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LA MARQUE DE COMMERCE BARRETTE

Le ministre de la Santé ne laisse personne indifférent. Sa façon de faire, mais surtout sa manière de s’exprimer et de répondre à ses critiques ont inspiré nos deux chroniqueurs.

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Complexe de supériorité

La politique étant une science inexacte, il est toujours risqué de faire des généralisations, mais j’en risque tout de même une, basée sur deux décennies de couverture de ce milieu : ce ne sont pas les gaffes, les erreurs ou les dérapages des élus qui indisposent le plus le bon peuple, c’est leur incapacité chronique à faire amende honorable.

Cela doit tenir à nos traditions judéo-chrétiennes, mais il est vrai qu’une faute avouée est, généralement, à demi pardonnée. Pour les boulettes de bonne foi, on est même prêt à effacer l’ardoise tant nous sommes bonne pâte.

Pour les multirécidivistes du coup de gueule tonitruant, par contre, le pardon est conditionnel à une sincère contrition, un mot apparemment absent du riche vocabulaire du ministre de la Santé, Gaétan Barrette. Celui-ci manie pourtant les mots avec plaisir et les transforme régulièrement en arme d’insinuation massive contre ses adversaires et détracteurs.

À plusieurs reprises, dimanche soir sur le plateau de Tout le monde en parle, on a offert à Gaétan Barrette l’ouverture parfaite pour présenter ses excuses à la députée péquiste, Diane Lamarre, qu’il rudoie verbalement depuis des mois. Que nenni ! Le bon docteur Barrette n’a pas bronché, préférant devenir – c’était prévisible – le « punching bag » de ce plateau hostile plutôt que de faire amende honorable.

Il est vrai qu’avant de présenter des excuses, il faut d’abord reconnaître ses torts, ce qui, de toute évidence, est inconcevable pour le ministre de la Santé.

En sortant de Radio-Canada, jeudi soir (après l’enregistrement de TLMEP), M. Barrette est probablement rentré chez lui l’âme en paix, convaincu d’avoir raison, encore fois. Les centaines de milliers de personnes qui l’ont vu à TLMEP auront plutôt éteint leur téléviseur convaincus que le ministre de la Santé est têtu, condescendant et même un brin méprisant. Peut-être même un brin sexiste et souffrant vraisemblablement d’un complexe de supériorité.

M. Barrette a, de plus, fait la preuve que ce n’est pas parce qu’on perd beaucoup de poids qu’on devient nécessairement moins lourd. C’est embêtant pour Philippe Couillard, qui veut nous présenter son gouvernement sous une nouvelle image, plus jeune, plus optimiste, plus ouvert aux femmes. Disons que Gaétan Barrette n’est pas le meilleur ambassadeur de ce renouveau.

À force de taper sur sa critique, il en a fait une martyre, et entre un bourreau et sa victime, pas bien difficile de savoir qui obtiendra la sympathie du public. Remarquez, la sympathie du public, M. Barrette s’en fout. « Le docteur Barrette n’est pas fin et il ne fait aucun effort pour être fin », m’a confié l’autre jour un de ses collègues du Conseil des ministres. « Avec lui, ça marche toujours à coup de va-chier-pis-mange-de-la-marde », me disait par ailleurs récemment une médecin qui a dû côtoyer M. Barrette lorsqu’il était président de la Fédération des médecins spécialistes.

Son affrontement épique avec ses collègues du département de radiologie de Maisonneuve-Rosemont, raconté dans le détail dans un jugement de la Cour supérieure (dans lequel sa femme a été déboutée), dépeint aussi assez justement le personnage. À lire les expressions « ma gang de crisses » et autres délicatesses recensées dans ce jugement, on pourrait même conclure que le docteur Barrette a raffiné son répertoire d’insultes depuis qu’il est devenu ministre.

Lors de son entrée au gouvernement Couillard, la théorie dominante voulait qu’il fallait, justement, un « bully » pour mettre de l’ordre dans le réseau de la santé. On constate, deux ans plus tard, qu’il mène effectivement des réformes majeures, mais s’il est très dur envers ses détracteurs, le ministre Barrette est plutôt complaisant (et généreux !) avec les médecins. Ça aussi, c’est devenu embêtant pour le gouvernement Couillard.

Selon M. Barrette, la « virulence est la marque de commerce de la vie parlementaire », comme il l’a dit à TLMEP. En médecine, selon mon dico Antidote, la virulence « possède un pouvoir pathogène intense ».

Je crois que M. Barrette confond fougue et virulence, confiance et arrogance, assurance et complaisance, au point où il donne clairement l’impression d’être au-dessus de tout le monde et de ne pas considérer Mme Lamarre comme son égal.

Si elle le dérange à ce point, c’est qu’elle a mis le doigt sur son plus gros bobo : il est incapable de prendre la critique. À défaut d’argument, reste les attaques, les insinuations et parfois même la calomnie.

Cette attitude fait des petits, d’ailleurs, au sein du gouvernement Couillard, qui est de plus en plus allergique à la critique. C’est peut-être ce qui explique pourquoi le premier ministre ne rappelle pas son ministre de la Santé à l’ordre.

À moins que M. Couillard, comme bien du monde, ait peur de Gaétan Barrette et de son tempérament orageux. Ou à moins qu’il le laisse « caler » dans les sables mouvants du mépris, sachant que cela minera à coup sûr de possibles ambitions à être un jour calife à la place du calife.

Peut-être aussi que ça fait l’affaire de Philippe Couillard de voir un subalterne faire les jobs de bras à l’opposition. Tous les premiers ministres aiment bien avoir un mitrailleur posté en embuscade. Jean Chrétien avait Denis Coderre ; Stephen Harper avait Pierre Poilievre ; Jean Charest avait Jean-Marc Fournier.

Peu importe ses raisons, le premier ministre Couillard se rend complice de son ministre en le laissant attaquer ainsi sa critique. Rappelez-vous ce que disait M. Couillard en juillet 2014, après que sa ministre Christine Si-Pierre eut erronément laissé entendre que Jean-François Lisée avait abusé des fonds public : « Si vous êtes pour dire quelque chose que vous pensez que je ne dirais pas, dites-le pas. Parce qu’à ce moment-là, je vais vous demander de vous rétracter. »

Faut croire que dans le cas de Mme Lamarre, le premier ministre est d’accord avec son ministre.

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Je m’excuse (mais c’est pas ma faute)

La virulence est la marque de commerce de la vie parlementaire, a dit Gaétan Barrette à Tout le monde en parle. D’un médecin, c’est un diagnostic inquiétant.

De la même racine que « virus », la « virulence » désignait autrefois une plaie puante et pleine de pus. C’est synonyme de nocivité et de violence. Bref, si vraiment l’infection galopante est l’ordinaire des débats parlementaires, il est temps de sortir tout le monde sur une civière.

Les annales parlementaires débordent d’excès de langage, de mauvaise foi, de grossièretés et de mensonges, c’est entendu. Il suffit de consulter le catalogue des mots interdits à l’Assemblée nationale pour deviner qu’on s’y engueule joyeusement depuis toujours. Il faut s’attendre à ça et ne pas imaginer qu’il y eut jadis une époque dorée où l’on débattait civilement entre gens du monde, après vous, monsieur le ministre, non vous, je vous en prie, si, si j’insiste…

Les dérapages du passé ne sont pas pour autant un permis de déconner pour tous ceux qui ouvrent la bouche dans cet édifice.

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Gaétan Barrette, c’est l’évidence, est particulièrement allergique à la critique. Comme s’il allait se dissoudre devant la moindre attaque de ses politiques. Ça lui est insupportable. Chaque mouche qui s’approche de lui est liquidée avec un bazooka. Dieu lui-même doute, pourtant. Pas Gaétan Barrette !

Vous ne trouvez pas que vous y allez fort, docteur, en accusant la critique du PQ Diane Lamarre de complicité par omission dans un système douteux de ristournes dans les pharmacies ? N’avez-vous pas parlé des « ristournes Lamarre », comme si c’était son invention ? En disant qu’elle a « pigé dans le pot de bonbons » ? N’est-ce pas sous-entendre qu’elle a été malhonnête comme pharmacienne ?

Pantoute ! Le lendemain, il a même dit qu’elle est « la plus honnête du Parti québécois » – un esprit tordu pourrait comprendre qu’il accuse les autres d’être seulement pires…

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Que voulez-vous, il y a de ces gens qui sont physiquement incapables de dire « je me suis trompé ; je vous présente mes excuses ». Ça leur disloque la mâchoire. Les mots leur restent comme coincés dans la gorge.

En cas de flagrant délit, ils finiront par admettre une erreur d’inattention. Mais c’est au prix de contorsions douloureuses du zygomatique. Aussitôt ils feront une énumération de circonstances tellement atténuantes qu’à la fin… Ben coudonc, leur faute n’est même pas de leur faute.

Le monde politique, le monde médiatique et le Vatican contiennent une proportion anormalement élevée de gens affligés du syndrome de l’infaillibilité.

À ce jeu-là, on gagne rarement en crédibilité en niant l’évidence. Gaétan Barrette a carrément torpillé son message important sur les pharmaciens et leur mode de rémunération. Puis, arrivé tout sourire et sûr de son coup à TLMEP, lui qui excelle dans les joutes de ce genre, cette fois, il n’aura affiché que sa mauvaise foi et ses réticences. C’était raté.

Ça n’aide ni sa cause ni celle de son parti, qui jusqu’à récemment se régalait du mauvais caractère de PKP. On fait un concours entre les deux ?

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Dans un autre genre maintenant. Quand le Conseil de presse démontre noir sur blanc que l’auteure Djemila Benhabib a fait du plagiat au moins cinq fois dans son blogue, que répond-elle ?

« Il m’arrive de noter dans mon calepin toutes sortes de mots, toutes sortes de phrases qui viennent de sources différentes et multiples. » Et ensuite, que voulez-vous, ces notes se retrouvent sur son blogue. Un cas classique de « mon chien a mangé les guillemets », mais qu’elle fait passer pour une technique de travail. L’univers journalistique est « un monde d’approximation », dit-elle, il ne faudrait pas la tenir à une norme supérieure…

Une défense de médiocrité et de surdocumentation intempestive, en somme.

Désolé, mais dans le métier d’écrire, la job consiste à fabriquer ses phrases ou à citer celles qu’on emprunte. Mon garagiste ne peut pas me dire qu’il y a tellement de pneus dans son garage qu’il a posé les mauvais. Sa job consiste à mettre les bons.

Le pire, ce n’est pas cette pauvre défense. C’est d’entendre l’auteure ajouter immédiatement que cette décision est « une charge politique ». Et que « mes adversaires politiques utilisent tous les moyens pour me faire taire ». On pourrait répliquer qu’il y a tellement de plagiat dans son blogue qu’on ferait taire plein d’autres gens en l’empêchant de parler, mais on dévierait de notre sujet. Même en admettant que le chef du Parti libéral, les gens de Québec solidaire ou un imam furieux ait porté plainte (alors que la plainte émane d’une journaliste), ça changerait quoi ? Le plagiat est grossier, répétitif, indéfendable. Et c’est pas un « adversaire politique » qui l’a commis. C’est elle.

Cette réaction arrogante en dit plus long sur elle que la faute pour laquelle on l’a blâmée.

C’est donc difficile de juste dire : mes excuses. Et de se retenir d’ajouter « oui, mais… ! » pendant 15 ou 20 secondes.

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