Longue randonnée

la randonnée en famille

Qui a dit que marcher pendant des kilomètres avec un sac à dos chargé est trop dur pour des enfants ? Probablement des parents trop douillets. Parce que selon les experts de la randonnée et de petits amateurs de marche, rien n’empêche d’initier les enfants à un très jeune âge. 

UN DOSSIER DE DAVID SANTERRE

Trop dur pour les petits ? 

Après 15 km de marche dans la brume, sur la neige croûtée, sur une pente escarpée avec de gros cailloux pointus, combinée à des températures tantôt glaciales, tantôt frôlant les 30 °C, l’arrivée au Tétras de deux enfants de 8 et 10 ans, au sac à dos chargé de matériel pour deux jours, a fait son effet chez les autres randonneurs.

« Vous êtes tough ! On n’a vu aucun autre enfant en longue randonnée cette semaine », s’exclame la femme d’un couple qui faisait à pied la traversée du parc national de la Gaspésie, communément appelé parc des Chic-Chocs.

Le Tétras, c’est un refuge situé dans un paysage quasi lunaire, entre les sommets des monts Jacques-Cartier et Xalibu, tous deux dépassant les 1000 mètres.

Les deux garçons, Alexandre et Julien, ont aidé leur père (l’auteur de ces lignes) et leur grand-père à filtrer l’eau de l’étang voisin pour la rendre potable. Ils ont aussi contribué à la préparation d’un bon repas – charcuteries, fromages, pâtes – qu’ils ont en partie transporté, allumé un feu, et fait sécher leurs vêtements et leurs bottes.

Un scénario qui s’est répété l’été suivant, au cours d’une randonnée de trois jours et deux nuits, cette fois sur le Sentier des Caps, dans Charlevoix. Et là aussi, toujours pas de copain de leur âge en vue. « On croise d’autres enfants dans les sentiers, mais qui sont en courte randonnée d’un jour. On aimerait en voir plus dans les refuges », dit Julien, aujourd’hui âgé de 12 ans.

Ce qui les amène à se demander s’ils sont des extraterrestres, et à demander à leur père s’il est un bourreau.

Selon des spécialistes de la randonnée au Québec, il y a bel et bien quelques enfants sur les longs sentiers, mais ils sont rares. Pourtant, aucune contrainte n’empêche d’initier nos jeunes à cette grande aventure, outre la frilosité des parents qui craignent de voir l’organisation trop complexe et finissent par partir seuls en faisant garder la marmaille.

Un kilomètre par année

À quel âge peuvent-ils prendre leur sac et partir quelques jours en montagne ? C’est la grande question. « Il n’y a pas d’âge précis. Mais l’énergie des enfants n’est pas inquiétante », répond Éric Chouinard, directeur du Sentier international des Appalaches (SIA), qui se souvient d’avoir trimballé sa fille de 7 ans du mont Jacques-Cartier au Gîte du Mont-Albert, en Gaspésie, deux copieux jours en montagne. « Un enfant est capable de marcher en montagne autant de kilomètres que son âge dans une journée », ajoute Grégory Flayol, directeur adjoint de Rando Québec.

« À partir de 7 ans, il aura la capacité de transporter un sac de couchage, des vêtements et son eau. Avec son sac à dos, il va se sentir impliqué. »

— Grégory Flayol

« Si faire du plein air et planifier des activités est déjà présent dans leur vie, ils embarqueront », croit M. Chouinard.

Préparation

Il faut bien préparer sa randonnée et surtout ne pas prévoir battre de record de vitesse. « Avoir un objectif de temps précis est une mauvaise idée. Avec un enfant, il faut anticiper, ne pas être pressé, adapter les distances en fonction du niveau de difficulté », prévient Grégory Flayol. Un tuyau de sa part : « Si vous en avez la possibilité, réservez les refuges en entier. On ne veut pas avoir l’impression de déranger les autres marcheurs et n’avoir que du plaisir. » Comme pour toute longue randonnée, avec ou sans enfants, il faut aussi informer nos proches de notre itinéraire au cas où surviendrait un pépin. La couverture téléphonique en montagne est hasardeuse.

À 10 comme à 50 ans, le matériel essentiel à la randonnée est le même. Un sac à dos ajusté à notre taille, un sac de couchage chaud, de bonnes bottes essayées en ville d’abord, question de les « casser », et des bâtons. L’enjeu, c’est plutôt le poids du sac. « Le sac ne doit pas dépasser 25 % du poids de l’enfant », explique Éric Chouinard. « Les parents devront traîner plus de matériel, la capacité de charge des enfants étant moindre. Il faut donc que les parents soient bien équipés, avec du matériel léger », ajoute Charles Préfontaine, coordonnateur du programme de technique en tourisme d’aventure au cégep de la Gaspésie et des Îles, à Gaspé. Aussi, pour diminuer le poids des sacs, on recommande aux familles des itinéraires avec refuges plutôt que le camping, qui force à trimballer une tente. Le SIA offre même de transporter vos bagages d’une étape à l’autre, vous permettant de marcher le dos léger.

Transformer l’effort en jeu

Comment ne pas donner l’impression aux enfants que grimper, marcher, le dos bien chargé, vaut mieux qu’une journée de jeux vidéo ? « Il faut leur parler de découvertes, d’animaux, de rivières, de montagnes et de points de vue. Il ne faut pas leur donner l’impression qu’on fait un effort pour faire un effort, conseille Grégory Flayo. L’arrivée au refuge en soi devient un but intéressant pour eux. Après deux heures de montée, on arrive, on pose le sac et ils vont explorer les environs. » « Le truc ultime, c’est d’avoir de bons bonbons ! Ça marche très bien avec les moins de 8 ans, dit en rigolant Éric Chouinard. On se dit qu’on marche 30 minutes et on se prend un bonbon. On veut leur faire découvrir la nature, dans le plaisir. »

Nos deux jeunes randonneurs aimeraient bien voir plus de jeunes de leur âge sur les sentiers. « Si on commence jeune, on va adorer ça et apprécier. C’est une fausse croyance que les jeunes vont chialer après quelques kilomètres de marche », croit Julien. « On voit de beaux paysages, on découvre de nouveaux horizons, et on est mieux en randonnée qu’en autobus de touristes. On est dans la vraie nature, c’est calme », poursuit-il. Son meilleur souvenir de rando ? « Sur le mont Jacques-Cartier, un caribou est passé très près de nous. J’ai une photo de ça ! », dit-il, avec l’accord de son frère. « Si les parents sont capables de le faire, les enfants le sont aussi. C’est pas plus difficile », dit-il.

Quatre sentiers pour s’initier

Forêt Ouareau (Lanaudière)

« La forêt Ouareau, c’est très bien. Ce n’est pas loin et c’est accessible. Il y a possibilité de marcher de refuge en refuge ou de dormir dans le même et de rayonner à partir de là chaque jour », décrit Grégory Flayol, directeur adjoint de Rando Québec. Quant au mont Ouareau, tout près, mais hors du parc, « il est bien pour une marche de deux jours et une nuit. Ça monte pas mal pour des petites jambes, mais le sommet est une belle récompense », ajoute-t-il.

Sentier des Caps (Charlevoix)

Un sentier qui suit les crêtes dominant le fleuve Saint-Laurent, entre le cap Tourmente et le Massif, dans Charlevoix. Certains passages sont techniques, mais le sentier principal se fait très bien et les refuges sont de bon niveau. « Il faut choisir ses secteurs de marche selon le niveau des enfants », recommande Grégory Flayol. L’administration du sentier peut déplacer votre voiture jusqu’à l’endroit où se terminera votre parcours, si vous ne revenez pas à votre point de départ.

Vallée Bras-du-Nord (Portneuf)

Un petit bijou méconnu à Saint-Raymond-de-Portneuf, près de Québec. « C’est très beau, et même si on n’y est pas en haute altitude, on y trouve un bon challenge. Les montées sont courtes, mais bien raides. On y trouve des points de vue incroyables, les services y sont bien développés, avec des yourtes et des refuges pour la longue randonnée. Un bon site pour l’initiation », décrit M. Flayol.

Sentier international des Appalaches (Gaspésie) 

Ce sentier, dont le point de départ est dans le sud des États-Unis, traverse la Gaspésie de Matapédia au parc Forillon. Son passage le plus spectaculaire, ce sont les Chic-Chocs, mais Éric Chouinard, directeur du Sentier international des Appalaches, recommande d’autres tronçons. « Il y a un secteur qui se fait en trois ou quatre jours que j’aime beaucoup, entre Sainte-Marguerite et Amqui. On peut marcher deux de large, on voit l’arrière-pays, des fosses à saumon, ça fait une diversité intéressante. C’est moins difficile que les Chic-Chocs et la réserve de Matane, et ça demande moins de planification. Et si tu es mal pris, c’est facile de sortir du sentier », décrit-il. Au nord, le secteur Côte-de-Gaspé passe de village côtier en escarpement sur le fleuve. « C’est plus qu’un défi de sommets », affirme-t-il.

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