À QUOI RÊVENT LES MONTRÉALAIS ?  CHRONIQUE

Nettoyer Montréal

Montréal est sale.

On peut citer les millions dépensés chaque année pour nettoyer la ville, les mesures et les programmes de la Ville. On peut évoquer les brigades propreté et les initiatives des arrondissements.

Montréal est sale. Très sale.

Le printemps n’aide en rien, c’est sûr. Mais ce que révèle la fonte des neiges, ce sont les déchets accumulés pendant l’hiver en raison de notre négligence collective. Des déchets qui prolifèrent en toute saison, dans tous les quartiers.

Je n’ai probablement pas à vous convaincre. Mais si c’est le cas, allez voir les poubelles qui débordent rue Saint-Hubert, les abribus pleins de « scrachitis » sur le Plateau, les épaves de vélo aux 10 m rue Saint-Denis.

Allez voir les papiers et emballages qui volent au vent sur Papineau, les ruelles crasseuses de la Sainte-Catherine, les murs maculés de tags des viaducs Masson et Saint-Denis. Allez voir les œuvres d’art qu’on a installées pour contrer les tags et qui ont finalement eu l’effet inverse, à l’angle des Pins–Saint-Laurent, ou sur la façade de l’ancienne Papeterie Guérin, avenue du Mont-Royal.

L’artère la plus cochonnée est Saint-Laurent, de loin, mais même les rues plus excentrées comme la Promenade Fleury sont victimes de la négligence des propriétaires, qui n’hésitent pas à abandonner des dizaines de sacs à poubelle en plein trottoir, le dimanche matin, plus de 24 heures avant la collecte.

La ville fait dur, terriblement dur.

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Je n’en doute pas, les Montréalais rêvent à des projets de grandeur pour la métropole. Comme tous les Québécois d’ailleurs. Demandez-leur ce qu’ils souhaitent, à chaud, et ils vous parleront d’une équipe de baseball, d’un tramway, d’un accès à l’eau…

Mais intéressez-vous vraiment à ce qui les dérange au quotidien, à ce qu’ils voudraient réellement améliorer sur le terrain. Permettez-leur de se promener un peu et de réfléchir avant de répondre, et je suis persuadé qu’ils vous diront en grand nombre qu’ils rêvent à… une ville plus propre.

Rien de plus qu’une ville dont ils seraient fiers devant la visite, une ville qu’ils aimeraient parcourir sans regarder à terre, une ville qui se démarque autrement que par la quantité de tags qui la dégradent.

Une ville qui se ramasse, bref.

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Je fais une suggestion : que le maire Coderre prenne son mandat au sens… propre du terme.

Il a été élu en 2013 pour « nettoyer Montréal » de la corruption et de la collusion ? Maintenant qu’il a embauché un inspecteur général et fait du ménage à l’hôtel de ville, qu’il reprenne son balai et lance une vaste campagne tous azimuts pour nettoyer la ville.

Littéralement.

Plate à dire, mais Montréal n’est ni Boston ni Vancouver. Ce n’est pas une ville qui peut se fier au sens civique des citoyens pour rester propre. Comme me l’a déjà fait remarquer Luc Ferrandez, Montréal ressemble plus à Paris ou Rome en ce sens : il suffit d’un déchet à terre pour que tout le monde se sente libre d’en ajouter.

Comme les capitales européennes, Montréal doit donc mettre le paquet pour garder les rues et quartiers propres.

Ç’a déjà été fait dans le passé, remarquez. Pierre Bourque avait une obsession pour les sacs à poubelle. Gérald Tremblay a passé le balai pendant un mandat complet. Mais on donne chaque fois un grand coup, puis pfft… Plus rien.

Le budget propreté de la Ville était de 60 millions avant qu’on en fasse une priorité en 2008. Sept ans plus tard, il est de… 60 millions.

Le nombre d’amendes distribuées à l’époque était de 6300. Il était l’an dernier de 6157.

On a promis un suivi rigoureux de la propreté en 2008, qui se répéterait chaque année. On a fait une belle présentation, puis… plus rien de public depuis.

Vrai, la responsabilité de la propreté revient aux arrondissements, qui doivent en faire plus. Mais c’est à la ville centre d’assurer la cohésion des interventions, de mettre l’accent sur la propreté comme on le met sur le déneigement en hiver, et surtout, de lancer un message clair à tout le monde : la grande priorité est de nettoyer la ville. Toute la ville.

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Depuis que je suis chroniqueur, aucun texte n’a fait plus réagir que celui qui dénonçait l’état déplorable de la rue Sainte-Catherine, en décembre dernier. Des centaines de courriels, mais un seul message : y a pas que la Sainte-Cat qui est sale…

« Se promener sur les grandes artères montréalaises est déprimant », a écrit Odette Baribeau. « Je ne suis pas maniaque de propreté, mais quand la saleté devient la norme, je me pose des questions », a ajouté Denis Bouchard. « Il était temps qu’on parle de ce sujet au lieu de se gargariser avec des “projets porteurs” », a renchéri Roger Huot.

Tout ce beau monde avait son exemple, pigé aux quatre coins de l’île. Lucien Le Comte m’a dit son dégoût des tags qui prolifèrent dans Saint-Henri, NDG et Hochelaga. Line Boudreault m’a partagé la « honte » qu’elle ressent lorsqu’elle croise des touristes dans le Quartier chinois. Hélène Lamarche m’a parlé des poubelles qui débordent constamment dans Verdun.

Il y a là, manifestement, une colère sourde. Une exaspération des Montréalais, qui s’exprime régulièrement dans les enquêtes d’opinion, où une majorité de citadins se désolent de la malpropreté de la métropole.

Un coup de barre est donc souhaité, et souhaitable. Un retour aux bases mêmes des responsabilités municipales. Car au-delà des « projets porteurs », au-delà des gestes de grandeur, les citoyens et visiteurs de Montréal rêvent à une ville tout simplement propre.

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