ARTS VISUELS

Saisir les couleurs par le toucher

L’universitaire montréalaise Patricia Bérubé est en train de concevoir un prototype pour permettre aux aveugles et malvoyants de percevoir les couleurs d’une peinture par le toucher. Le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) s’intéresse à cette recherche qui devrait aboutir à la création d’un premier modèle d’ici deux ans.

Après des études en animation 3D et en histoire de l’art à Montréal et Paris, et un emploi dans une galerie d’art parisienne, Patricia Bérubé voulait utiliser ses connaissances pour aider des gens dans le besoin dans son domaine d’activité. Âgée de 29 ans, elle a choisi de travailler au bénéfice des personnes ayant une déficience visuelle.

« Je me suis demandé comment on pourrait faire pour que tout le monde puisse avoir accès aux couleurs d’une œuvre d’art, dit Patricia Bérubé. L’idée était de trouver un moyen de traduire les différentes couleurs par le toucher pour des œuvres données. »

L’étudiante, actuellement en maîtrise, a alors fait le tour des recherches réalisées dans le monde sur le sujet, notamment celles de David Katz (1884-1953) sur la perception tactile et visuelle ou celles d’autres psychologues qui se sont intéressés au sens du toucher chez les aveugles.

La Suède est un pays où ces questions sont très développées, et ce, depuis longtemps. Aussi, Patricia Bérubé partira, après sa maîtrise, faire un doctorat à Stockholm avec une chercheuse suédoise en design de l’information, Yvonne Eriksson, qui a travaillé à la Swedish Library of Talking Books and Braille, bibliothèque suédoise de lecture tactile.

Pellan comme prototype

Pour la création de son prototype, Patricia Bérubé devait choisir une œuvre et en obtenir les droits d’auteur afin de pouvoir l’utiliser. Elle a opté pour Bannière de l’exposition « Prisme d’yeux », d’Alfred Pellan, huile sur toile de 1948 acquise en 2003 par le MBAM.

Patricia Bérubé explique que les motifs géométriques de cette peinture simplifient la définition du prototype tactile qui sera imprimé en trois dimensions. La chercheuse pense pouvoir créer une première version d’ici deux ans.

« Le prototype sera deux fois moins grand que le tableau pour que les aveugles puissent le saisir des deux mains afin de bien en lire tout le contenu, dit Mme Bérubé. Les motifs et les couleurs seront préalablement définis par association. Par exemple, les rouges seront des ronds et les bleus, des triangles. Une charte des couleurs existe déjà, mais c’est assez limitatif. Je veux essayer de simplifier. »

L’œuvre de Pellan comprend des lignes noires bien marquées et trois couleurs simples : le blanc, le rouge et un bleu délavé. « On va faire en sorte que les lignes noires soient en relief, ce qui permettra aux aveugles de bien comprendre les proportions du tableau, dit Patricia Bérubé. Il y aura une texture par couleur et, à côté, une charte tactile des couleurs. » 

Les textures seront définies par la chercheuse en collaboration avec des personnes connaissant la réalité des déficients visuels. « J’ai hâte de voir quelle sera la réception du prototype et pas seulement de leur part, dit Patricia Bérubé. Je crois que ce projet va intéresser beaucoup plus de gens que la population concernée. C’est quelque chose d’innovateur qui n’existe pas ailleurs, que je sache. Car je m’intéresse particulièrement à la notion de couleurs. »

« Ça nous intéresse vivement de travailler sur ce projet prometteur, dit Thomas Bastien, directeur du département Éducation et Mieux-être, au MBAM. Si ce prototype est réussi, on l’utilisera pour nos clientèles adultes qui visitent le musée et pour les plus jeunes. »

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