissons gazeuses ont aussi présenté un sondage concluant que les Canadiens estiment être déjà suffisamment informés sur la teneur en sel, sucre et gras des aliments qu’ils consomment. Cela n’a pas convaincu Santé Canada de faire marche arrière. 

« Il y a eu beaucoup de pression », confirme Ian Culbert, dont l’organisme a aussi participé au processus.

« Ça fait 18 mois qu’on parle de notre stratégie en matière de saine alimentation. L’étiquetage en fait partie. Ce n’est pas une surprise pour l’industrie. Nous allons de l’avant. »

— Ginette Petitpas Taylor, ministre de la Santé

« L’industrie a eu très peu d’occasions d’échanger avec Santé Canada sur le développement des propositions de l’affichage sur le devant du paquet », déplore tout de même le groupe Produits alimentaires et de consommation du Canada, qui représente des géants tels Starbucks, Kraft Heinz, PepsiCo, Nestlé, Campbell’s et Danone. Dans une lettre adressée à la sous-ministre déléguée Christine Donoghue, le groupe se plaint que Santé Canada ne soit pas ouvert à d’autres logos que les siens. 

Changer de recette 

Ian Culbert voit les choses différemment. « Pour certains fabricants, c’est une excellente occasion d’améliorer leurs recettes, calcule le directeur de l’Association canadienne de santé publique. Et ce serait une excellente nouvelle pour les Canadiens, si certains décidaient de le faire. » 

Et ils auront le temps de changer de recette : Santé Canada accorde un délai de cinq ans aux fabricants pour revoir leurs emballages. L’emplacement et la taille du symbole sur l’emballage sont prédéterminés. 

Corinne Voyer, directrice de la Coalition poids, aimerait qu’on aille plus loin encore et qu’on empêche l’industrie de faire ses propres allégations nutritionnelles sur le devant de ses produits, pour laisser toute la place à de l’information indépendante. 

La coalition québécoise accueille néanmoins favorablement l’annonce faite hier par la ministre de la Santé, Ginette Petitpas Taylor. « Nous sommes très contents de voir que Santé Canada a maintenu sa ligne de départ, malgré le lobby, affirme Corinne Voyer. La santé des Canadiens est passée avant des préoccupations économiques, et Santé Canada a assumé pleinement son rôle. » 

Le Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ) a aussi accueilli positivement l’annonce et donne son appui au logo avec la loupe. Mais il émet quelques réserves. Le groupe d’industriels québécois avait demandé un projet-pilote, une option qui n’a pas été retenue. 

« Nous aurions aussi aimé avoir plus de données scientifiques pour expliquer cette moyenne de 15 % pour les trois nutriments », dit Christine Jean, vice-présidente, services techniques et réglementaires, au CTAQ. 

Y aura-t-il des exceptions ? 

Oui. Les aliments qui n’ont pas de tableau de valeur nutritive, les viandes crues, par exemple, n’auront pas à afficher le logo. Le sucre, le sel, le miel et le sirop d’érable sont exemptés. Les aliments qui ont « un effet protecteur », comme les fruits et légumes et la plupart des huiles végétales, n’auront pas à porter le logo non plus. Tout comme le lait. Ce n’est pas suffisant pour les Producteurs laitiers du Canada, qui n’ont pas attendu l’annonce d’hier pour demander que leurs produits soient exclus de la nouvelle règle. Dans une lettre du 10 octobre 2017, le groupe avertit Santé Canada qu’il est favorable à l’affichage sur le devant de l’emballage si les « produits laitiers nutritifs » ont une exemption. Le fromage doit avoir une exemption pour le sodium, disent-ils, et les sucres naturels et ajoutés doivent être distingués dans le yogourt. Le groupe déplore aussi le manque de nuance des symboles. « Des produits ne peuvent pas être diabolisés ou caractérisés de malsains simplement en se basant sur leur teneur en sodium, sucre ou gras saturés », écrit la nutritionniste Isabelle Neiderer, porte-parole des Producteurs laitiers du Canada, dans une lettre au sous-ministre Pierre Sabourin.

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