Opinion Essais cliniques

Consentement éclairé ou influencé ?

Il y aurait eu au Canada en 2016 plus de 4500 essais cliniques en route, au dire de l’industrie innovatrice du médicament. Quand le chercheur est un clinicien, il recrute souvent parmi ses patients.

Face à une telle asymétrie entre soignant et soigné, le spécialiste universitaire doit déclarer tout conflit d’intérêts, car déjà (fort bien) payé comme médecin, s’ajoute en tant qu’investigateur la rémunération par le commanditaire commercial de l’étude. C’est une question d’éthique. Après tout, le malade prend les risques et n’est pas payé pour les prendre.

Un chercheur-clinicien est ipso facto exposé à être trop enthousiaste quant aux bienfaits potentiels ou à la pertinence de l’étude pour le patient, ou trop discret quant au détail des risques. Lorsque confronté en cours d’essai à une inefficacité manifeste ou à un effet indésirable inacceptable, il doit choisir entre l’intérêt du promoteur (poursuivre la participation) et l’intérêt du patient (abandonner l’étude).

La motivation des patients participants est diverse : souhait d’être suivi de près (durant le projet), confiance aveugle en un soignant réputé, désir de plaire à « son » médecin pour éviter qu’il ne les laisse tomber en cas de refus de participer, apaisement de sa détresse quand le pronostic est sombre (par exemple : cancéreux avancés « prêts à tout »). Est-ce recommandable de participer à un essai clinique à visée essentiellement mercantile ? La réponse est incertaine et pourrait plutôt être liée aux motivations évoquées.

Par contre, si un projet était conçu dans l’intérêt des malades ayant réellement besoin de médicaments, était méthodologiquement rigoureux et répondait à une question issue de la pratique des prescripteurs, ce serait une bonne action de participer.

Si, évidemment, le risque individuel et les contraintes liées au protocole étaient acceptables, et le consentement réellement éclairé.

Un essai commandité favorable au nouveau médicament pourrait contribuer à la carrière universitaire du médecin et promouvoir son rôle de meneur d’opinions choyé par le promoteur pour diffuser les résultats. Mais comme la majorité des nouveautés ne sont pas des percées thérapeutiques, cette promotion par personne interposée peut compromettre l’intégrité des profils de prescription, gonfler les budgets consacrés aux nouveaux produits, mousser la surprescription et sous-estimer effets indésirables, contraintes et coûts.

Voici ce qui peut se passer quand l’essai d’un médicament est commandé par son fabricant et que le médecin recrute : 

« — Bonjour madame. J’aimerais vous proposer de participer à l’étude internationale d’un nouveau médicament prometteur. Cela pourrait faire avancer les connaissances médicales et même améliorer votre propre traitement. Vous serez affectée au hasard au produit ou au placebo. Nous vous suivrons de près, vous n’attendrez pas lors des rendez-vous et tout sera gratuit.

— Docteur, j’ai confiance en vous, faites ce qui est le mieux pour moi. Je suis heureuse de contribuer à la science médicale et peut-être d’en profiter personnellement. Je suis prête à signer. »

Et voilà ce qui devrait se passer dans un monde idéal où prévaudrait la transparence : 

« — Bonjour Madame. J’aimerais vous proposer un nouveau médicament, car son promoteur vient de m’offrir un contrat alléchant de plusieurs milliers de dollars par patient participant et un bonus pour ceux qui persistent jusqu’à la fin. Cet argent servira à payer mon personnel et les examens prévus. La subvention augmentera le prestige de notre institution.

« Mon infirmière vous résumera le protocole à suivre religieusement, vous expliquera les risques et bienfaits éventuels, et répondra à vos questions. Néanmoins, prenez le temps de lire chez vous le formulaire de consentement très technique, puis montrez-le à un proche compétent. Si vous refusez, je continuerai de vous suivre comme auparavant.

« Si les résultats de l’étude sont favorables, cela pourrait contribuer à la mise sur le marché, au remboursement et aux ventes du nouveau produit (même s’il est plus cher). Je diffuserai la bonne nouvelle dans des congrès éloignés, toutes dépenses payées en plus des honoraires de conférencier, et serai peut-être coauteur de publications rédigées par la firme.

« Vous pourrez sans pression faire valoir votre droit de quitter l’étude à tout moment. Si le hasard vous affecte au nouveau médicament, vous prenez le risque qu’il ne vous procure pas les bienfaits souhaités et même qu’il exerce des méfaits inattendus par manque de recul. Si les résultats de l’étude ne semblent pas avantageux, le promoteur peut interrompre l’essai et votre participation aura été inutile. »

— Docteur, merci de votre franchise… je vais y penser… laissez-moi le temps d’en parler à mon médecin de famille. »

La situation est complexe, mais la transparence devrait prévaloir sans compromis ; les comités d’éthique de la recherche ont besoin d’un changement d’attitude de la part de la haute administration tant universitaire que médicale.

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