Fanny Britt et Alexia Bürger

Deux cerveaux valent mieux qu’un

Elles ont signé deux pièces importantes de 2017 : Hurlevents pour Fanny Britt, Les Hardings pour Alexia Bürger. Elles sont amies d’enfance. Et elles font leur entrée au Théâtre du Nouveau Monde grâce à la bourse Jean-Louis Roux, qui leur permettra de créer leur première pièce à quatre mains et qui devrait être présentée au printemps 2020.

Le contexte

C’est la directrice du Théâtre du Nouveau Monde (TNM), Lorraine Pintal, qui a entrepris « un chantier sur la création au féminin », qui a demandé l’hiver dernier à Fanny Britt de travailler sur la pièce Lysistrata d’Aristophane, dans laquelle les femmes veulent renverser le pouvoir des hommes en faisant la grève du sexe. « J’ai tout de suite voulu inclure Alexia dans le projet, et Lorraine a accepté », dit Fanny Britt. Les deux créatrices ont relu la pièce originale, ainsi que celle adaptée par Michel Tremblay dans les années 70, et sont arrivées à une conclusion : si « la symbolique d’un groupe de femmes qui refuse l’ordre établi » était intéressante, le reste l’était moins – la structure, les observations sur les hommes et les femmes un peu datées. « Même la prémisse résonne moins, dit Alexia Bürger. Ça veut dire quoi, se refuser aux hommes pour les punir, maintenant, ici ? » 

Tout est affaire de contexte, et elles ont jugé que l’ultime prise de pouvoir des femmes, dans une société confortable comme la nôtre, serait le refus de procréer. « Et là, ça devient catastrophique pour les gens au pouvoir. Les politiciens et les entreprises, ils veulent qu’on croie au lendemain, pour nous vendre des patentes et encore des patentes », lance Fanny Britt, qui souligne quand même que « pas une ligne du show » n’est encore écrite. « On ne peut pas dire trop de choses, admet Alexia Bürger. Mais c’est ce qui m’allume dans cette piste. Cette façon d’arrêter un système, de le refuser. »

L’amitié

Fanny Britt et Alexia Bürger se connaissent depuis la première année du primaire, et sont devenues amies en cinquième. « On se parle tous les jours depuis », dit Fanny Britt. Elles ont fréquenté la même école secondaire et le même cégep, mais pas les mêmes écoles de théâtre. Alexia s’est ensuite consacrée à la mise en scène et au jeu, alors que Fanny s’est dirigée vers l’écriture. Leurs chemins professionnels se sont souvent croisés, et elles ont aussi souvent été « secrètement impliquées » dans les projets l’une de l’autre. « Alexia est souvent la première à lire ce que je fais », dit Fanny Britt. C’est après avoir développé un projet télé – mort le printemps dernier – qu’elles ont découvert qu’elles pouvaient vraiment écrire à deux. 

« C’est formidable de travailler avec son amie, mais c’est quand même impliquant, parce qu’on a beaucoup à perdre si ça ne marche pas », dit Alexia. Ce qui ne semble pas inquiéter Fanny. « Nos cerveaux fonctionnent différemment, mais nos sensibilités et nos références sont les mêmes. On n’a jamais besoin de s’expliquer. » À les entendre compléter les phrases l’une de l’autre et à voir la confiance qu’elles se vouent, on les croit. Alexia : « Fanny est une des personnes que j’admire le plus sur Terre. » Fanny : « J’admire le talent et la créativité d’Alexia. Et en plus, ça vient avec une éthique infaillible. Tu ne la surprendras jamais en train d’être égocentrique, de faire passer son intérêt avant le bien commun. »

L’électrochoc

La multiplicité des points de vue est un élément essentiel du projet des deux créatrices. Le débat autour des pièces SLĀV et Kanata, qui a duré tout l’été, les a confortées dans leur décision, ajoute la dramaturge. « Au mois d’août, on a écrit un long courriel à Lorraine dans lequel on disait : “Plus que jamais, il faut que tu sois d’accord avec ce qu’on veut amener. Si tu préfères une adaptation classique, c’est ben correct, mais ce ne sera pas avec nous.” » En vacances, les deux amies ont regardé le débat de loin. Si elles ont été troublées, elles n’ont pas vécu d’électrochoc. « On baignait déjà dans ces questions », dit Alexia Bürger. En fait, c’est la réaction de beaucoup de gens du milieu théâtral devant les demandes des groupes autochtones et les protestations face à SLĀV qui les a étonnées. « Comment tu peux considérer comme un accroc à ta liberté de t’intéresser à l’autre ? demande Fanny Britt. Ça m’a tétanisée. »

« Ce n’est pas la même chose pour une femme de pouvoir blanche de 45 ans de décider qu’on ne fera plus d’enfants que pour une immigrante de 23 ans qui vient d’une culture où c’est valorisé. Ces questions, on ne veut pas les éviter. Mais on ne veut pas dire n’importe quoi non plus, alors on veut que l’équipe soit diversifiée pour en discuter tout le long du processus, pour qu’on reste alertes et réveillées. »

— Fanny Britt 

De l’intérieur

Associées au théâtre de création, Fanny Britt et Alexia Bürger sont les premières surprises de se retrouver au TNM. « J’étais ambivalente au départ, dit Fanny Britt. Je me demandais si je n’étais qu’un accessoire. En même temps, ç’aurait été cynique de dire non juste par esprit de contradiction. » Elles constatent, depuis le début, que l’ouverture et l’accueil sont là.

Les deux femmes vont livrer un synopsis de leur pièce cet automne, et une première version au printemps. « C’est Lorraine qui va faire la mise en scène, elle veut faire son casting rapidement, explique Fanny Britt. Et nous, on veut dès les premières lectures être confrontées à ce que les interprètes pensent. » C’est ainsi qu’Alexia Bürger avait travaillé sur Les Hardings l’hiver dernier : « Il faut qu’il y ait un dialogue entre les points de vue, et même entre les départements de création », dit-elle. « On a beaucoup valorisé le visionnaire, le génie individuel, mais c’est tout le temps parce qu’il y a un travail collaboratif que ça marche, dit Fanny Britt. C’est plate que ç’ait été récupéré comme le fruit de la rectitude politique, alors que c’est tellement plus riche et intéressant et vivant et viscéral que ça, parler de collaboration. »

« Si on veut changer le théâtre, il faut que les institutions s’adaptent aux objets. Quand on va chercher des gens qui viennent d’ailleurs, des petites salles ou du théâtre de création, si l’institution leur demande de s’adapter, c’est de l’assimilation. »

— Alexia Bürger

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