Opinion : Le projet Royalmount 

Mégalomanie commerciale à haut risque

Aux dires des promoteurs du Royalmount, Montréal retirera de grands bénéfices de la réalisation de ce mégacomplexe à la croisée de deux autoroutes. Est-ce si certain ? D’aucuns veulent bien les croire sur parole. D’autant qu’on fait miroiter la création de milliers d’emplois et le versement de millions de dollars en taxes.

Mais est-ce crédible d’affirmer, compte tenu de ce qu’on observe ici et ailleurs depuis plusieurs années, que les impacts sur la distribution et le dynamisme de l’offre commerciale et culturelle du cœur de la métropole seront minimes, voire positifs ? Que Montréal regagnera une partie du terrain perdu au profit de la banlieue ? Qu’il y aura création nette de milliers d’emplois ? Que l’ajout sur le réseau autoroutier avoisinant de « seulement 5 % » de voitures à une charge véhiculaire déjà excessive ne doit pas inquiéter ? Qu’une disponibilité de plusieurs milliers de places de stationnement ne favorisera pas un accès automobile ? Qu’une passerelle chevauchant l’autoroute 15 pour favoriser les transports collectifs permettra à Montréal de se targuer d’avoir un équipement phare assimilable au High Line new-yorkais ?

Les ratés de la revitalisation du quartier Griffintown ne montrent-ils pas qu’il est très mal avisé et coûteux de subordonner l’intérêt public et une planification rigoureuse aux intérêts de promoteurs, aussi bien intentionnés soient-ils ?

D’autant que l’emplacement où serait réalisé le projet, et dont on justifie le réaménagement par l’érosion de sa vocation industrielle, est au cœur d’une vaste zone où se trouvent d’autres friches de grandes superficies, notamment celle de l’hippodrome, en attente de réaménagement depuis les années 70, et celles qui s’étendent au nord de l’autoroute 40. Est-il prudent, considérant la concentration de telles friches au cœur de l’île, de substituer un redéveloppement à la pièce à une vision stratégique qui fait malheureusement toujours défaut, malgré l’adoption du plan métropolitain d’aménagement et de développement et du schéma d’agglomération ? Pourquoi, en la circonstance, prendre le risque de répéter l’expérience malheureuse de Griffintown ?

La caution internationale

On pourrait rétorquer que les promoteurs offrent une garantie supplémentaire de leur sérieux en s’inspirant de réalisations de calibre international. Cette prétention mérite qu’on s’y attarde. Le Bullring Shopping Center de Birmingham et le complexe immobilier Liverpool One de la ville éponyme ont notamment été cités. L’un et l’autre n’ont strictement rien de comparable. Ces deux réalisations relèvent de la culture européenne de projets urbains pilotés par les autorités publiques afin de consolider les activités et les environnements bâtis des centres-villes.

Qui plus est, dans le cas de Birmingham, l’opération avait pour objectif de faire disparaître un ensemble de grands équipements de voirie à caractère autoroutier hérités des années 60. On voit mal, en conséquence, quels enseignements les promoteurs du projet Royalmount peuvent bien tirer de ces réalisations.

On a par ailleurs évoqué l’exemple de l’Istinye Park Mall (2007) et du Mall of Istanbul (2014). Ces deux complexes se situent, comme il se doit, au voisinage d’autoroutes de la périphérie d’Istanbul. Ils constituent la transposition, adoptée par un pays émergent désireux d’affirmer son adhésion à la culture de la consommation de masse, d’une formule qui a essaimé aux États-Unis dans les années 90. Une formule qui témoignait, à l’époque, d’une volonté de donner naissance à une nouvelle génération de grands équipements commerciaux et dont le West Edmonton Mall (1981) a été un précurseur.

Pour l’innovation, on repassera. Mais qu’en est-il du caractère durable ?

Pour survivre dans un marché extrêmement compétitif, ces équipements, complètement refermés sur eux-mêmes afin d’internaliser l’ensemble des retombées, doivent constamment se renouveler.

Le West Edmonton Mall a été agrandi en 1983, 1985 et 1999 et devra à nouveau l’être pour demeurer dans le peloton de tête. À Paris, le complexe EuropaCity, dont l’ouverture est prévue pour 2021, donne la mesure de la démesure à laquelle les promoteurs doivent désormais s’astreindre pour se démarquer. Le complexe proposera, sur un site de 80 hectares (quatre fois la superficie du projet Royalmount), un mélange qui s’apparente à ce qui est envisagé ici. On y aura accès à 500 enseignes commerciales, à un parc d’attractions, à un parc aquatique, à une salle de spectacle, à une piste de ski intérieure, à plus de 2500 chambres d’hôtel, à un centre des congrès et à une halle d’exposition.

Loin d’être un exemple de développement durable, le Royalmount n’est que l’expression, à échelle réduite, de la mégalomanie qui règne aujourd’hui dans le monde du commerce et du divertissement et dont une des caractéristiques est l’obsolescence extrêmement rapide.

Prétendre, comme plusieurs le font, que le Royalmount mérite d’être soutenu malgré tout, du simple fait qu’il s’agit d’un investissement privé qui aura des retombées économiques et fiscales et dont les risques seront entièrement assumés par les promoteurs, c’est faire peu de cas des enjeux urbanistiques complexes que soulève ce projet. Mais c’est aussi défendre une bien piètre conception de ce que devrait être l’urbanisme montréalais. Suffit-il d’improviser une offre de 7000 logements pour changer la donne ?

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