Niviaq Korneliussen

La nouvelle voix du Nord

Ils sont jeunes, ils sont queers, et ils habitent… à Nuuk, la capitale du Groenland. Et c’est avec une langue crue et perçante qu’ils crient leur mal-être dans Homo sapienne, premier roman de Niviaq Korneliussen. Une jeune auteure inuite qui, à 27 ans, pourrait bien devenir la nouvelle ambassadrice littéraire de ce vaste territoire isolé aux confins de l’Arctique, et qui sera de passage à Montréal la semaine prochaine.

Homo sapienne, troisième titre de la collection « Fictions du Nord » de La Peuplade, a eu l’effet d’une gifle à sa sortie au Groenland, en 2014. Le livre a été vendu à plus de 3000 exemplaires dans l’île – un record pour ce territoire de 56 000 habitants –, a été hypermédiatisé, traduit dans toutes les langues scandinaves, ajouté au programme de certaines écoles au Groenland…

Son succès a même trouvé une résonance de l’autre côté de l’Atlantique, si bien qu’en janvier dernier, le prestigieux magazine The New Yorker a publié une longue entrevue avec l’auteure – la qualifiant de star littéraire du Groenland, alors que le roman n’est même pas encore paru aux États-Unis. C’est dans ce contexte que la maison d’édition québécoise s’est lancé le pari d’être la première à traduire le roman en français.

« Une des raisons pour lesquelles les gens ont été si ébranlés à la sortie du livre, c’est que j’y aborde des thèmes dont personne n’osait parler », affirme Niviaq Korneliussen au bout du fil. À commencer par l’orientation sexuelle de cinq jeunes Groenlandais, leurs questionnements sur l’amour, l’identité et leur sentiment d’appartenance.

« Qu’est-ce que ça signifie d’être groenlandais ? La question m’a été posée mille fois, ces deux dernières années », raconte Niviaq Korneliussen, qui a beaucoup voyagé en Europe du Nord depuis la publication de son roman. 

Pour Inuk, l’un des cinq protagonistes de son roman, jeune homme en quête de son identité sexuelle qui crie sa honte d’être qui il est, un Groenlandais est un alcoolique qui bat son conjoint, maltraite ses enfants, a été victime de maltraitance durant son enfance, a peu d’estime de soi. Et beaucoup de colère dans son cœur, écrit-elle dans un chapitre incendiaire qui a fait couler beaucoup d’encre au pays.

« C’était important pour moi de dépeindre des extrêmes pour provoquer et obtenir une réaction. Et j’ai réussi. Il faut crier le plus fort qu’on peut pour dénoncer les problèmes, sinon on les oublie. »

— Niviaq Korneliussen

Être jeune et groenlandais

Ainsi, à travers les mots de Fia, d’Inuk, d’Arnaq, d’Ivik et de Sara, des jeunes bien ordinaires qui aiment faire la fête et s’expriment dans une langue émaillée d’anglais, Niviaq Korneliussen lève le voile sur une génération qui partage, au fond, des préoccupations bien universelles à la vingtaine : la peur d’être abandonné, trahi, rejeté, la volonté de s’affirmer et d’être bien dans sa peau, malgré sa différence.

« Étant donné que nous sommes une très petite société éloignée de tout, je crois que les Groenlandais sont quand même très ouverts d’esprit quant à l’orientation sexuelle, dit l’auteure. Nous avons fait bien du chemin depuis 15 ans. Avant, les gens n’osaient même pas parler de diversité. Maintenant, on a des gay pride et on n’a pas peur de se tenir la main en public. »

Au-delà des questionnements identitaires, Niviaq Korneliussen aborde également dans Homo sapienne des questions sensibles pour les Groenlandais, notamment l’abus d’alcool et la maltraitance infantile.

« Les politiciens parlent beaucoup d’indépendance [face au Danemark] depuis quelques années, mais ils devraient plutôt se concentrer sur les nombreux problèmes sociaux comme l’alcoolisme, l’itinérance, le chômage, l’abandon des enfants, la pauvreté… Il faut qu’on renforce notre société avant de penser à être indépendants. »

Elle espère par ailleurs que son pays puisse s’ouvrir au tourisme pour créer de la richesse, plutôt que de vendre ses ressources minières au plus offrant. « Notre territoire est si vaste, et nous avons tout ce qu’il faut pour les amateurs de nature et de plein air. »

Malgré la force de ses convictions, Niviaq Korneliussen est catégorique lorsqu’on l’interroge sur le sujet : pas question de faire de la politique. La jeune auteure veut continuer à transmettre ses messages par la littérature et espère que la sortie d’un deuxième roman – « complètement différent » et en chantier pour une parution l’an prochain – pourra enfin lui permettre de passer à autre chose. Mais à la veille de la sortie d’Homo sapienne aux États-Unis, ce ne sera peut-être pas pour bientôt.

Niviaq Korneliussen sera de passage au Salon du livre de Montréal le dimanche 19 novembre et donnera des conférences sur les identités féministes à l’UQAM le lundi 20 novembre et le mercredi 22 novembre. Le lancement de son roman aura lieu à la librairie L’Euguélionne le mardi 21 novembre.

Homo sapienne

Niviaq Korneliussen

La Peuplade

232 pages

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