Chasser les pensées suicidaires
Avril Harvey 32 ans, cuisinière
La solitude et l’isolement étaient deux sentiments très forts chez Avril Harvey, qui a tenté de se donner la mort au début de la vingtaine. « La pensée du suicide ne disparaissait pas. Toute ma vie tournait autour de ça. C’était constant depuis mon très jeune âge », confie la jeune mère de deux enfants.
Elle a dû voir plusieurs psychologues avant de tomber sur celle qui allait l’aider à faire disparaître ses pensées suicidaires encore présentes plusieurs années après la tentative : « Elle m’a donné le droit d’avoir des pensées suicidaires et expliqué qu’on allait apprendre à vivre avec. »
Puis il y a eu cette première journée sans pensées noires.
« Je me suis couchée le soir et j’ai réalisé que de A à Z, à aucun moment je n’avais pensé au suicide. »
— Avril Harvey
« Ça m’a montré que j’étais sur la bonne voie. J’ai compris que les choses pouvaient changer, je savais que c’était possible une journée sans pensées, je me suis accrochée à ça. »
Aujourd’hui, c’est l’adrénaline qui l’aide à rester sereine : « Ç’a été mon médicament et c’est encore le cas aujourd’hui : escalade, parachute, grand défi de ski de fond, etc. Me mettre à risque m’aide à aimer la vie. » Elle travaille également sur un projet de prévention du suicide par l’entremise d’affiches en milieu de travail qui mettent en vedette des leaders positifs identifiés au sein des entreprises qui y participent. « Mon but avec ça, c’est d’ouvrir les cœurs, souligne-t-elle. Et ça contribue à garder les pensées loin de moi. »
Le pouvoir de la pleine conscience
Nicole Baillargeon 49 ans, enseignante au primaire
Elle a occupé des fonctions de direction d’école pendant plusieurs années avant de vivre une période de souffrance où, comme elle le décrit, les astres étaient mal alignés. Pendant trois ans, elle a dû affronter des idées noires récurrentes. « Ç’a été très long, je ne me reconnaissais plus. Le suicide était devenu une option », confie-t-elle. Après des rencontres avec une psychologue, le sport, les oméga-3, les antidépresseurs, la lecture de plusieurs livres de psychologie, des appels nocturnes au Centre de crise de Québec puis un séjour à ce même centre et une volonté de s’en sortir, c’est le yoga et la méditation pleine conscience qui ont finalement tout changé pour elle. « J’avais des préjugés envers ça, mais après avoir fait mes recherches, j’ai compris que ça pouvait vraiment avoir un impact sur mon cerveau », explique Mme Baillargeon, qui est mère de quatre enfants.
Après six mois de pratique, elle réalise qu’elle a le pouvoir d’arrêter les spirales dans sa tête.
« Je me suis dit : il y a des gens qui arrêtent de boire, arrêtent de fumer, arrêtent de consommer des drogues, une envie à la fois. Je me suis dit que j’allais contrôler chaque idéation suicidaire, une respiration à la fois. J’y suis arrivée. »
— Nicole Baillargeon
Pour cette femme qui se trouve choyée d’enseigner à nouveau, les idées suicidaires sont maintenant derrière elle. « Mes pensées sont inoffensives, alors qu’avant, je les laissais prendre le contrôle. Je veux apprendre à vivre mes émotions plutôt que les fuir », note-t-elle.
Ne pas se cacher
Caroline Bousquet 51 ans, artisane
Ce sont des inquiétudes financières qui ont alimenté des idées suicidaires jusqu’au point d’y penser plus précisément, plus concrètement. Elle croit que c’est le fait d’être mère qui l’a empêchée de passer à l’acte. « Mes enfants ont besoin de moi », explique-t-elle.
Pour s’en sortir, elle a dû demander de l’aide financière. « On imagine que c’est la fin du monde. Quand tu as épuisé tes ressources, il faut trouver d’autres alternatives. Le plus difficile, c’est d’arriver à tendre la main et accepter le fait que l’on ait besoin d’aide. C’est comme ça que je suis sortie du mal-être, de la spirale négative dans laquelle je m’enfonçais. »
Aujourd’hui, Mme Bousquet s’implique en tant que bénévole à Suicide Action Montréal. Elle travaille avec les endeuillés, les proches qui ont perdu un être cher par le suicide. « Ce sont eux qui restent, ils essaient de trouver des explications, ils se blâment beaucoup, dit-elle. C’est important pour moi de pouvoir les accompagner dans ce qu’ils vivent. »
Ses deux enfants sont bien au fait de ce que leur mère a vécu et c’était important pour Caroline Bousquet d’en parler franchement avec eux.
« Mes enfants ont vu que j’ai touché le fond, mais ont aussi vu que je pouvais m’en sortir. Il ne faut pas se cacher. »
— Caroline Bousquet
« La vie met sur notre chemin des situations et des gens magnifiques, il y a des moments de bonheur tellement intenses. Malheureusement, on choisit parfois de ne pas les voir dans les périodes sombres. Je veux leur montrer que la vie n’est pas toujours facile, mais surtout, qu’on peut s’en sortir », résume-t-elle.
Accepter qui l’on est
Mathieu Hachey 23 ans, étudiant
Il a reconnu ses premiers symptômes de dépression vers 16 ans. « J’ai commencé à m’isoler de mes amis, j’avais l’impression que personne ne m’aimait, que j’étais à l’écart des autres, je perdais mon intérêt dans les sports, dans la communauté, envers l’école. C’était à la suite d’une longue succession d’événements difficiles », résume le jeune homme. Cette détresse l’a amené à se faire hospitaliser quelques jours et c’est à la sortie de l’hôpital qu’il a tenté de mettre fin à ses jours.
« Quand j’ai fait ma tentative, j’ai vu à quel point ça avait bouleversé les gens autour de moi, les médecins, les infirmières, ma famille, les amis. Beaucoup de gens tenaient à moi. Beaucoup plus que je pensais. »
— Mathieu Hachey
« J’ai compris que je devais me prendre en main et que cette souffrance que je vivais, elle devait servir à quelque chose. » Par l’écriture, la souffrance s’est transformée en quelque chose de positif.
En 2016, il publie un livre intitulé Sortir de l’ombre et commence à donner des conférences dans les écoles secondaires. Depuis, il reçoit plusieurs courriels d’élèves qui lui posent des questions : comment on va chercher de l’aide, qu’est-ce que ça signifie consulter, comment ça se passe une hospitalisation, etc.
Pour Mathieu Hachey, qui a reçu le diagnostic de dépression majeure, c’est l’acceptation de la maladie mentale qui a complètement changé sa façon de voir la vie. « Je me sentais trop lourd pour mes proches, je me blâmais beaucoup. La journée où j’ai accepté la maladie, c’est la journée où j’ai commencé à avancer. »