Retour de passe-partout

notre télé manque-t-elle d’imagination ?

Alors que le remake de Passe-Partout s’apprête à débarquer à Télé-Québec, que TVA diffuse Les invisibles et que Radio-Canada annonce une cinquième saison des Pays d’en haut, le public peut se demander si nos producteurs télévisuels manquent de créativité. Discussion.

L’équipe de Passe-Partout a entendu les critiques négatives qui ont suivi l’annonce du retour de cette émission mythique pour les 3 à 5 ans. Sauf que pour l’auteure et productrice au contenu de ce projet, Sophie Legault, ce n’est pas un manque d’imagination qui a poussé Télé-Québec à revisiter cet univers. Et il n’est pas question de servir du réchauffé.

« Je ne suis tellement pas d’accord ! De l’imagination, il a fallu en avoir pour plein d’aspects ! Les auteurs n’ont pas l’impression de réécrire ce qui a été créé il y a 40 ans. […] On réfléchit aux scènes, on ajoute du matériel, on pousse plus loin », explique la psychologue de formation.

« Ils ne font pas un remake de n’importe quoi ! Ils font un remake de quelque chose qui a fait école, qui a eu un impact sur toute une génération », avance Joanne Arseneau, vice-présidente de la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC) et auteure de Faits divers et du Clan.

« C’est sûr que si, au Québec, on se mettait à faire que des remakes… genre Les invisibles multiplié par 10, tout le monde capoterait. Ça prend un bassin d’émissions originales chaque saison, puisque c’est un miroir sur notre culture actuelle. Mais maintenant, qu’un remake par année soit fait, je ne crie pas au meurtre. »

Joanne Arseneau, vice-présidente de la SARTEC

Sa collègue Stéphanie Hénault ajoute : « La génération Passe-Partout a maintenant de jeunes enfants avec des tablettes numériques, qui écoutent YouTube au restaurant. Si ça peut les faire venir à Télé-Québec, ce sera déjà un grand succès », dit la directrice générale de la SARTEC.

Le retour des Contes pour tous

Dans la même lignée des remakes de classiques québécois, nous pouvons penser à Dominic James qui a acheté Les productions La Fête, maison fondée par Rock Demers, pour réaliser de nouvelles adaptations des Contes pour tous. Si tout se passe bien, les premiers projets devraient être annoncés au cours de cette année.

« La Fête est probablement la seule compagnie de production au Canada avec autant de films qui ont un potentiel commercial et qui ont eu du succès partout dans le monde. Pour moi, c’est une boîte magique remplie de possibilités », indique Dominic James, président des productions La Fête.

Il ne veut par contre pas en dire plus sur le sujet, puisqu’il attend toujours des réponses d’institutions financières.

Rock Demers n’a toutefois pas eu la même réserve.

« Actuellement, ils travaillent sur un remake de Bach et Bottine. Ils travaillent aussi sur Le jeune magicien et Opération beurre de pinottes. Ce serait des remakes avec beaucoup de liberté. »

Rock Demers, producteur et scénariste

À une époque, Rock Demers avoue qu’il aurait pu être contre l’idée d’un remake d’un de ses célèbres films de la série Contes pour tous. Même qu’encore aujourd’hui, il n’imagine pas du tout une adaptation de La guerre des tuques avec de vrais acteurs.

« J’ai accepté le remake parce que c’était en animation. Je savais que dans le cas de La guerre des tuques, même si la nouvelle version est d’une grande qualité, elle partirait perdante par rapport à l’original, qui a pris une telle place dans l’imaginaire », explique le producteur et scénariste, qui a fait rêver des générations de Québécois avec ses films.

« Maintenant que le temps a passé, ça peut surtout être une façon de rejoindre un nouvel auditoire, ajoute-t-il. Je dirais que les remakes, lorsqu’ils ne sont pas faits immédiatement après le succès de l’original, ça peut être tout à fait justifié. »

La guerre des tuques 3D a d’ailleurs été le meilleur film au box-office canadien en 2015 avec des recettes de plus de 3 millions et il a été vendu dans plus de 120 pays. Quant au dérivé La course des tuques, sorti pendant les Fêtes, il a dépassé les 2 millions de dollars au box-office québécois.

La nouvelle tendance

Audrey Bélanger, étudiante au doctorat à l’Université du Québec à Montréal, écrit une thèse intitulée Le remake audiovisuel au Québec. Elle rappelle que nous avons beaucoup plus d’adaptations que nous le croyons au petit écran.

Outre les fictions, nous pouvons penser, entre autres, à Tout le monde en parleLa voixL’amour est dans le pré, Deuxième chance, La guerre des clans, Le banquier et Au suivant !

« Mais la nouveauté en ce moment, avec Les pays d’en haut et Passe-Partout, est que nous sommes plus dans quelque chose qu’on réactualise, qu’on remet au goût du jour, dans le but de faire redécouvrir une œuvre de notre héritage culturel », explique Audrey Bélanger.

L’experte ajoute qu’il ne s’agit pas du tout d’un manque de créativité des créateurs. Même que d’après elle, il en faut beaucoup pour offrir une adaptation de qualité, qui plaira au public. Un remake fait rapidement donne souvent un navet.

« Fabienne Larouche et François Avard ont dit que Les bougons en France, ç’avait été fait à la va-vite et qu’ils étaient amèrement déçus. Un des exemples est le chien qui s’appelait Coderre, en référence à Denis Coderre, qui était alors député libéral. Le chien en France s’appelait aussi Coderre. Pour moi, ça, c’est un exemple de manque de créativité. »

— Audrey Bélanger, étudiante au doctorat

Elle observe aussi la tendance des remakes des séries québécoises pour le Canada anglais, comme Nouvelle adresse, 19-2, Les hauts et les bas de Sophie Paquin et Rumeurs, tous produits par Sphère Média Plus.

Louis Choquette a été un des réalisateurs du remake en anglais de Nouvelle adresse, de Rumeurs et de 19-2. « Au début, nous nous sommes vraiment appliqués à être le plus près possible de la série québécoise, pour lui rendre hommage, pour rester dans le ton, parce que nous avions beaucoup aimé le travail qui avait été fait en français », explique-t-il à propos de 19-2.

« Mais je pense que lorsque les auteurs ont commencé à prendre une certaine liberté, tranquillement pas vite, eh bien, le vrai 19-2 est devenu un projet par lui-même, poursuit-il. Il y a plus de saisons qu’en français et il s’adressait à un autre auditoire. Ce n’est pas devenu une autre série, mais c’était un projet en soi. »

Séraphin, un classique

Le producteur François Rozon est très fier d’avoir porté à bout de bras le remake Les pays d’en haut. Pour lui, le roman Un homme et son péché de Claude-Henri Grignon, paru en 1933, est un classique québécois qui continuera d’être adapté, encore et encore.

Il ajoute également que le public et les créateurs n’ont pas à craindre une arrivée massive de remakes sur notre petit écran.

« Les chaînes télé ne sont pas très ouvertes à faire des remakes. Elles ne t’accueillent pas à bras ouverts. À l’époque, c’était Louise Lantagne à Radio-Canada et elle me disait qu’ils ne faisaient pas de remakes », raconte le producteur de Lâcher prise, Fugueuse et Les beaux malaises.

« Mais quand je lui avais dit que c’était Séraphin, elle était d’accord que ce n’était pas la même chose, poursuit-il. Elle a avoué que ça, elle l’écouterait. Mais ce n’est pas quelque chose de récurrent, qu’ils feraient souvent. Il faut vraiment que ce soit des exceptions pour avoir une ouverture. »

Et au grand écran ?

Joanne Arseneau, qui applaudit d’ailleurs le bon travail fait sur Les pays d’en haut, confie qu’elle roule beaucoup plus des yeux devant le nombre élevé de remakes et de suites au cinéma, dont au Québec.

« Que l’on fasse Les 3 p’tits cochons 1 et 2, De père en flic 1 et 2 ou Bon cop, bad cop 1 et 2, j’ai plus de difficulté avec ça. On veut tellement faire du box-office ! C’est la recette américaine, en fait. On le fait clairement pour des raisons financières », affirme-t-elle.

Et au théâtre ? Est-ce que Benoît Brière, Martin Drainville et Luc Guérin, qui reprendront Broue l’été prochain, ont pris cette décision à des fins mercantiles ? Non, disent-ils. Le trio souhaitait depuis fort longtemps une pièce à personnages multiples.

« Ça faisait une éternité que nous nous disions : “Mon Dieu que ce serait le fun d’avoir un Broue.” Et, il y a quelques années, nous avons commencé à nous dire : “Mon Dieu que ce serait le fun d’avoir Broue.” »

Benoît Brière, comédien de Broue

Le trio d’acteurs est derrière Les productions Ménage à trois, qui réside au Théâtre du Vieux-Terrebonne depuis sept saisons estivales. Il avoue que la vente des billets de Broue dépasse largement leurs attentes.

« Notre meilleure prévente au Théâtre du Vieux-Terrebonne, c’était l’année dernière. On a atteint les 10 000 billets vendus quelque part en avril. Cette année, avec Broue, nous sommes juste en janvier et nous sommes rendus à 22 000. On capote un peu ! », dit Benoît Brière.

Pour Dominic James, aucun producteur ne devrait avoir honte de présenter une œuvre populaire. « C’est un gros débat, notamment dans le milieu cinématographique où nous n’avons pas assez de gens qui vont en salle. Je crois que c’est notre responsabilité de proposer des œuvres qui vont plaire au public. Remake ou pas. »

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