La Malbaie — Il y a deux semaines, une cloche de 300 kg a disparu en plein cœur de La Malbaie. La pièce rescapée d’une vieille goélette décorait un parc juste devant l’hôtel de ville.
Du jour au lendemain, elle n’y était plus. Des voleurs sont partis avec elle. Vite, les rumeurs les plus folles se sont mises à courir en ville. Il y avait bien sûr la piste des revendeurs de métaux. Mais certains citoyens avaient leur petite idée.
« Certains pensaient, sans aucune preuve, que c’étaient des manifestants qui avaient fait le coup avant le G7 », a dit le maire de La Malbaie, Michel Couturier, l’air amusé par le « mystère de la cloche ».
L’histoire témoigne de l’état d’esprit de plusieurs Malbéens, qui attendent le G7 avec un mélange de curiosité et de nervosité. D’un côté, la petite ville de 8000 habitants, à deux heures de Québec, a rarement reçu une visite aussi prestigieuse que celle des leaders du G7.
De l’autre, les Malbéens, qui ne sont pas aveugles, ont bien vu ce qui s’était passé au Sommet des Amériques à Québec, ou à Gênes, en Italie, en 2001 pour le G8 : des émeutes, des gaz lacrymogènes et la violence qui vient avec tout cela.
« Les citoyens se posent des questions. Est-ce que la ville va être assiégée ? Est-ce que je dois aller au chalet ? Est-ce que je vais pouvoir me rendre à l’hôpital, à l’épicerie ? La réponse, c’est que ce ne sera pas une ville assiégée. Mais c’est vrai qu’il y a des inconnues, des intangibles. »
— Michel Couturier, maire de La Malbaie
À moins d’un mois du début du G7, le paysage se précise. Tout indique que le gros des manifestations aura lieu à Québec. Les altermondialistes du Réseau de résistance anti-G7 préparent une marche le 7 juin au soir à Québec. Le lendemain, ils organisent « une activité de perturbation dans la région de Québec ».
Les syndicats et le mouvement étudiant n’ont de leur côté préparé aucune mobilisation d’envergure en vue du G7. C’est la même chose pour les groupes communautaires de Charlevoix.
Des membres de la CSN avaient tenté d’occuper les bureaux du G7 à La Malbaie en mars dernier pour dénoncer le régime de l’assurance-emploi. Mais le président de la CSN Côte-Nord explique qu’aucune manifestation n’est prévue pour l’événement en tant que tel.
« Même les groupes altermondialistes se dirigent plus vers Québec, où il y aura beaucoup plus de médias. À La Malbaie, il y aura une zone de manifestation et ce n’est pas clair qu’il y aura une visibilité », note Guillaume Tremblay.
Le scénario Kananaskis
Dans Charlevoix, tout pointe vers un scénario à la Kananaskis. En juin 2002, le sommet du G8 avait été organisé dans cette petite localité de l’Alberta, difficilement accessible. Les policiers avaient ceinturé le lieu. Finalement, les manifestations avaient eu lieu dans la grande ville la plus proche, Calgary.
« À Québec, il va y avoir des manifestations. Ici, on n’en aura pas », lance avec aplomb Rosaire Tremblay, seul Malbéen qui réside dans la zone rouge hautement sécurisée par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) (voir autre texte).
« Les grands contestataires, je pense qu’ils sont venus voir la clôture et qu’ils se sont dits : on va aller à Québec, lance l’homme de 63 ans. Nous autres, on a le meilleur des deux mondes : on a les retombées, mais on n’a pas les effets secondaires. »
605 millions
Les autorités n’ont pas lésiné sur la sécurité. Ottawa estime à 605 millions les coûts liés à sa présidence du G7. La GRC a reçu une enveloppe de 259 millions pour l’événement.
La clôture installée autour du Manoir Richelieu a coûté près de 4 millions de dollars. Une prison temporaire sera aménagée à proximité de l’aréna de Clermont, municipalité voisine de La Malbaie, au coût de 1 million, selon la radio locale CIHO.
Les routes qui mènent à la ville seront émaillées de postes de contrôle de la Sûreté du Québec (SQ). Il y en aura à Beaupré, à Baie-Saint-Paul et à Clermont, selon le maire de La Malbaie. Ce qui veut dire qu’un autobus de manifestants en provenance de Québec devra passer trois contrôles au minimum avant d’arriver à la « zone de libre expression », un stationnement transformé par les autorités en lieu de manifestation à La Malbaie.
« On ne parle pas d’un blocage, mais d’aviser les gens sur les routes des embûches qu’il y a, a précisé un porte-parole de la SQ, Jason Allard. Mais c’est sûr que les points de contrôle seront opérés par des policiers, qui sont là pour assurer la sécurité des gens. Si un véhicule semble suspect, c’est leur rôle de vérifier si les gens à l’intérieur représentent une menace. »
Pas de cadeau
Tout ce dérangement en vaut-il la peine ? Le maire de La Malbaie se souvient de l’appel de Justin Trudeau en mai 2017 pour lui annoncer que sa ville allait accueillir le G7.
« Cinq minutes après avoir raccroché, je me suis demandé : est-ce que c’est vraiment une bonne nouvelle ? Parce qu’on a tous vu le Sommet des Amériques, on a tous vu Montebello et ailleurs. Mais il y a aussi des endroits où ça se passe très bien », a-t-il dit.
« La vérité, c’est que tu ne peux pas refuser un événement comme ça. C’est de la grande visite. Il va y avoir des impacts négatifs, mais plus de positifs. »
— Michel Couturier, maire de La Malbaie
Parmi les points positifs, il cite la visibilité accordée à sa ville. Le réseau cellulaire de Bell a aussi été amélioré dans la région pour répondre aux besoins de l’organisation. La fibre optique a également fait son entrée à La Malbaie, qui a maintenant une connexion internet plus rapide.
Mais Michel Couturier ajoute que ce n’est pas non plus la panacée. « Quand il y a eu l’annonce, il y avait une idylle, le rêve. Toutes les routes vont être refaites de Beaupré jusqu’au Saguenay, tout va être beau, des millions vont nous tomber sur la tête », a rappelé le maire.
« Il n’y a pas eu de cadeau. Il n’y a pas d’argent qui est tombé du ciel. Il y a eu des investissements pour l’organisation de l’événement, et c’est ça », a-t-il dit.
Entre les scénarios catastrophe et idyllique, le maire Couturier estime que « la réalité se situe entre les deux ». Il croise les doigts pour que les deux jours du sommet se passent sans embûche. Et, pourquoi pas, pour que La Malbaie retrouve sa cloche disparue…