Trafic de drogue au mexique

« Faire tomber les grands patrons n’a rien changé »

Tandis que Joaquín « El Chapo » Guzmán, l’ancien chef du cartel du Sinaloa, attend le verdict du jury à New York, le trafic de drogue et la violence persistent au Mexique, dénonce Christy Thornton, professeure adjointe au département de sociologie de l’Université Johns Hopkins. La Presse lui a parlé.

Le procès d’El Chapo nous permet de voir un puissant ex-chef de cartel faire face à la justice. Mais vous estimez que cela ne changera rien au problème du trafic de drogue. Pourquoi ?

Sur les 37 trafiquants de drogue mexicains les plus recherchés, tous sauf quatre ont été capturés ou tués au cours des dernières années. Or, malgré son succès symbolique, cette stratégie consistant à faire tomber les « grands patrons » n’a rien changé. Le commerce de la drogue se poursuit sans relâche et provoque une violence de plus en plus forte chaque année.

Plus de 200 000 personnes ont été tuées au Mexique et au moins 37 000 personnes ont été portées disparues depuis que l’ancien président du pays Felipe Calderón a lancé sa guerre contre la drogue et le crime organisé en 2007. Il est clair que s’en prendre à la tête de ces organisations de trafiquants ne fait rien pour empêcher le trafic international. En fait, cela crée davantage de violence et de concurrence entre les organisations de trafiquants.

Si El Chapo devait être reconnu coupable à son procès, les gouvernements américain et mexicain célébreront cela comme une victoire. Pendant ce temps, le commerce de la drogue se poursuivra exactement comme avant.

Durant le procès, nous avons appris qu’El Chapo, à l’époque où il était chef du cartel du Sinaloa, avait besoin d’acheter la cocaïne qu’il consommait personnellement, et il avait besoin d’un contact pour y avoir accès. Avez-vous trouvé cela surprenant ?

Cela ne m’a pas surprise du tout. Les recherches actuelles sur les organisations de trafiquants de drogue nous montrent qu’il ne s’agit pas de structures verticalement intégrées, mais plutôt de réseaux flexibles qui coopèrent et cessent de coopérer en fonction des occasions et des menaces auxquelles elles sont exposées. Lorsque les autorités prennent pour cible une partie d’une organisation, le réseau se restructure. Lorsque des marchés s’ouvrent dans de nouveaux lieux ou pour de nouvelles substances, le réseau se restructure. Ce sont des entreprises capitalistes organisées pour s’adapter à un marché néolibéral mondial. Cela ne devrait pas nous étonner qu’elles fonctionnent de la même manière que les autres grandes entreprises multinationales.

Quelle serait, selon vous, une stratégie plus efficace pour tenter de résoudre le problème du trafic de drogue ?

Il a été largement reconnu – tant au niveau international à l’ONU qu’au niveau des organisations locales chargées de l’application de la loi – que notre système punitif et prohibitif ne fonctionne pas. Nous appliquons ces mêmes politiques depuis plus de cinq décennies et elles n’ont engendré que de la violence, de la corruption et des dégâts environnementaux, tandis que les drogues continuent à être offertes en abondance.

Pour être efficace, toute stratégie doit tenir compte du fait que c’est la demande et la prohibition ici dans les pays consommateurs qui alimentent ce marché : la demande de drogues des consommateurs nord-américains, jumelée à une prime énorme – et donc des profits énormes – , car il s’agit d’un produit illégal. Tant que cette demande existe et que la prohibition crée une énorme prime de risque incluse dans les prix, des trafiquants essaieront d’approvisionner ce marché.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.