Industrie du cannabis médical

Chuck Rifici, pionnier d’un marché controversé

Parmi les principaux bénéficiaires des investissements extraterritoriaux dans l’industrie du cannabis figure une société appartenant à un libéral controversé. Qui est Chuck Rifici ?

Figure incontournable du cannabis médical, Chuck Rifici a été parmi les tout premiers Canadiens à obtenir une licence de production de Santé Canada, sous le règne du premier ministre conservateur Stephen Harper.

Après avoir fondé Tweed en 2014, qui vaut aujourd’hui 5,1 milliards en capitalisation boursière, il a quitté l’entreprise et brièvement rejoint en 2015 les rangs d’un autre géant canadien en devenir, Aurora Cannabis, dont la valeur boursière s’établit aujourd’hui à 5 milliards.

Jusqu’à l’été 2016, cet ingénieur informatique, qui parle un excellent français, était chef des finances du Parti libéral du Canada, un poste bénévole qui, dit-il, ne lui a jamais donné accès aux décisions politiques du parti. « Le seul avantage que j’en ai tiré, c’est l’attention médiatique que ça m’a apportée », affirme l’homme de 43 ans, qui est également comptable agréé.

« L’industrie du cannabis est très sévèrement contrôlée et on n’a pas le droit de faire de la publicité d’aucune façon. La controverse m’entourant m’a d’une certaine façon aidé. »

— Chuck Rifici

Toujours membre du parti

Toujours membre du parti – et même du sélect Club Laurier, réservé aux militants du Parti libéral du Canada qui donnent le maximum de 1500 $ par année permis par la loi – il dirige aujourd’hui plusieurs entreprises liées au cannabis médical inscrites en Bourse : Wheaton Income (voir autre texte), Buzz Capital et Nesta Holding, pour ne nommer que celles-là.

National Access Cannabis, une autre de ses entreprises, est un fournisseur de services médicaux aidant les patients à obtenir des soins impliquant la marijuana médicale. C’est la fille de l’ex-premier ministre Jean Charest, Alexandra Dionne Charest, qui agissait jusqu’à l’automne comme lobbyiste pour cette entreprise auprès des ministères de la Santé et des Services sociaux, de la Justice, des Finances et de la Sécurité publique, indique le registre des lobbyistes. « Mon mandat avec National Access Cannabis s’est terminé le 31 octobre 2017 », a-t-elle indiqué dans un courriel.

Sarah Bain, la vice-présidente aux Affaires externes de Wheaton, a quant à elle été directrice des communications du Parti libéral du Canada pendant trois ans.

Chuck Rifici ne le cache pas : « C’est essentiel au Canada d’avoir dans son équipe une personne qui a une expérience politique semblable. »

« La légalisation du cannabis est vraiment une grande opportunité d’affaires, mais c’est aussi un enjeu politique très instable », dit-il.

« Les gens qui ont de l’expérience en politique sont nécessaires pour naviguer dans cet univers, parce que ça bouge vite. »

— Chuck Rifici

La présence très controversée de nombreux ex-ministres et députés influents du PLC au sein de plusieurs entreprises du secteur s’explique, selon lui, par le dédain naturel des politiciens conservateurs pour cette industrie. « Stephen Harper disait que le cannabis est infiniment plus dangereux que le tabac. Si tu penses ça, il y a beaucoup moins de chances que tu travailles dans l’industrie du cannabis. Les conservateurs sont encore contre le cannabis, donc c’est juste normal qu’ils soient absents de ce secteur », affirme M. Rifici, qui a obtenu sa première licence de production sous le règne de Stephen Harper.

Litige contre Rona Ambrose et deux conservateurs

Trois élus conservateurs et l’homme d’affaires ont un sérieux contentieux à régler devant les tribunaux. En novembre 2016, les députés Rona Ambrose, Alex Nuttal et Blain Calkins avaient affirmé dans une conférence de presse que M. Rifici a fait un délit d’initié sur le titre de Canopy Growth (la société mère qui possède Tweed) grâce à des informations privilégiées que son statut de chef des finances du PLC lui conférait. 

Ces affirmations ont été faites dans l’enceinte du parlement, où les élus jouissent d’une immunité, mais M. Rifici accuse les trois conservateurs d’avoir « participé à une série d’attaques personnelles coordonnées et calculées » en publiant ces « déclarations diffamatoires » sur les réseaux sociaux. Il leur réclame 100 000 $ en dommages. 

« C’est important pour moi d’aller jusqu’au bout de cette affaire, dit M. Rifici, parce que la majorité des investisseurs canadiens et américains ne savent pas ce qu’est le privilège parlementaire. Pour moi, c’est important de tracer une ligne dans le sable et montrer qu’ils sont allés trop loin. »

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