prévention du Suicide

Retrouver le goût à la vie

Ils ont vécu des moments difficiles. Une grande souffrance qui les a amenés jusqu’à entrevoir le suicide comme une porte de sortie. Heureusement, soit la tentative a échoué, soit les idées suicidaires, aussi fortes et envahissantes pouvaient-elles être, ont fini par passer. Aujourd’hui, ils souhaitent vivre pleinement. Témoignages.

UN DOSSIER DE NOTRE COLLABORATEUR CHARLES-ÉDOUARD CARRIER

Quatre survivants se racontent

L’envie de se donner la mort prenait toute la place dans leur vie. À force de courage et de persévérance, ils ont eu raison des idées noires et repris le contrôle de leur existence.

Chasser les pensées suicidaires

Avril Harvey 32 ans, cuisinière

La solitude et l’isolement étaient deux sentiments très forts chez Avril Harvey, qui a tenté de se donner la mort au début de la vingtaine. « La pensée du suicide ne disparaissait pas. Toute ma vie tournait autour de ça. C’était constant depuis mon très jeune âge », confie la jeune mère de deux enfants.

Elle a dû voir plusieurs psychologues avant de tomber sur celle qui allait l’aider à faire disparaître ses pensées suicidaires encore présentes plusieurs années après la tentative : « Elle m’a donné le droit d’avoir des pensées suicidaires et expliqué qu’on allait apprendre à vivre avec. »

Puis il y a eu cette première journée sans pensées noires.

« Je me suis couchée le soir et j’ai réalisé que de A à Z, à aucun moment je n’avais pensé au suicide. »

— Avril Harvey

« Ça m’a montré que j’étais sur la bonne voie. J’ai compris que les choses pouvaient changer, je savais que c’était possible une journée sans pensées, je me suis accrochée à ça. »

Aujourd’hui, c’est l’adrénaline qui l’aide à rester sereine : « Ç’a été mon médicament et c’est encore le cas aujourd’hui : escalade, parachute, grand défi de ski de fond, etc. Me mettre à risque m’aide à aimer la vie. » Elle travaille également sur un projet de prévention du suicide par l’entremise d’affiches en milieu de travail qui mettent en vedette des leaders positifs identifiés au sein des entreprises qui y participent. « Mon but avec ça, c’est d’ouvrir les cœurs, souligne-t-elle. Et ça contribue à garder les pensées loin de moi. »

Le pouvoir de la pleine conscience

Nicole Baillargeon 49 ans, enseignante au primaire

Elle a occupé des fonctions de direction d’école pendant plusieurs années avant de vivre une période de souffrance où, comme elle le décrit, les astres étaient mal alignés. Pendant trois ans, elle a dû affronter des idées noires récurrentes. « Ç’a été très long, je ne me reconnaissais plus. Le suicide était devenu une option », confie-t-elle. Après des rencontres avec une psychologue, le sport, les oméga-3, les antidépresseurs, la lecture de plusieurs livres de psychologie, des appels nocturnes au Centre de crise de Québec puis un séjour à ce même centre et une volonté de s’en sortir, c’est le yoga et la méditation pleine conscience qui ont finalement tout changé pour elle. « J’avais des préjugés envers ça, mais après avoir fait mes recherches, j’ai compris que ça pouvait vraiment avoir un impact sur mon cerveau », explique Mme Baillargeon, qui est mère de quatre enfants.

Après six mois de pratique, elle réalise qu’elle a le pouvoir d’arrêter les spirales dans sa tête.

« Je me suis dit : il y a des gens qui arrêtent de boire, arrêtent de fumer, arrêtent de consommer des drogues, une envie à la fois. Je me suis dit que j’allais contrôler chaque idéation suicidaire, une respiration à la fois. J’y suis arrivée. »

— Nicole Baillargeon

Pour cette femme qui se trouve choyée d’enseigner à nouveau, les idées suicidaires sont maintenant derrière elle. « Mes pensées sont inoffensives, alors qu’avant, je les laissais prendre le contrôle. Je veux apprendre à vivre mes émotions plutôt que les fuir », note-t-elle.

Ne pas se cacher

Caroline Bousquet 51 ans, artisane

Ce sont des inquiétudes financières qui ont alimenté des idées suicidaires jusqu’au point d’y penser plus précisément, plus concrètement. Elle croit que c’est le fait d’être mère qui l’a empêchée de passer à l’acte. « Mes enfants ont besoin de moi », explique-t-elle.

Pour s’en sortir, elle a dû demander de l’aide financière. « On imagine que c’est la fin du monde. Quand tu as épuisé tes ressources, il faut trouver d’autres alternatives. Le plus difficile, c’est d’arriver à tendre la main et accepter le fait que l’on ait besoin d’aide. C’est comme ça que je suis sortie du mal-être, de la spirale négative dans laquelle je m’enfonçais. »

Aujourd’hui, Mme Bousquet s’implique en tant que bénévole à Suicide Action Montréal. Elle travaille avec les endeuillés, les proches qui ont perdu un être cher par le suicide. « Ce sont eux qui restent, ils essaient de trouver des explications, ils se blâment beaucoup, dit-elle. C’est important pour moi de pouvoir les accompagner dans ce qu’ils vivent. »

Ses deux enfants sont bien au fait de ce que leur mère a vécu et c’était important pour Caroline Bousquet d’en parler franchement avec eux.

« Mes enfants ont vu que j’ai touché le fond, mais ont aussi vu que je pouvais m’en sortir. Il ne faut pas se cacher. »

— Caroline Bousquet

« La vie met sur notre chemin des situations et des gens magnifiques, il y a des moments de bonheur tellement intenses. Malheureusement, on choisit parfois de ne pas les voir dans les périodes sombres. Je veux leur montrer que la vie n’est pas toujours facile, mais surtout, qu’on peut s’en sortir », résume-t-elle.

Accepter qui l’on est

Mathieu Hachey 23 ans, étudiant

Il a reconnu ses premiers symptômes de dépression vers 16 ans. « J’ai commencé à m’isoler de mes amis, j’avais l’impression que personne ne m’aimait, que j’étais à l’écart des autres, je perdais mon intérêt dans les sports, dans la communauté, envers l’école. C’était à la suite d’une longue succession d’événements difficiles », résume le jeune homme. Cette détresse l’a amené à se faire hospitaliser quelques jours et c’est à la sortie de l’hôpital qu’il a tenté de mettre fin à ses jours.

« Quand j’ai fait ma tentative, j’ai vu à quel point ça avait bouleversé les gens autour de moi, les médecins, les infirmières, ma famille, les amis. Beaucoup de gens tenaient à moi. Beaucoup plus que je pensais. »

— Mathieu Hachey

« J’ai compris que je devais me prendre en main et que cette souffrance que je vivais, elle devait servir à quelque chose. » Par l’écriture, la souffrance s’est transformée en quelque chose de positif.

En 2016, il publie un livre intitulé Sortir de l’ombre et commence à donner des conférences dans les écoles secondaires. Depuis, il reçoit plusieurs courriels d’élèves qui lui posent des questions : comment on va chercher de l’aide, qu’est-ce que ça signifie consulter, comment ça se passe une hospitalisation, etc.

Pour Mathieu Hachey, qui a reçu le diagnostic de dépression majeure, c’est l’acceptation de la maladie mentale qui a complètement changé sa façon de voir la vie. « Je me sentais trop lourd pour mes proches, je me blâmais beaucoup. La journée où j’ai accepté la maladie, c’est la journée où j’ai commencé à avancer. »

Après la tentative

À court terme, après une tentative de suicide, il peut être difficile de s’imaginer que les choses pourraient s’améliorer. La détresse est encore présente, mais il y a tout un avenir à dessiner. Avec l’aide nécessaire, il est possible de voir la lumière au bout du tunnel.

Les tentatives de suicide ne sont pas toutes pareilles. Ce n’est pas un phénomène homogène ou unique. « Les gens font des tentatives dans des contextes différents, avec des intentions différentes », précise d’entrée de jeu le psychiatre Gustavo Turecki, qui est aussi directeur du Groupe McGill d’études sur le suicide et directeur du Réseau québécois sur le suicide, les troubles de l’humeur et troubles associés. Il décrit la tentative de suicide comme une façon dysfonctionnelle de communiquer la souffrance.

La compassion plutôt que le blâme

Le parcours par lequel on passe après une tentative de suicide est unique à chaque personne. Par contre, Philippe Angers, responsable clinique à Suicide Action Montréal, y voit des ingrédients communs d’une personne à l’autre, quant aux questions que l’on se posera : « Est-ce que je suis en contact avec mes raisons de vivre ? Est-ce que j’ai eu l’occasion d’explorer ce qui a du sens pour moi ? Quelles sont mes relations saines qui peuvent m’aider ? Qui peut me soutenir autour de moi ? »

Alors que l’on est au cœur de cette profonde réflexion, il insiste sur l’importance d’avoir une attitude de compassion. « Si on ne voit pas d’autres options que celle de terminer sa souffrance en posant un geste suicidaire, il faut comprendre que la partie qui veut vivre n’est plus accessible. On ne blâme pas le geste, mais on se questionne plutôt sur comment on change ça », prévient M. Angers.

À l’Association québécoise de prévention du suicide (AQPS), on dit rencontrer énormément de gens qui sont soulagés de ne pas être morts. « Dans ce cas, on doit renforcer les raisons de vivre qui amènent la personne à regretter son geste, tout en demeurant vigilant pour ne pas que les idées suicidaires reprennent », explique Lucie Pelchat, conseillère à la formation à l’AQPS.

Le premier pas vers la guérison

Un autre dénominateur commun après la tentative est l’importance du réseau social. « L’entourage vient renforcer des raisons de vivre, des liens, une source de support, mais tout ne repose pas sur leurs épaules, assure Mme Pelchat. Quelqu’un qui a fait une tentative de suicide devrait rencontrer un professionnel en relation d’aide de façon régulière pour un bon moment après le geste. »

Un réseau social développé et des relations de soutien sont deux facteurs de protection pour aider la personne à passer au travers. Cependant, il faut aussi considérer la problématique associée à la tentative. « Si c’est dans un contexte de dépression majeure, il faut avoir accès à un traitement et à la pharmacothérapie si nécessaire. Si c’est dans un contexte de difficultés interpersonnelles, il faut avoir accès au type de thérapie nécessaire pour régler ça », recommande le Dr Turecki.

« Le suicide est une façon mal adaptée de gérer les difficultés, donc il faut travailler pour développer des liens et de bonnes façons de gérer les stress et les difficultés émotionnelles. Il y a des thérapies qui sont très bonnes et très efficaces pour ça. »

— Gustavo Turecki, psychiatre

Dans tous les cas, la personne doit être en mesure de nommer le geste de la tentative. « Il faut que ça se révèle, il faut que des gens autour soient au courant et que l’on ait l’occasion de dire qu’il s’est passé quelque chose. Il faut partir de ça pour se demander dans quelle direction on ira ensuite. C’est un moment charnière : on avait des vulnérabilités et là, on s’en va vers un monde où il y a des possibilités », illustre Philippe Angers.

Vers un avenir positif

« On utilise l’approche orientée vers les solutions dans toutes les situations. On a déjà la prémisse de base que les gens ont des forces, des compétences, la capacité de s’en sortir et il faut mettre l’emphase là-dessus, insiste Philippe Angers. Il y a un futur qui vaut la peine. Cette notion est vraiment importante pour nous. On travaille à aider la personne à visualiser ça et le nommer. Comment aujourd’hui, avec un petit pas, je peux aller dans cette direction-là ? C’est possible d’y arriver. »

Besoin d’aide pour vous ou un proche ?

L’idéation suicidaire est un signal d’alarme qu’il ne faut pas négliger. Demander de l’aide est un premier pas qui peut être difficile. C’est aussi un signe qu’il y a une partie de nous qui veut vivre. Philippe Angers, de Suicide Action Montréal, est catégorique : « Cet état de détresse n’est pas permanent. À l’intérieur de chaque personne, il y a de l’espoir. »

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