Chronique

Et si votre équipe n’était plus couverte ?

Jean-François Plante est journaliste pour Le Droit d’Ottawa. Il couvre le hockey. Pas les Sénateurs, mais tout le reste : les tournois, le midget AAA, le junior majeur.

Le 28 septembre dernier, il a assisté au match d’ouverture des Olympiques de Gatineau (LHJMQ). Un gros événement régional. Plus de 2800 billets vendus. Presque une salle comble au Centre Robert-Guertin. Jean-François est monté sur la galerie de presse. Il a choisi son siège. Branché son ordinateur. Attendu ses collègues des autres médias.

Ils ne sont jamais venus.

Ni le lendemain. Ni le jour suivant. Ni le reste de l’hiver.

« Avant, nous étions six ou sept par match. Des journalistes de la radio. De la télé. Des hebdos. De l’Ottawa Citizen. Maintenant ? Je suis presque toujours seul. C’est bizarre. Surtout pendant les conférences de presse de l’entraîneur. »

Les galeries de presse se vident. Pas juste à Gatineau. Partout au Québec. Les médias manquent d’argent pour suivre les équipes locales. Plusieurs clubs sont désormais couverts au quotidien par un seul journaliste. C’est le cas notamment des Cataractes de Shawinigan. Des Aigles de Trois-Rivières. Du Phoenix de Sherbrooke. Des Voyageurs de Jonquière. Des équipes collégiales et universitaires. Même des Sénateurs d’Ottawa, suivis en français uniquement par Le Droit.

Le pire ?

La saignée n’est peut-être pas finie. Tous les clubs que je viens de mentionner sont couverts par un journaliste de Groupe Capitales Médias. Et là aussi, ça va mal. L’entreprise s’est placée sous la protection de la Loi sur la faillite. La survie du Soleil (Québec), de La Tribune (Sherbrooke), du Nouvelliste (Trois-Rivières), du Quotidien (Saguenay), de La Voix de l’Est (Granby) et du Droit est incertaine.

C’est préoccupant.

Dans l’angle mort de la crise des médias.

Une presse sportive régionale forte est importante. Voici six histoires pour le prouver.

Les bandes du Nouvelliste

En 2007, les Cataractes de Shawinigan perdaient beaucoup de matchs. Et encore plus d’argent. La survie de cette franchise de la LHJMQ passait par un nouvel aréna. Sauf que la Ville et les promoteurs ne s’entendaient pas sur les dimensions de la patinoire. Le projet était menacé.

« La Ville voulait absolument bâtir une glace olympique. Pour elle, c’était l’avenir. Nous autres, on ne croyait pas à ça pour cinq cennes », se souvient le président des Cataractes, Martin Mondou.

« Un jour, on a frappé un mur. Plus rien n’allait. Puis un homme est venu me parler de l’existence de bandes rétractables à Québec. J’ai refilé l’info au Nouvelliste. Le journaliste Steve Turcotte a présenté l’idée comme une solution pour régler le conflit. »

Et ça a fonctionné. La Ville de Shawinigan a été séduite. « Cet article, c’est ce qui a changé la donne. » La chicane a pris fin illico. Le nouvel aréna a été construit. Il a même accueilli la Coupe Memorial en 2012. Et qui a gagné le tournoi ?

Les Cataractes, bien sûr.

Une maison pour la cause

« Le Quotidien m’a fait naître. »

L’homme qui parle, c’est Pierre Lavoie. L’athlète-entrepreneur derrière le Grand Défi. Il est très reconnaissant envers son journal local, qui le suit depuis ses premiers triathlons.

« Un athlète, quand il commence, c’est comme une racine qui a besoin de soutien. Le Quotidien a joué ce rôle-là dans ma carrière. Il m’a fait connaître dans la région. Il suivait mes courses, publiait mes résultats. »

Quelques années plus tard, Pierre Lavoie et sa conjointe, Lynne Routhier, ont eu la douleur de perdre deux enfants, Laurie et Raphaël. Ils souffraient d’acidose lactique, une maladie héréditaire. Là encore, Le Quotidien était présent. « Je dois beaucoup [aux journalistes du Quotidien]. Ils ont publié plusieurs articles de fond sur le dépistage des maladies héréditaires. Ça a sensibilisé les gens. Le Quotidien a aussi organisé le tirage d’une maison auprès de ses lecteurs. Les profits de la vente des billets étaient remis à des organismes de la région. Ma cause a pu en bénéficier. Je ne l’oublierai pas. »

« Sans Le Quotidien, vous ne me connaîtriez pas à Montréal. Je serais resté dans la région. Ce journal, il faut le défendre. Le protéger. On en a besoin. »

Un billet pour les Panams

En 2003, David Cadieux était en froid avec Boxe Canada. L’organisme refusait de financer sa participation aux Championnats du monde et aux Jeux panaméricains. La raison invoquée : un pourcentage de victoires sous le quota requis. « Mais les critères changeaient tout le temps. C’était très politique. Il y avait une rivalité entre les provinces. »

David Cadieux, qui vient de la Mauricie, a appelé Steve Turcotte, au Nouvelliste. Il lui a raconté son histoire. Il attribuait ses trois dernières défaites au fait que Boxe Canada lui avait imposé un entraîneur anglophone, avec lequel la communication était difficile.

« Le coach était compétent et j’étais parfaitement bilingue. Mais il y avait une présomption chez Boxe Canada qu’il fallait boxer en anglais. J’étais tanné. Le Nouvelliste a publié un article sur mon histoire. Ça a tout changé. »

Le Bloc québécois a soulevé le cas à la Chambre des communes. Le secrétaire d’État au Sport amateur, Paul DeVillers, s’en est mêlé. Une semaine plus tard, tout était réglé. Boxe Canada faisait marche arrière et payait les frais de David Cadieux aux Jeux panaméricains.

« Un buzz dans la région »

Coup de fil à Denis Bouchard, le sympathique rédacteur en chef du Quotidien. Je lui demande s’il croit que la couverture de son journal est importante pour les Saguenéens de Chicoutimi, un club de la LHJMQ. Il rit. « Si dans notre édition on n’a pas deux pages sur les Sags, ça se peut que je reçoive un appel de l’équipe », lance-t-il à la blague.

Coup de fil au président des Saguenéens, Richard Létourneau.

« C’est vrai, ce que dit Denis Bouchard ?

— [Rires] Un peu, oui. »

Il précise que les deux organisations ont une excellente collaboration depuis 1973. « Les Saguenéens, ici, c’est le petit Canadien. Et Le Quotidien est rendu le seul journal qui nous couvre tous les jours. C’est vraiment important. Ça amène de l’eau au moulin. Une certaine effervescence.

« Le Quotidien, c’est aussi un lien privilégié entre nos partisans et la direction de l’équipe. Ses journalistes ont un sens de la retenue qu’on ne retrouve pas partout ailleurs. Ce sont des professionnels. Ils parlent beaucoup aussi des joueurs des autres équipes qui nous visitent. C’est bon. Ça crée un buzz dans la région. »

« Un impact majeur sur la participation »

François-Olivier Roberge a un profil unique. Il a été des deux côtés de la clôture. D’abord, comme athlète olympique en patinage de vitesse. Puis comme journaliste au Soleil. Il est aujourd’hui directeur des communications pour la Fédération de patinage de vitesse du Québec.

« Si les quotidiens régionaux disparaissaient, ça aurait un impact majeur sur la participation. Sur le nombre de patineurs. »

« On a 6000 membres. Combien iront aux Olympiques ? Une poignée. Les médias nationaux parlent de ces athlètes d’élite. Mais dans les régionaux, on parle de tous les autres. Du petit voisin qui a fini sixième dans une compétition nationale à 12 ans. C’est le genre de nouvelle qui peut t’allumer une lumière. Te faire réaliser que toi aussi, tu peux faire ça. »

La Fédération vient d’ailleurs de remettre un prix au Quotidien et à sa journaliste Johanne St-Pierre pour leur « apport soutenu et continu au patinage ». Pendant la saison, Le Quotidien publie au moins une page de nouvelles sur les patineurs locaux par semaine. « Pour nous, la couverture du Quotidien, c’est important. Ça nous aide grandement dans le recrutement des jeunes athlètes dans la région. »

La fierté locale

Pendant la grève dans la LNH, en 2004, les médias ont augmenté la couverture des autres sports. « On a eu droit à nos minutes de gloire », se souvient Annie Lévesque, coentraîneuse de l’équipe féminine de volleyball du Vert & Or de l’Université de Sherbrooke.

« Dans le temps, j’étais une athlète. On avait eu de la visibilité comme jamais. Les médias nationaux parlaient de nous. On avait gagné le championnat national. Sonia Bolduc, de La Tribune, nous avait même suivies sur la route. »

Puis les hockeyeurs sont revenus au jeu. Et les projecteurs se sont éteints. Tout le monde a oublié l’équipe de volleyball du Vert & Or.

Sauf La Tribune.

« Déjà qu’ils sont les seuls à couvrir nos activités. Si le journal devait fermer, il n’y aurait plus rien. 

« Ma belle-mère reçoit encore La Tribune. Il y a eu un article sur moi dernièrement. Elle l’a découpé. Elle était contente. La Tribune, c’est ça. C’est la fierté d’entendre parler des gens de chez nous, de leurs victoires, de ce qu’ils accomplissent. Et ça, c’est important. »

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