Mon clin d’œil

Ce n’est pas la meilleure journée pour manifester contre le réchauffement de la planète.

Hommage Pierre De Bané 1938-2019

PIERRE DE BANÉ 1938-2019 La clairvoyance en matière de langues officielles

Après plus de 45 années de service parlementaire, le sénateur Pierre De Bané s’est éteint le 9 janvier dernier.

Les éloges à son égard sont nombreux : homme de convictions, défenseur des intérêts régionaux, promoteur engagé de la francophonie canadienne. L’un de nous a eu l’honneur de le rencontrer dans son bureau privé, en marge d’une comparution devant le Comité sénatorial permanent des langues officielles, et fut marqué par sa chaleur authentique, son vif intérêt pour la jeunesse et sa passion pour les langues officielles.

Ce qui est moins bien connu, et que nous nous voudrions de passer sous silence, est que le sénateur De Bané avait présagé, il y a plus de trois décennies, l’épouvantail qu’est devenue la Loi sur les langues officielles du Canada.

Cette loi, dont la première mouture remonte à 1969, a connu en 1988 une refonte importante alors que Brian Mulroney était premier ministre. 

Grâce à la direction de Lucien Bouchard, le gouvernement fédéral s’engageait désormais, noir sur blanc, à favoriser l’épanouissement et à appuyer le développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire. La nouvelle loi chargeait également le secrétaire d’État de l’obligation de coordonner la mise en œuvre de cet engagement, obligation héritée par la ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie, Mélanie Joly.

Mise en garde

Le 20 juillet 1988, dans le cadre des débats parlementaires entourant l’adoption de la Loi sur les langues officielles, alors que d’autres s’exaltaient, le sénateur De Bané formulait à l’attention de M. Bouchard la mise en garde suivante, mise en garde qui hante aujourd’hui tant la ministre Joly que son personnel politique et la fonction publique : 

Le sénateur De Bané :  […]

[M]onsieur le Ministre, je voudrais revenir à cet article 42 [qui correspond à l’article 43, partie VII, de la Loi sur les langues officielles dans sa forme actuelle] auquel vous avez fait allusion. Permettez-moi de vous dire que personnellement, je suis très pessimiste au sujet de l’impulsion que le secrétariat d’État pourra avoir avec un article aussi dilué qui se lit de la façon suivante : 

Le secrétaire d’État du Canada, en consultation avec les autres ministres fédéraux, suscite et encourage la coordination…

Comme vous le savez, au gouvernement central il n’y a que deux ou trois organismes qui réellement ont un pouvoir de coordination : le Conseil du Trésor, le ministère des Finances, et le Conseil privé. Je vous prédis, Monsieur le Ministre, que jamais l’article 42 ne vous donnera l’autorité pour appeler les ministres récalcitrants et pour leur dire en vertu de l’article 42 : je vous demande de poser tel et tel geste dans telle section du pays pour m’aider à atteindre les objectifs de la loi. Tel qu’il est, cet article-là, Monsieur le Ministre, tout ce qu’il va vous causer, c’est des frustrations.

Qu’en est-il, trois décennies plus tard ? La prédiction du sénateur De Bané s’est avérée si juste qu’elle constitue une leçon d’humilité.

En dépit des efforts louables de Lucien Bouchard, une pierre angulaire de la nouvelle Loi sur les langues officielles est demeurée lettre morte ; les ministres qui lui ont succédé n’ont jamais réussi à assurer sa mise en œuvre, n’ayant pas disposé des outils nécessaires.

Entre-temps, un consensus s’est dégagé parmi les nombreux acteurs qui témoignent depuis deux ans devant le Parlement dans le cadre d’études d’envergure de la Loi sur les langues officielles : les objectifs de celle-ci ne seront jamais atteints à moins que la responsabilité de sa mise en œuvre soit centralisée entre les mains – non pas d’un simple ministère – mais bien d’une agence centrale.

Le Conseil du Trésor, responsable des budgets de tous les ministères et agences et chargé de convertir les politiques et les programmes approuvés par le Conseil des ministres en application concrète, est nettement l’agence centrale la mieux habilitée pour assurer une application rigoureuse de la loi. C’est le sénateur De Bané qui nous l’a enseigné il y a belle lurette.

À l’aube de la rentrée parlementaire, en cette année électorale, il y a lieu de rappeler au gouvernement de Justin Trudeau son engagement solennel, affirmé en juin 2018 devant la Chambre des communes, de moderniser la Loi sur les langues officielles.

Il aura fallu 30 ans pour que le consensus politique autour de la mise en œuvre de l’engagement fédéral en matière de droits linguistiques reflète les propos clairvoyants du sénateur De Bané. Ne perdons pas cette occasion pour finalement y donner suite.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.