Hockey  Mort de Todd Ewen

« Je me dis que ça pourrait être moi »

Chaque mort tragique d’ancien dur à cuire du hockey secoue André Roy. Le suicide de l’ancien du Canadien Todd Ewen ne fait pas exception.

« Chaque fois que j’entends un Steve Montador, un Todd Ewen ou un Wade Belak qui met fin à ses jours, j’ai comme un mauvais feeling intérieur, ça vient me chercher », a confié l’ancien bagarreur des Sénateurs d’Ottawa, des Penguins de Pittsburgh et du Lightning de Tampa Bay. 

« Je me dis que ça pourrait être moi. On a un peu tous eu le même cheminement. Je me mets à penser. Qu’est-ce qui peut m’arriver dans 10, 15 ans ? Est-ce que les coups que j’ai reçus à la tête vont m’affecter [psychologiquement] dans les années futures ? Je ne suis sûrement pas le seul gars à me poser la question. Ça commence quand même à faire beaucoup qui sont morts tragiquement. »

Roy, 40 ans, va mieux aujourd’hui. Il a trouvé une belle niche à RDS et mène une vie active. Il ne souffre pas trop physiquement. Mais l’année qui a suivi sa retraite, en 2009, a été très difficile. L’idée du suicide lui a traversé l’esprit.

« J’y ai pensé, c’est sûr. Tu fais ça toute ta vie et, du jour au lendemain, c’est terminé. On ne s’en remet pas facilement. Tu regardes les matchs et ça fait mal. Tu te compares aux autres, tu te dis que tu es plus “tough” que lui. J’étais frustré intérieurement, déprimé, je l’avoue. Je me demandais ce que j’allais faire de ma vie, l’argent ne rentre plus. » 

« Les gens peuvent bien nous dire de ne pas nous plaindre parce qu’on a fait des millions, mais l’argent ne guérit pas les dépressions. »

— André Roy 

« Ça m’a frappé plus fort après l’annonce des décès de [Rick] Rypien, [Derek] Boogaard et Belak, des gars contre qui je m’étais battu. Mais c’est une chose de penser au suicide et une autre de poser le geste. »

Roy savait qu’il avait des ressources à sa disposition, mais il n’a pas osé demander d’aide.

« Ce n’est pas facile. Tu as été un macho, un “tough” toute ta vie. On était des gladiateurs qui ne devaient pas montrer nos peurs. Ce n’est pas tout le monde qui prend automatiquement le téléphone pour chercher de l’aide. Tu veux montrer que tu es capable de faire quelque chose de ta vie. Heureusement pour moi, ça a fonctionné, mais il y en a un méchant paquet pour qui ce n’est pas facile. Et quand un gars a trop attendu avant d’aller chercher de l’aide, c’est peut-être là que ça déboule. »

UN SUIVI SOUHAITÉ

Roy, qui a disputé 515 matchs en 10 saisons dans la Ligue nationale de hockey, aimerait voir la LNH et l’Association des joueurs assurer un suivi plus rigoureux à la retraite des durs à cuire.

« Tu as donné pour des organisations, pour la Ligue nationale, tu as été adulé, adoré par les gens, faudrait quand même essayer de mettre sur pied un programme pour aider ces gars-là à s’en sortir. C’est la moindre des choses. S’il pouvait y avoir un, deux ou trois anciens joueurs, un comité qui se déplace pour aller voir des gars dans les villes. Je suis convaincu que ça se fait, avec tout l’argent que génère la Ligue nationale de hockey. Il y a une façon de fonder quelque chose.

« Si on s’était déplacé pour moi à l’époque, probablement que je serais allé chercher de l’aide. Dan Carcillo vient de prendre sa retraite et il veut s’impliquer avec l’Association des joueurs, il veut justement suivre les anciens durs à cuire. C’est un pas dans la bonne direction. »

Adolescent, Roy admirait Ewen, dont la carrière avec le Canadien, après ses saisons à St. Louis, a duré de 1989 à 1993.

« Chris Nilan, John Kordic, Todd Ewen, Lyle Odelein, je les adulais. J’aimais ça, moi aussi, quand ils jetaient les gants. Ewen, c’était un des bons. Malheureusement, à 49 ans, les effets des coups à la tête se sont peut-être fait sentir. Quand j’ai appris la nouvelle samedi sur Twitter, j’espérais que ça ne soit pas un autre suicide. On l’a confirmé le lendemain. » 

« On n’aime pas entrer dans les détails, mais quand on est rendu à se tirer une balle dans la tête, c’est rendu vraiment loin... »

— André Roy

Roy dit vivre au jour le jour. « Je ne veux pas connaître l’état de mon cerveau. Je sais que ça pourrait empirer avec le vieillissement. Je croise les doigts. C’est 15 ans de ma vie à jeter les gants à toutes les années. Il y en a des combats là-dedans. »

Le colosse de 6 pi 4 po et 225 lb aurait aimé connaître les effets à long terme des commotions cérébrales au moment où il jouait au hockey.

« On n’était pas informés. On nous disait que c’était notre rôle, et de prendre les moyens de rester dans la LNH pour réaliser notre rêve. Quand j’ai commencé, je voulais être un bon joueur robuste capable de scorer et je me disais qu’en jetant les gants, ça serait un atout de plus. Jamais on ne m’a dit que je courais des risques à faire ça. Dans mon subconscient, je me disais qu’il pouvait y avoir un risque, mais personne n’était vraiment mort de ça. »

BONNES ET MOINS BONNES JOURNÉES

Le nombre de bagarres a diminué de 40 % entre 2004 et 2014. Malgré tout ce que lui a apporté sa carrière, Roy s’en réjouit. « C’est dur pour moi de changer mon fusil d’épaule, mais je n’encourage plus les bagarres. Si j’avais un fils qui jouait au hockey, par exemple, je ne voudrais pas qu’il fasse le métier que j’ai fait. »

Roy a de bonnes et de moins bonnes journées. « Je me lève certains matins et j’ai l’impression qu’on m’a frappé sur la tête avec une barre à clous. Je ne me souviens plus de ce qui s’est passé la veille, je ne me rappelle plus le nom d’un homme à qui j’ai parlé deux ou trois fois dans la semaine. Je me mets à faire des recherches pour retrouver son nom. Parfois, je me mets à chercher dans la dépense pour vérifier ce que j’ai acheté en rentrant du Costco. »

Boogaard, Montador et Bob Probert avaient en commun de souffrir d’encéphalopathie traumatique chronique, résultat de leurs nombreuses commotions cérébrales. Idem pour les huit anciens footballeurs de la NFL morts à la suite de suicides au cours des dernières années. On ne connaît pas le résultat des autopsies pratiquées sur Rypien et Belak.

Les familles de Boogaard et Montador ont engagé des poursuites judiciaires contre la LNH au cours des dernières années, de même que plusieurs groupes d’anciens joueurs. Un sujet délicat dont on n’a pas fini d’entendre parler...

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