CHRONIQUE

Tourner le dos aux USA…

Samedi, Yves Boisvert vous disait qu’il tournait symboliquement le dos à cette Amérique trumpienne qui discrimine et qui paranoïe, par les temps qui courent : il n’ira pas dans le Maine cet été. Je vous disais que le petit jury intérieur délibère encore dans mon cortex, quant à savoir si je veux donner mon fric de touriste à ce pays…

On a touché une corde sensible, Yves et moi : vous avez été des dizaines à nous dire la même chose. Dans ma messagerie, la majorité des réactions étaient celles de lecteurs qui ont érigé un mur entre eux et l’Amérique depuis l’élection de Donald Trump…

Jean-Marc Dubuc ira dans la région du Niagara, piètre succédané à sa Virginie adorée, convient-il : « J’ai versé une larme en appuyant sur SEND pour annuler ma réservation dans la vallée de la Shenandoah. J’ai l’habitude d’amorcer ma saison de vélo de route en avril dans ce décor de grand bonheur : la montagne, la forêt, la qualité du bitume, les gens… »

Réal Sarault : « Les USA, on y va ou pas ? Coïncidence : la veille de votre chronique, mon épouse et moi avions eu cette discussion. Nous y retournerons sûrement, mais pour l’instant, il existe un sentiment profond en nous qui nous empêcherait de l’apprécier… »

Patricia Donnelly ira, à reculons, parce que la petite maison de bord de mer est réservée et payée : « Mais j’aimerais tellement trouver une manière d’exprimer mon indignation totale devant ce véritable corniaud, ce bully non éduqué qui a le sort du monde entre ses mains… »

Josée Marquis : « Cet été, notre idée était de louer un véhicule récréatif et de visiter les villages, d’Old Orchard [au cap] Cod. Idéal pour la course, la mer et le repos. Depuis l’arrivée au pouvoir de ce fou furieux, nos plans ont changé : direction Ouest canadien ! »

Ce qui m’a frappé, en lisant ceux qui pensent à boycotter (ou qui boycotteront) les États-Unis comme destination-vacances : leurs mots sont les mots d’amoureux déçus, meurtris. Vous allez aux États-Unis, souvent depuis des années, vous les avez visités « du nord au sud, d’est en ouest », dixit M. Sarault. Vous n’êtes pas des antiaméricains primaires, au contraire, vous aimez ce pays.

Vous l’aimez comme je peux l’aimer. Un pays plein de défauts, un pays aux politiques qui peuvent être brutales, mais un pays formidable, un pays où les gens qu’on rencontre dans les campings, dans les villages, dans les haltes routières sont bien souvent d’une bonne humeur et d’une gentillesse exemplaires.

Et, on ne le dira jamais assez, il s’agit d’un pays magnifique. La beauté physique des États-Unis d’Amérique est à s’enfarger dans ses lacets. Même laid, il est bien souvent beau ; voilà, c’est ça : l’Amérique est belle dans sa laideur. Et toute cette beauté est là, à quelques heures d’avion ou à plusieurs heures de route, mais on s’en fout, parce que rouler fait partie du trip américain, justement…

Mais là, malgré tout ça, malgré vos souvenirs vifs de voyages américains, malgré la gentillesse de l’Américain moyen qui vous a dépannés sur le bord de la route et malgré la beauté immense de ce pays, là, pour la première fois, vous avez un mouvement de recul. Après trois semaines de Trump, de discours de peur, de mur, d’interdictions de territoire pour les uns et pour les autres, d’America First, vous êtes nombreux à vous dire : Phoque that.

Apparemment, nous ne sommes pas seuls, Québécois, à avoir des doutes. Disons que vous êtes Chinois, ou Mexicain : vous habitez des pays ciblés avec rage par Trump, depuis des mois, des années. Avez-vous envie de visiter les États-Unis prochainement ? Pas sûr…

Mardi, le Boston Globe donnait la parole à des experts de l’industrie du tourisme américain, qui ont noté une baisse de 8 % des recherches pour les réservations de billets d’avion vers les États-Unis dans la semaine après le décret présidentiel visant sept pays à majorité musulmane, comparativement à la même période en 2016…

Et le magazine Forbes rapportait que l’effet Trump pourrait « gravement endommager le secteur touristique américain cette année ». Adam Sacks, président de Tourism Economics, cite les tracasseries administratives (visas, etc.) imposées aux voyageurs de tous horizons pour expliquer la menace sur l’industrie touristique américaine (246 milliards US). Tout cela crée, dit-il, de « l’antipathie chez beaucoup de gens » face à l’idée même de voyager aux États-Unis.

Jonathan Grella, de la US Tourism Association, cité dans le même papier : « Les gens ont le choix, quand il s’agit de tourisme. Nous pouvons montrer notre meilleur visage et les accueillir aux États-Unis, ou être plus hostiles et leur signaler d’aller ailleurs… »

Gaspésie, Charlevoix, Sandbanks en Ontario, vallée de l’Okanagan, Italie, Mexique : vous avez justement été des dizaines à me parler de vos plans B, de vos ailleurs, pour l’été prochain…

Sad ! Comme dirait Trump.

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