Opinion : Journée mondiale du théâtre

Le théâtre est un acte de révolte

Je me souviens de la première pièce de théâtre à laquelle j’ai assisté ; une production de L’Umiak, de Michel O. Noël, présentée par le Théâtre de la Marmaille en 1984. À l’âge de 5 ans, je me suis retrouvé dans une salle en compagnie de ma mère et j’ai été transporté dans un monde si différent du mien que j’ai d’abord eu peur.

La production était ce que nous appelons aujourd’hui une expérience immersive, dans laquelle on nous faisait toucher et sentir des morceaux de fourrure et du poisson séché afin de nous plonger plus profondément dans l’univers de la pièce. Celle-ci nous a progressivement révélé une histoire à laquelle nous pouvions tous nous identifier, celle d’une famille qui tente de survivre et de l’amour qui unit ses membres.

À la fin du spectacle, on nous a demandé de former un cercle. Certains membres du public, dont ma mère, ont été invités à se coucher au centre alors que les autres participants devaient leur créer un rêve en agitant au-dessus d’eux un parachute coloré. Je n’oublierai jamais la joie et l’émerveillement qui se lisaient sur le visage de ma mère alors qu’elle se permettait de vivre ce moment, de même que ma propre joie engendrée par l’idée d’être celui qui l’aidait à se sentir ainsi. Que ces sensations soient demeurées en moi pendant plus de 30 ans en dit long sur le pouvoir du théâtre bien sûr, mais davantage encore sur la capacité de celui-ci à provoquer l’empathie, à nous permettre de ressentir quelque chose à l’égard de nos semblables.

Je suis un parent maintenant et l’empathie me préoccupe beaucoup. Je pense au monde dans lequel vivent mes filles et aux conversations que nous devons avoir après avoir écouté la radio au petit déjeuner. Des conversations sur l’intolérance, la discorde et la politique haineuse, sur la guerre civile et les frontières fermées. Des conversations sur la difficulté à faire preuve de gentillesse à l’égard de nos semblables et à comprendre que, même s’ils viennent parfois de loin, ils ont aussi une famille.

Nous savons que le théâtre peut être politique. Nous savons qu’il peut mettre en lumière l’injustice sociale, nous mettre en garde contre les erreurs du passé, critiquer et attaquer les pouvoirs en place.

Mais le théâtre d’aujourd’hui a une nouvelle vocation, car, en fait, l’acte même d’aller au théâtre est devenu politique.

Alors que le monde qui nous entoure semble vaciller, le simple fait de se retrouver ensemble dans une salle – en personne – et de ressentir quelque chose pour quelqu’un constitue un acte de révolte. Pleurer ensemble, rire, débattre, rêver, s’ennuyer, se mettre en colère ENSEMBLE, c’est affronter la discorde de notre temps.

L'importance de l'empathie

En cette Journée mondiale du théâtre, je mets au défi la communauté théâtrale canadienne – et ma propre personne, en tant que dirigeant d’une de ses institutions les plus enracinées – de nous rappeler l’importance de l’empathie. Nous devons être plus motivés, plus courageux et plus inventifs que jamais pour imaginer de nouveau le rôle que nos institutions et que notre travail jouent dans la société. Nous devons voir au-delà des plans stratégiques, des renouvellements d’abonnements et des résultats financiers pour créer des communautés ouvertes, inclusives et variées autour des arts de la scène.

Nous devons nous inciter tous les jours à remettre en question qui nous invitons à raconter des histoires sur nos scènes et qui nous invitons à regarder ces histoires dans nos salles. Nous devons nous rappeler que nous faisons ce que nous faisons non pour nous-mêmes, mais parce que nous avons une responsabilité civique de servir nos communautés et de les aider à naviguer dans le monde complexe auquel nous sommes confrontés. Si nous oublions cela, nous serons laissés pour compte. Mais si nous misons davantage sur le pouvoir du théâtre pour rassembler les gens, le reste suivra.

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