Netflix devrait avoir un quota francophone, dit le CRTC

La recommandation du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications (CRTC) au gouvernement Trudeau est claire : il est temps de réglementer les nouveaux médias comme Netflix afin qu’ils contribuent à la production canadienne. Et le président du CRTC Ian Scott estime que Netflix devrait avoir un quota francophone dans sa contribution réglementée.

« Netflix fait des revenus au Québec [avec ses abonnements], alors il devrait faire des investissements en français [au Québec]. C’est l’idée [de la réforme suggérée]. Sa contribution devrait refléter ses activités dans le marché », explique M. Scott, en entrevue avec La Presse.

Le CRTC a rendu public hier son rapport au gouvernement Trudeau en vue de sa réforme de la réglementation de la radio, de la télé et des télécoms. Le gouvernement Trudeau ne s’est pas prononcé hier sur les recommandations du CRTC. L’organisme réglementaire propose une réforme en profondeur. D’abord, réglementer et assujettir à une contribution Netflix et les autres services de visionnement en ligne au système de production canadien. Ensuite, remplacer les licences radio et télé par un système d’ententes individuelles avec chaque groupe média. Enfin, instaurer une contribution sur les revenus de l’accès internet pour financer le contenu canadien.

Réglementer Netflix et les autres acteurs étrangers

Depuis 1999, le CRTC accorde une ordonnance d’exemption aux nouveaux médias et aux services de contenu en ligne comme Netflix, YouTube, Amazon, Spotify, CraveTV, ICI Tou.tv et le Club illico. Il est temps de réglementer pleinement ces services – souvent étrangers – et de les assujettir à une contribution au système canadien, dit l’organisme.

L’hypothèse d’appliquer telle quelle à ces acteurs numériques la réglementation actuelle des chaînes de télé est toutefois rejetée. Le CRTC ne veut pas une contribution « identique » de la part de Netflix et du Groupe TVA, car leurs activités ne sont pas identiques. Le président du CRTC aimerait une réglementation « équitable » basée sur les forces de chaque entreprise. 

« L’idée, c’est d’avoir une réglementation plus flexible. Différents acteurs pourront faire différentes contributions. »

— Ian Scott, président du CRTC

À titre d’exemple, l’objectif n’est pas de forcer Netflix à diffuser des bulletins d’information canadiens comme le fait le Groupe TVA. Netflix pourrait toutefois investir davantage en séries originales canadiennes et en promotion internationale de contenu canadien.

L’automne dernier, Netflix a conclu avec le gouvernement Trudeau une entente pour investir 500 millions sur cinq ans dans la production canadienne. Cette entente ne prévoit pas de quota spécifique pour la production francophone (il y a toutefois 25 millions supplémentaires pour développer des projets au Québec).

Des ententes pour chaque groupe

Pour les nouveaux acteurs comme Netflix comme pour les acteurs réglementés comme le Groupe TVA et Bell Média, le CRTC propose de laisser tomber le système actuel de licences pour les remplacer par des ententes individuelles. « À l’avenir, nous avons besoin d’une forme plus flexible de réglementation, plutôt que la vieille forme basée sur des conditions strictes », dit M. Scott.

Le CRTC, qui réglemente déjà les licences sur l’ensemble d’un groupe média, ne cache pas sa volonté d’alléger le « fardeau réglementaire ». Est-ce à dire que les groupes médias pourraient diffuser moins d’émissions canadiennes sous le régime proposé au gouvernement Trudeau ? Pas nécessairement, dit le CRTC. 

4,6 milliards

En 2016-2017, il s’est produit pour 4,6 milliards de dollars de contenu canadien au cinéma et à la télé au Canada, dont 1,18 milliard en français (ces sommes incluent toutes les formes de contributions, dont les contributions gouvernementales).

« D’un côté, si rien n’est fait, [la] contribution [des groupes réglementés] va diminuer, car leurs revenus diminuent, dit Scott Hutton, du CRTC. Je ne pense pas qu’il faille sauter à la conclusion que nous allons les alléger [les groupes réglementés] de façon supplémentaire. Les revenus se partagent entre différents acteurs, on va suivre ces dollars-là. »

Le CRTC précise aussi dans son rapport que les entreprises œuvrant « dans les marchés de langue française, y compris les services de vidéo en ligne, devraient aussi effectuer des contributions spécifiques à la production et à la promotion du contenu original de langue française ».

Une contribution sur les revenus d’accès internet

Comment finance-t-on la production de contenu canadien ? Notamment en forçant les distributeurs télé à y consacrer 5 % de leurs revenus, entre autres en contribuant au Fonds des médias du Canada qui finance ensuite des émissions de télé. Le CRTC propose au gouvernement Trudeau d’instaurer une contribution sur les revenus de l’accès internet (ex. : 1 % des revenus) pour financer la production. Au bout du compte, l’opération serait neutre au chapitre des revenus, car on diminuerait d’autant la contribution des distributeurs télé. Les distributeurs d’accès internet se sont toujours opposés à une telle proposition.

Netflix, Québecor, Bell, Cogeco et le Groupe V Média n’ont pas commenté hier le rapport du CRTC.

uelques réactions

Enfin

« Le CRTC aurait dû faire ça il y a 20 ans, [ses dirigeants] arrivent en ville. […] Il faut être conscient que si on n’a pas la volonté d’imposer des exigences à certains joueurs comme Netflix, c’est sûr que c’est plus difficile de légitimer des conditions sévères à l’égard des acteurs canadiens. S’il y a une volonté d’appliquer des exigences équitablement à tous les joueurs en matière de production, il n’y a pas de raison de diminuer les exigences réglementaires, tant qu’elles sont équitables. » 

— Pierre Trudel, professeur en droit des communications à l’Université de Montréal

Détails à venir

« Nous remercions le CRTC et tous les experts qui ont participé pour leur travail. Ultimement, notre objectif est de moderniser nos lois pour protéger et promouvoir notre culture au XXIe siècle et nous aurons plus de détails prochainement. »

— Simon Ross, attaché de presse de la ministre fédérale du Patrimoine canadien Mélanie Joly

Analyse lucide

« Nous pensons que ce rapport est une analyse lucide des défis auxquels fait face la culture canadienne. Cette analyse propose une façon claire et équitable de renforcer la culture canadienne pour l’avenir. Comme nous l’avons souligné dans nos propres commentaires au CRTC pendant la période de consultation, nous croyons que le financement de la culture d’ici se doit d’inclure un grand nombre de participants, et d’être équitable et durable. » 

— Radio-Canada (déclaration écrite)

Que fera le gouvernement ?

« Enfin, le CRTC recommande l’encadrement du numérique ! La question maintenant : le gouvernement est-il à l’écoute ? […] La Coalition est également satisfaite de l’opposition du CRTC à la déréglementation des diffuseurs traditionnels (radio, télé, câblodistributeurs) et du sentiment d’urgence qui semble animer le CRTC, qui qualifie d’intenable la situation actuelle. » 

— Nathalie Blais, porte-parole de la Coalition pour la culture et les médias, qui regroupe qui une cinquantaine d’organismes, dont des syndicats

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