MotS d’enfants

Gare au loup !

Chaque semaine, l’équipe de Pause vous présente des mots d’enfants captés par nos lecteurs. Des perles toutes douces ou amusantes, juste pour le plaisir de voir le monde à travers les yeux des petits !

— Isabelle Audet, La Presse

trouble de la parole

Mieux vivre avec le bégaiement

Le bégaiement touche jusqu’à 10 % des enfants – et persisterait chez 1 % de la population. Ce trouble est présent dans toutes les cultures et toutes les classes sociales. Autant Marilyn Monroe qu’Aristote et Tiger Woods ont bégayé. En cette Journée mondiale du bégaiement, Agathe Tupula Kabola, orthophoniste et directrice générale de la clinique Proaction, présente un nouveau guide pour mieux vivre avec ce trouble de la parole.

Est-ce votre pratique comme orthophoniste qui vous a donné l’idée d’écrire sur le bégaiement ?

Ça fait partie de la clientèle que je vois le plus, de tous les âges – autant des enfants d’âge préscolaire, scolaire que des ados et des adultes. C’est une problématique de la parole qui m’a toujours fascinée : du côté paternel, beaucoup de gens dans ma famille bégaient. J’ai vu des cousins qui étaient victimes d’intimidation en raison de leur bégaiement, ou qui en étaient gênés. Encore aujourd’hui, les enfants de mes cousins bégaient. Je sens que c’est un devoir, pour moi, de les outiller et de les aider du mieux que je peux.

Qu’est-ce que le bégaiement ?

C’est un trouble de la parole et non du langage. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’avec le bégaiement, ce n’est pas la pensée qui bloque, c’est la sortie. Au moment où on veut sortir les mots, il va y avoir des blocages, des répétitions, des sons qui vont être allongés. Ça va causer des accrochages qui vont être jugés dérangeants dans le discours.

C’est lié au fonctionnement du cerveau ?

Oui. On sait que le cerveau des personnes qui bégaient fonctionne différemment, de bien des façons. Par exemple, chez les personnes qui ne bégaient pas, c’est l’hémisphère gauche qui s’active le plus quand elles prennent la parole. Chez les personnes qui bégaient, c’est l’hémisphère droit qui prend le dessus. Mais on ne sait pas exactement ce qui est responsable du bégaiement dans le cerveau, sinon on pourrait déjà le traiter.

Le bégaiement est d’origine génétique à 80 %. Ce n’est donc pas, comme on pourrait le croire, dû à un choc émotif ?

Non. En fait, il existe une forme très rare de bégaiement qu’on appelle psychogène. Ça peut être dû à un traumatisme, mais je n’en ai jamais vu dans ma pratique clinique. En général, on parle de bégaiement développemental. Ça apparaît dans l’enfance. Ça peut apparaître à un moment où l’enfant vit un événement particulier, par exemple un déménagement, la naissance d’un petit frère ou d’une petite sœur, le divorce des parents. Mais cet événement est davantage un déclencheur qu’une cause. La prédisposition était déjà là.

Vous précisez dans le livre que les deux tiers des enfants qui bégaient voient ce trouble disparaître de lui-même. Pour les autres, il faut consulter un orthophoniste ?

Oui. Le plus tôt on intervient, le mieux c’est. Parfois, les parents se font dire par d’autres : « Moi aussi, mon enfant a bégayé et c’est parti tout seul. » Ça se peut que ça parte tout seul. Mais dans le doute, c’est mieux de consulter. On peut toujours avoir des rencontres de suivi espacées, pour s’assurer que le bégaiement ne reste pas et que l’enfant a de bons facteurs de récupération.

Pour les jeunes enfants, le pronostic est bon en général ?

Oui, très bon, surtout chez les enfants chez qui le bégaiement est apparu au cours des derniers mois. Si ça ne fait pas des années que l’enfant traîne le bégaiement avec lui, le pronostic est encore plus favorable.

Que conseillez-vous de faire quand on interagit avec un bègue ?

Principalement, je dirais de se montrer patient. Souvent, quand on devine ce que la personne veut dire, ça peut être tentant de terminer les phrases à sa place. Bien que ça soit un réflexe naturel, c’est à éviter le plus possible. La personne qui bégaie sait ce qu’elle veut dire. Ça peut devenir frustrant, pour elle, de toujours se faire compléter ses phrases.

Je conseillerais aussi de garder un contact visuel avec la personne qui bégaie, même si ça peut être tentant de regarder ailleurs, parce qu’on est mal à l’aise. Il est aussi préférable de ne pas donner des conseils comme « Prends ton temps », « Respire » ou « Dis-le plus doucement ». Ça donne le signal à la personne qu’elle ne parle pas correctement et qu’elle devrait s’y prendre autrement, alors que ce n’est pas un trouble qui est causé par sa volonté ou sa faute.

Qu’est-ce qu’un parent peut dire à son enfant qui bégaie ?

Lors de journées où il y a plus de bégaiement, le parent peut reconnaître que c’est difficile. Il peut dire : « Je vois qu’aujourd’hui, c’est plus difficile de sortir les mots. Je suis quand même là pour t’écouter. Si tu veux m’en parler, tu peux m’en parler. » Il faut se montrer présent, sans être dans le jugement.

Je bégaie… laissez-moi parler ! Bien vivre avec le bégaiement

Agathe Tupula Kabola Éditions du CHU Sainte-Justine

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