Opinion

Réformons l’école pour préparer nos élèves aux défis du XXIe siècle

Salluit, avril 2023. La petite Sakari, seule élève de deuxième secondaire de son école, fait ses devoirs de mathématique. Comme plusieurs de ses compagnons québécois, elle éprouve des difficultés ponctuelles en algèbre.

Grâce à une plateforme de tutorat intelligent, elle est jumelée avec un élève de Shawinigan qui, lui, maîtrise bien cette notion. Différents commentaires déjà formulés permettent au tuteur d’aiguiller Sakari vers une meilleure compréhension de la matière pour ainsi résoudre le problème mathématique.

Avril 2023, Montréal. Le petit Olivier traverse la rue en courant derrière son ballon pour le récupérer. Au même instant, une voiture autonome roule en direction du petit et cette dernière doit faire un « choix » : frapper l’enfant ou dévier de sa route pour l’éviter et ainsi entrer en collision avec la voiture venant en sens inverse. Programmée pour choisir la solution qui fera le moins de victimes, la voiture fait le « choix » difficile qui lui est imposé par son algorithme : elle ne dévie pas de sa route, sauvant ainsi quatre autres vies.

Nous sommes à cinq années de ces deux scénarios, parfaitement réalistes. D’ici là, des plateformes de tutorat ainsi que des véhicules faisant appel à l’intelligence artificielle feront partie de notre quotidien et de celui des jeunes qui se trouvent présentement dans nos écoles. Et pourtant, préparons-nous, dans nos classes, ces jeunes à faire face aux défis technologiques et éthiques qui les attendent ?

Une école dépassée !

Les chercheurs ne s’entendent pas à propos des origines de l’école actuelle. Certains la font remonter jusqu’à la fin du XVIIe siècle, alors que d’autres font des liens avec la Révolution industrielle pour expliquer l’organisation des systèmes scolaires occidentaux. 

Si, certes, le tableau vert a été remplacé par un tableau blanc avec projecteur, force est d’admettre que l’école de nos enfants ressemble drôlement à celle de nos arrière-grands-parents ! Pourtant, nous sommes au XXIe siècle, faut-il se le rappeler. Et l’école, à qui on confie le mandat de créer les leaders de demain, tarde à faire entrer en ses murs les technologies numériques, laissant ainsi les jeunes avec l’impression que ces outils ne leur servent principalement que pour du divertissement.

Pourtant, nous sommes aux balbutiements de l’intelligence artificielle et des voitures autonomes. Beaucoup reste à faire et l’école se doit de préparer les élèves aux défis de demain. 

Si nous sommes déjà capables de construire des robots « intelligents », alors pourquoi continuons-nous à utiliser des approches pédagogiques qui confèrent aux savoirs une place trop grande au détriment de compétences qui sont déjà essentielles ? 

Une place qui ne tient d’ailleurs pas compte des outils qui sont maintenant à notre portée pour rendre justement ces mêmes savoirs plus accessibles ?

Du côté des pratiques enseignantes, nous comprenons certaines appréhensions : les nouvelles technologies peuvent amener une éventuelle automatisation de certaines démarches de la pratique enseignante. Il n’est pas rare d’entendre des collègues maudire ces technologies et de prédire le pire scénario, soit celui de se faire remplacer par les mêmes robots qu’ils tentent d’ignorer. N’y a-t-il pas moyen d’apprivoiser ces technologies pour augmenter et complémenter nos pratiques professionnelles dans nos écoles et ainsi se centrer sur ce qui ne pourra jamais être accompli par un robot ? On parle ici, entre autres, d’empathie, de bienveillance, de jugement critique, de métacognition, de flexibilité, d’adaptativité et d’expérience.

Les compétences du XXIe siècle

Sans connaître la nature exacte des défis que nos élèves devront relever dans leur vie citoyenne et leur vie professionnelle, nous pouvons néanmoins conclure que certaines compétences à développer seront incontournables, notamment le développement de la pensée critique, de la pensée informatique, de la créativité et de la collaboration. 

En effet, afin de faire face aux problématiques complexes du siècle actuel, les élèves n’auront d’autres choix que d’explorer d’autres avenues qu’on commence à peine à explorer et ils devront le faire ensemble avec une nouvelle conscience planétaire, en symbiose, en co-création, sans égard aux frontières. Ils devront mobiliser les meilleurs outils pour y parvenir et, dans bien des cas, puisqu’ils n’existent toujours pas, ils devront les inventer. 

C’est dans cette perspective que le développement des pensées critique et informatique devraient désormais être le cœur de l’apprentissage dans nos écoles. 

En ce sens, les activités de programmation créative et de robotique pédagogique, ainsi que celles faisant appel à l’éthique, à la critique et à l’argumentaire devraient être privilégiées dans nos classes.

Nos jeunes devront donc apprendre non seulement à créer des outils numériques où l’intelligence artificielle aura un rôle de plus en plus important, mais surtout, ils devront réfléchir à leur portée éthique. 

Dans le cas de la petite Sakari, il sera question de bien comprendre, entre autres, les enjeux liés à la vie privée et ceux entourant les métadonnées pour en encadrer leur utilisation en mesurant l’équilibre entre la divulgation d’une certaine quantité d’informations personnelles et les gains envisageables pour l’individu. 

Dans le cas impliquant la voiture autonome, il s’agira d’établir les enjeux éthiques : doit-on privilégier la protection des passagers de la voiture à tout prix, et ce, au détriment de la sécurité des citoyens qui se trouvent autour de ladite voiture ? Doit-on nécessairement viser le moins de victimes ? La vie d’un enfant a-t-elle plus de valeur que celle d’un adulte ? De celle de deux adultes qui peuvent être sauvés ?

Voilà ce à quoi nos élèves doivent être préparés. Voilà des exemples des compétences qui doivent impérativement être développées par les élèves pendant leur séjour dans nos écoles primaires et secondaires. 

Nos jeunes doivent être davantage préparés à jouer leur rôle de citoyen, déjà même avant qu’ils ne soient diplômés de nos écoles secondaires. Par exemple, les employeurs se plaignent souvent du contraire et, souvent, les élèves eux-mêmes font le constat d’être mal outillés devant les défis qui les attendent. Ils sont préparés pour faire face à des défis d’un autre temps, ce qui n’est rien de très rassurant pour eux qui, en un certain sens, ont le sort de Sakari et d’Olivier entre leurs mains !

* Cosignataires du collège Beaubois : Jean-François Houle, Chantal Rivard et Amy Tran

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