Vieux-Montréal

Le passé réinventé

Le départ avait été donné deux minutes plus tôt, place d’Armes, et le guide n’avait toujours pas soufflé un mot.

« C’est bien un tour commenté ? », s’enquiert-on.

« Mon français, c’est comme ci, comme ça, répond le caléchier. Do you speak English ? »

En anglais ce sera, donc, pour le premier tour en calèche, ce qui aura l’avantage de permettre à notre historien, Paul-André Linteau, de corriger en direct et sans malaise chacune des inexactitudes débitées par le caléchier.

D’un point de vue historique et géographique, le Montréal du caléchier, c’est un tout autre Montréal que celui que vous croyiez connaître.

Les dates sont pour la plupart inexactes, les lieux sont déplacés. Voilà que le lac Saint-Louis se retrouve derrière Habitat 67, qui a servi de village olympique aux athlètes en 1976. Ah bon ?

Le cocher nous montrera aussi une représentation d’une grande dame de Montréal, dans une fenêtre de l’ancien Hôpital général de Montréal. C’est Marguerite Bourgeoys, nous dit-il.

Autour de nous, se trouvent la place D’Youville et la rue D’Youville, deux excellents indices qui auraient pu mettre la puce à l’oreille de notre cocher. Il s’agit bien de Marguerite d’Youville, et non pas de Marguerite Bourgeoys.

Mais ce qui dérange davantage encore M. Linteau, c’est l’absence totale de contextualisation.

Pas un mot sur Maisonneuve. L’année 1642 n’est pas mentionnée. On ne nous dit pas qu’il y a eu ici d’abord des autochtones, puis des Français qui ont ensuite été conquis par les Anglais.

« On ne nous a parlé que du XIXe siècle. Montréal, c’est quand même 375 ans d’histoire. »

— Paul-André Linteau

« Notre point de départ, la place d’Armes, aurait pourtant été tout indiqué pour nous donner un peu de perspective, avec ses quatre faces dont les édifices représentent autant de groupes qui ont façonné Montréal [les Français, les Écossais, les Américains et les Québécois]. »

L’Histoire telle que racontée par le cocher est sens dessus dessous, comme son allure générale, très débraillée. D’ailleurs, de la calèche, on ne voit pas que l’arrière-train du cheval, mais aussi celui du caléchier aux pantalons mal ajustés, façon plombier.

MONTRÉAL, PRISE 2

Peut-être aura-t-on plus de chance à notre deuxième promenade ? Cette fois aussi, nous prenons la première calèche qui se trouve devant nous. Nous tombons alors sur un caléchier qui se présente un peu mieux, mais dont les explications ne volent pas beaucoup plus haut.

Pendant la tristounette virée, il ne nous donnera presque aucune date, se limitant essentiellement à montrer du doigt et à nommer les édifices, parfois à tort, nous induisant notamment en erreur quant à l’emplacement du premier hôtel de ville de Montréal.

Ce que l’on apprendra surtout, c’est l’endroit où a habité l’actrice américaine Halle Berry, du temps de ses amours avec un mannequin québécois, le lieu de l’ancien condo de Pauline Marois, « la première ministre qui a voulu séparer le Québec du Canada », et celui où a été filmé le film The Score, avec Robert De Niro. À propos de la basilique Notre-Dame, on nous dira que Céline Dion s’y est mariée et que Pavarotti s’y est produit.

Va pour les anecdotes. Paul-André Linteau ne lève pas le nez là-dessus et il se doutait bien que ces petites histoires pimenteraient la présentation. Il savait bien, aussi, que le tour de calèche ne serait pas donné par un docteur en histoire.

Tout de même, les nombreuses erreurs et l’absence de repères dans le temps font dire à M. Linteau, un homme de commerce très agréable, que ses deux promenades en calèche sont « très en dessous » de ce à quoi il s’attendait.

Tout au plus sera-t-il content d’apprendre qu’il y a des lampes à gaz, rue Sainte-Hélène, « des lampes à gaz qui fonctionnent encore 24 heures par jour », nous ont dit les deux caléchiers, un détail qui avait échappé à M. Linteau, qui connaît son Vieux-Montréal de fond en comble.

« Il aurait été bien, par ailleurs, que le cocher nous fasse aussi remarquer que cette rue Sainte-Hélène est d’une rare uniformité. Presque tous les immeubles ont été construits en 13 ans, dans le style néo-Renaissance italienne. »

Le cheval ? Le cheval, ça allait. Il allait au pas, sans être bousculé d’aucune façon. Il était presque tout le temps appelé à arpenter de petites rues tranquilles, sans circulation.

Comme nous, tout au plus a-t-il été embêté par les travaux, ici et là.

Comme nous, à l’heure du midi, il allait rentrer : passé les 29 degrés, les chevaux ne sont plus de service.

À la fin des deux promenades, on a réclamé un reçu pour les 53 $ demandés pour 30 minutes. Dans le premier cas, le caléchier nous a demandé de rédiger nous-mêmes le reçu et, dans le second cas, il nous a dit qu’il n’avait pas de carnet de reçus.

Et dans les deux cas, pas de monnaie. Les deux caléchiers estimaient mériter un pourboire de 7 $, manifestement.

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