La Malbaie transformée en forteresse

Une clôture au coût de 4 millions, une prison bâtie pour l’occasion, des points de contrôle le long de la route… La Malbaie sera transformée en forteresse à l’occasion du G7, les 8 et 9 juin. Sur place, la plupart des résidants s’attendent à un sommet plutôt tranquille à l’ombre du Manoir Richelieu, loin des manifestations à Québec.

Un reportage de Gabriel Béland

« Ce ne sera pas une ville assiégée »

Tout indique que le G7 se déroulera sans accroc à La Malbaie

La Malbaie — Il y a deux semaines, une cloche de 300 kg a disparu en plein cœur de La Malbaie. La pièce rescapée d’une vieille goélette décorait un parc juste devant l’hôtel de ville.

Du jour au lendemain, elle n’y était plus. Des voleurs sont partis avec elle. Vite, les rumeurs les plus folles se sont mises à courir en ville. Il y avait bien sûr la piste des revendeurs de métaux. Mais certains citoyens avaient leur petite idée.

« Certains pensaient, sans aucune preuve, que c’étaient des manifestants qui avaient fait le coup avant le G7 », a dit le maire de La Malbaie, Michel Couturier, l’air amusé par le « mystère de la cloche ».

L’histoire témoigne de l’état d’esprit de plusieurs Malbéens, qui attendent le G7 avec un mélange de curiosité et de nervosité. D’un côté, la petite ville de 8000 habitants, à deux heures de Québec, a rarement reçu une visite aussi prestigieuse que celle des leaders du G7.

De l’autre, les Malbéens, qui ne sont pas aveugles, ont bien vu ce qui s’était passé au Sommet des Amériques à Québec, ou à Gênes, en Italie, en 2001 pour le G8 : des émeutes, des gaz lacrymogènes et la violence qui vient avec tout cela.

« Les citoyens se posent des questions. Est-ce que la ville va être assiégée ? Est-ce que je dois aller au chalet ? Est-ce que je vais pouvoir me rendre à l’hôpital, à l’épicerie ? La réponse, c’est que ce ne sera pas une ville assiégée. Mais c’est vrai qu’il y a des inconnues, des intangibles. »

— Michel Couturier, maire de La Malbaie

À moins d’un mois du début du G7, le paysage se précise. Tout indique que le gros des manifestations aura lieu à Québec. Les altermondialistes du Réseau de résistance anti-G7 préparent une marche le 7 juin au soir à Québec. Le lendemain, ils organisent « une activité de perturbation dans la région de Québec ».

Les syndicats et le mouvement étudiant n’ont de leur côté préparé aucune mobilisation d’envergure en vue du G7. C’est la même chose pour les groupes communautaires de Charlevoix.

Des membres de la CSN avaient tenté d’occuper les bureaux du G7 à La Malbaie en mars dernier pour dénoncer le régime de l’assurance-emploi. Mais le président de la CSN Côte-Nord explique qu’aucune manifestation n’est prévue pour l’événement en tant que tel.

« Même les groupes altermondialistes se dirigent plus vers Québec, où il y aura beaucoup plus de médias. À La Malbaie, il y aura une zone de manifestation et ce n’est pas clair qu’il y aura une visibilité », note Guillaume Tremblay.

Le scénario Kananaskis

Dans Charlevoix, tout pointe vers un scénario à la Kananaskis. En juin 2002, le sommet du G8 avait été organisé dans cette petite localité de l’Alberta, difficilement accessible. Les policiers avaient ceinturé le lieu. Finalement, les manifestations avaient eu lieu dans la grande ville la plus proche, Calgary.

« À Québec, il va y avoir des manifestations. Ici, on n’en aura pas », lance avec aplomb Rosaire Tremblay, seul Malbéen qui réside dans la zone rouge hautement sécurisée par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) (voir autre texte).

« Les grands contestataires, je pense qu’ils sont venus voir la clôture et qu’ils se sont dits : on va aller à Québec, lance l’homme de 63 ans. Nous autres, on a le meilleur des deux mondes : on a les retombées, mais on n’a pas les effets secondaires. »

605 millions

Les autorités n’ont pas lésiné sur la sécurité. Ottawa estime à 605 millions les coûts liés à sa présidence du G7. La GRC a reçu une enveloppe de 259 millions pour l’événement.

La clôture installée autour du Manoir Richelieu a coûté près de 4 millions de dollars. Une prison temporaire sera aménagée à proximité de l’aréna de Clermont, municipalité voisine de La Malbaie, au coût de 1 million, selon la radio locale CIHO.

Les routes qui mènent à la ville seront émaillées de postes de contrôle de la Sûreté du Québec (SQ). Il y en aura à Beaupré, à Baie-Saint-Paul et à Clermont, selon le maire de La Malbaie. Ce qui veut dire qu’un autobus de manifestants en provenance de Québec devra passer trois contrôles au minimum avant d’arriver à la « zone de libre expression », un stationnement transformé par les autorités en lieu de manifestation à La Malbaie.

« On ne parle pas d’un blocage, mais d’aviser les gens sur les routes des embûches qu’il y a, a précisé un porte-parole de la SQ, Jason Allard. Mais c’est sûr que les points de contrôle seront opérés par des policiers, qui sont là pour assurer la sécurité des gens. Si un véhicule semble suspect, c’est leur rôle de vérifier si les gens à l’intérieur représentent une menace. »

Pas de cadeau

Tout ce dérangement en vaut-il la peine ? Le maire de La Malbaie se souvient de l’appel de Justin Trudeau en mai 2017 pour lui annoncer que sa ville allait accueillir le G7.

« Cinq minutes après avoir raccroché, je me suis demandé : est-ce que c’est vraiment une bonne nouvelle ? Parce qu’on a tous vu le Sommet des Amériques, on a tous vu Montebello et ailleurs. Mais il y a aussi des endroits où ça se passe très bien », a-t-il dit.

« La vérité, c’est que tu ne peux pas refuser un événement comme ça. C’est de la grande visite. Il va y avoir des impacts négatifs, mais plus de positifs. »

— Michel Couturier, maire de La Malbaie

Parmi les points positifs, il cite la visibilité accordée à sa ville. Le réseau cellulaire de Bell a aussi été amélioré dans la région pour répondre aux besoins de l’organisation. La fibre optique a également fait son entrée à La Malbaie, qui a maintenant une connexion internet plus rapide.

Mais Michel Couturier ajoute que ce n’est pas non plus la panacée. « Quand il y a eu l’annonce, il y avait une idylle, le rêve. Toutes les routes vont être refaites de Beaupré jusqu’au Saguenay, tout va être beau, des millions vont nous tomber sur la tête », a rappelé le maire.

« Il n’y a pas eu de cadeau. Il n’y a pas d’argent qui est tombé du ciel. Il y a eu des investissements pour l’organisation de l’événement, et c’est ça », a-t-il dit.

Entre les scénarios catastrophe et idyllique, le maire Couturier estime que « la réalité se situe entre les deux ». Il croise les doigts pour que les deux jours du sommet se passent sans embûche. Et, pourquoi pas, pour que La Malbaie retrouve sa cloche disparue…

À savoir sur le G7

La Malbaie reste accessible

Même si une importante section de La Malbaie sera interdite au public les 8 et 9 juin, la ville restera en grande partie accessible. Le centre-ville et Cap-à-l’Aigle, par exemple, ne seront sur le coup d’aucune restriction. Les automobilistes pourraient toutefois être ralentis par les nombreux points de contrôle entre Québec et La Malbaie.

Zones verte et rouge

Deux zones sécurisées seront mises en place. La zone verte englobe une bonne partie du secteur de Pointe-au-Pic, de la gare de train jusqu’à la route 362 à l’ouest. Quelque 600 résidences se trouvent dans la zone verte. « Les résidants ainsi que les commerçants situés dans cette zone pourront y accéder, mais devront se procurer une accréditation », précise le site de la Gendarmerie royale du Canada (GRC).

La zone rouge, quant à elle, beaucoup plus limitée, englobe le Manoir Richelieu. Non seulement il faudra une accréditation pour y accéder, mais aussi se soumettre à une enquête de sécurité.

Des observateurs de la société civile

Amnistie internationale (AI) et la Ligue des droits et libertés (LDL) vont déployer une trentaine d’observateurs à Québec et à La Malbaie. Les deux organisations s’inquiètent que le droit de manifester ne soit pas respecté durant le Sommet. « L’objectif le plus important de cette mission est de prévenir les abus des forces de l’ordre », ont expliqué les organismes dans un communiqué conjoint. « La LDL et AI rappellent que de multiples violations de droits ont été observées et dénoncées au Sommet des Amériques à Québec en 2001, au Sommet de Montebello en 2007 et au Sommet du G20 à Toronto en juin 2010. »

Les manifestations permises

Les corps de police assurent que le droit de manifester sera respecté. À la Sûreté du Québec (SQ), on rappelle par exemple que les points de contrôle entre Québec et La Malbaie n’ont pas pour but de bloquer les manifestants. « Même un autobus avec manifestants qui passe, on va leur donner l’information et il va pouvoir continuer sa route », note Jason Allard, porte-parole de la SQ.

Entre le Québec et la Colombie-Britannique

Le gouvernement de Justin Trudeau hésitait entre la Colombie-Britannique et la région de Charlevoix pour accueillir le G7. C’est au début du mois de mai l’an passé que le maire Michel Couturier en a entendu parler pour la première fois, quand un journaliste l’a appelé pour lui dire que sa ville était dans la course. Le maire de La Malbaie l’apprenait. Il a finalement reçu un appel de Justin Trudeau deux semaines plus tard pour lui confirmer que la ville allait accueillir la rencontre.

Un budget de 605 millions

La présentation du G7 implique pour un État le privilège d’accueillir son sommet. Mais elle vient aussi avec une facture salée. Dans son dernier budget, le gouvernement fédéral a réservé la somme de 605 millions pour l’occasion. Des millions ont été alloués à la sécurité, dont 259 millions à la GRC, 35 millions à la Défense nationale, 2 millions au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et même 1 million à l’Agence des services frontaliers.

Une maison dans la zone rouge

La Malbaie — Qu’ont en commun Angela Merkel, Donald Trump et Rosaire Tremblay ? Les trois passeront les 8 et 9 juin prochain dans l’un des coins les plus sécurisés de la planète, la zone rouge du G7 de Charlevoix.

Rosaire Tremblay, un retraité de 63 ans, habite avec sa conjointe l’unique maison privée qui se trouve dans la zone la plus sécurisée mise en place par la Gendarmerie royale du Canada (GRC). La clôture de trois mètres qui va protéger les dignitaires passe juste devant sa demeure.

« Ils ont installé des caméras, un système extraordinaire à la fine pointe. Ils m’ont dit : “Tu peux sortir et laisser tout débarré, il n’y a aucun problème.” », raconte l’homme, qui est résolument optimiste à un mois du sommet.

Rosaire Tremblay a acheté sa maison il y a un an et demi. L’homme qui possédait trois imprimeries proches de Montréal est tombé sous le charme de la construction de 1884, qui avait été érigée par un ancien jardinier du Manoir Richelieu.

Un escalier devant sa maison monte d’ailleurs en pleine falaise rejoindre le Manoir, où se rencontreront les chefs d’État. La GRC lui a formellement interdit de l’utiliser le temps du sommet.

« Il y a juste un point négatif, c’est que je ne pourrai pas monter au Manoir pour voir Melania Trump. Je voulais lui serrer la main, lui donner un petit bisou sur la joue. Ils m’ont dit catégoriquement non. Je n’aurai pas le droit de monter. »

— Rosaire Tremblay, résidant de La Malbaie

C’est la seule critique que Rosaire Tremblay se permet envers le G7, selon lui une magnifique occasion pour sa ville et la région de Charlevoix. Il estime que les médias sont trop sensationnalistes, et veulent « faire peur au monde ».

Il devra bien sûr vivre quelques désagréments. Il a dû subir une enquête de sécurité afin d’obtenir une accréditation, qu’il devra montrer chaque fois qu’il veut entrer ou sortir de sa propriété.

Mais M. Tremblay se concentre sur le positif. Il souligne notamment l’amélioration du réseau cellulaire dans la région, conséquence directe du G7 qui lui survivra.

« Le réseau est aussi bon qu’au centre-ville de Montréal », lance l’homme, qui prévoit vivre le sommet chez lui et n’entend pas quitter les lieux.

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