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L’université gratuite  ? Ce rêve est accessible aux étudiants brillants. Des bourses leur sont versées automatiquement par 10 des 15 universités du Québec, qui cherchent à les attirer. La mesure est toutefois contestée, puisque ce sont souvent les étudiants plus faibles qui les subventionnent.

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L’université est gratuite pour les « bolles »

L’université gratuite  ? Ce rêve est accessible aux étudiants brillants. Des bourses leur sont versées automatiquement par 10 des 15 universités du Québec, qui cherchent à les attirer. La mesure est toutefois contestée, puisque ce sont souvent les étudiants plus faibles qui les subventionnent. Notre chroniqueur Francis Vailles explique.

Des milliers d’étudiants font leur demande d’admission à l’université avant vendredi prochain, le 1er mars. Or, saviez-vous que l’université est gratuite pour les plus brillants d’entre eux qui entrent au bac  ? Gratuite comme dans : pas de droits de scolarité la première année  ?

C’est l’étonnante découverte que j’ai faite en fouillant les sites internet des universités québécoises, que j’ai complétée avec une série de questions précises auprès des établissements. Cette gratuité pour les « bolles » suscite parfois une certaine controverse (voir autre texte).

Selon mes recherches, 10 des 15 universités offrent une forme ou une autre de ces bourses d’accueil automatiques aux étudiants qui ont obtenu de très bons résultats au cégep. Plus encore : dans certains cas, c’est un étudiant sur sept ou sur huit qui en bénéficie. C’est le cas à l’Université du Québec à Rimouski (13,8 %). L’objectif est bien clair : attirer et retenir les meilleurs candidats, gage de crédibilité pour l’établissement ou même de survie, en région(1).

Le mot « gratuit » est un peu fort, je l’avoue, mais tout de même, recevoir une bourse de 3000 $ quand les droits de scolarité annuels tournent autour de 3200 $, c’est ce que j’appelle gratuit, ou presque.

Notez que dans la plupart des cas, ces bourses d’admission ne valent que pour la première année d’un cursus de trois ou quatre ans.

Certaines universités offrent de telles bourses automatiques depuis très longtemps, comme HEC Montréal, tandis que d’autres en sont à leur première année, comme l’École de technologie supérieure (ETS), qui forme des ingénieurs. 

Sans surprise, c’est l’Université McGill qui a le programme le plus généreux, grâce à ses nombreux donateurs. L’établissement y a injecté 600 000 $ pour attirer les meilleurs au cours de la dernière année dans ses diverses facultés (173 boursiers). L’ETS, HEC Montréal et Polytechnique suivent, avec 447 000 $, 330 000 $ et 270 000 $.

La cote R

Pour verser une bourse aux étudiants venant du cégep, le critère uniformément utilisé est la cote de rendement moyenne au collégial (CRC) ou cote R. Cette cote est jugée plus représentative de la force de l’étudiant que sa moyenne générale en pourcentage, puisqu’elle tient compte non seulement des notes obtenues, mais aussi de l’écart avec la moyenne des groupes et de la force relative du cégep.

La cote R globale des étudiants se situe généralement entre 15 et 40. Par exemple, à l’Université de Montréal, il faut avoir une cote R de plus de 34,95 pour entrer en médecine, de 32,12 en droit et de 27,34 en travail social. Le génie ? 26. L’enseignement au primaire ? 23.(2)

Cette cote R sert de référence pour donner les bourses automatiques aux nouveaux inscrits. Et quand je dis automatique, je veux dire sans autre critère que la cote R et souvent même sans avoir à remplir de formulaires outre la demande d’admission générale. Vous avez une cote R de plus de 32 à votre entrée à HEC  ? On vous envoie votre chèque, point. Date limite d’inscription : 1er mars.

Cela dit, la cote R exigée pour avoir une telle bourse automatique varie. À l’ETS, une bourse automatique de 2500 $ est attribuée à partir de 31,5 de cote R, contre 36 à Polytechnique Montréal et environ 36,25 à McGill. 

Évidemment, la hauteur de la cote exigée influence le nombre de bourses, puisque les inscrits très brillants sont plus rares.

C’est ce qui explique qu’avec sa cote relativement basse de 31,5 pour avoir une bourse, l’ETS a eu un nombre plus important de boursiers « automatiques » qu’ailleurs au cours de la dernière année, soit 206, ce qui représente 10,3 % de ses nouveaux inscrits venant du cégep.

Autre particularité de l’ETS : les femmes qui s’inscrivent – peu nombreuses en génie – bénéficient d’une bourse automatique de 1500 $ dès qu’elles ont 27 ou plus de cote R.

Par ailleurs, ce ne sont pas toutes les facultés des universités qui participent au programme de bourses d’accueil. À l’Université de Sherbrooke, seuls les inscrits aux bacs de la faculté des sciences de même que ceux en gestion ou en économie sont admissibles à ces bourses d’excellence illimitées en fonction de la cote R. La somme augmente progressivement avec la cote R. 

De plus, certaines universités ont revu complètement ou revoient en ce moment leur programme de bourses automatiques, doutant de leur pertinence. C’est le cas de l’UQAM, mais surtout de l’Université Laval (voir autre texte).

Demain, ne manquez pas la comparaison des cotes R de 11 universités pour les facultés d’administration, de droit et de génie.

(1) À l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), les droits de scolarité sont entièrement remboursés à tous les étudiants québécois en génie, peu importe leur cote R. Les droits sont aussi remboursés à la 2e année, selon l’atteinte de certains résultats de l’étudiant. L’an dernier, huit étudiants en ont bénéficié.

(2) La cote R a ses limites, puisqu’elle ne mesure pas le degré d’empathie des candidats en médecine, par exemple, ni les capacités de communication ou de travail en équipe des futurs ingénieurs. Et à la marge, un étudiant qui a 29,2 de cote R n’est pas nécessairement plus fort qu’un autre qui a 28,5.

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Controverse autour des bourses pour les étudiants brillants

Les bourses d’admission soulèvent une certaine controverse dans la communauté universitaire canadienne.

Un article paru dans le magazine Affaires universitaires en août 2017 révèle que les universités attribuent des bourses automatiques sans savoir si elles atteignent leur objectif, soit recruter et retenir les meilleurs étudiants. Le reportage cite un sondage auprès d’étudiants canadiens selon lequel seulement 3 % d’entre eux ont modifié leurs choix en raison de la bourse d’admission.

Selon l’article, de telles bourses pourraient absorber 100 millions de dollars de fonds des universités venant du budget de fonctionnement. En Ontario, 15 des 19 universités offraient ce type de bourse en 2012 pour les étudiants dont la moyenne au secondaire excédait 80 %.

Ici au Québec, 10 des 15 universités offrent de telles bourses automatiques aux nouveaux venus du cégep, selon mes recherches. Le seul critère d'attribution est la cote R, soit une cote qui tient compte de la moyenne générale de l’élève, mais également de son écart par rapport au groupe et de la force relative du cégep.

Dans 6 des 10 établissements, l’argent versé aux étudiants brillants vient de leur budget de fonctionnement, tandis que pour les autres, les fonds viennent de fondations. La somme puisée dans les budgets des 6 établissements au cours de la dernière année à cette fin totalise 1,1 million de dollars, selon mes recherches.

Certaines universités ont revu complètement ou sont en train de revoir leur programme de bourses. C’est le cas de l’UQAM, mais surtout de l’Université Laval.

Cet établissement de Québec avait un programme de bourses automatiques universel il y a 10 ans, qui lui coûtait 1,2 million de dollars par année. Depuis, la somme a progressivement fondu jusqu’à 102 000 $ cette année et le budget est de 48 000 $ pour l’an prochain.

La porte-parole, Andrée-Anne Stewart, m’explique que cette décision a été prise après avoir fait des sondages auprès des étudiants. « Nous avons conclu que ces bourses avaient un faible impact sur la décision des étudiants quand vient le temps de choisir leur université. La plupart considèrent d’autres critères avant la bourse, notamment la qualité du programme d’études, la proximité, l’offre de logements, etc. »

Aujourd’hui, seuls les programmes de musique, de théologie et de philosophie offrent une telle bourse automatique aux étudiants qui choisissent l’établissement. Il appert que le budget de 1,2 million d’il y a 10 ans aurait été réaffecté à d’autres bourses, qui comptent des critères différents et plus nombreux.

Les faibles subventionnent les forts

Pour ma part, je m’interroge. Je peux comprendre que dans un contexte de forte concurrence internationale, comme le vit l’Université McGill, les bourses d’admission puissent être pertinentes, d’autant que ce sont des fondations qui avancent les fonds.

Toutefois, pour les universités locales qui paient les bourses à même leur budget, c’est particulier. Ces budgets, rappelons-le, sont financés par les subventions gouvernementales et les paiements des droits de scolarité des étudiants. Dit autrement, ce sont les étudiants moyens ou faibles qui paient les bourses automatiques versées aux étudiants très forts.

De plus, dès qu’une faculté offre une bourse aux meilleurs, les autres facultés peuvent difficilement ne pas suivre, car elles risquent de perdre une clientèle recherchée. Le hic, c’est que si toutes les facultés offrent une bourse équivalente, la bourse n’entraîne plus d’attrait particulier pour aucune faculté.

Par exemple, en administration, 6 des 8 universités offrent des bourses automatiques, qui varient de 500 $ à 5000 $. Et comme il s’agit souvent de fonds publics, c’est l’équivalent d’une subvention versée aux très forts et payée par les plus faibles.

Particulier, non ?

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