Opinion : Affaire Bertrand Charest

Elles étaient prêtes à conquérir le monde

Elles sont douze. Douze athlètes qui mènent depuis deux semaines, que dis-je, plutôt depuis 20 ans, la compétition la plus difficile de leur carrière. Contrairement aux autres athlètes qui défient avec passion les chronos, elles doivent défier celui qui leur a volé une partie de leur histoire et de leur vie.

Le procès de l’ex-entraîneur de ski Bertrand Charest dépasse l’entendement. Attouchements et relations sexuelles, avortement, morsures aux fesses des athlètes sous sa responsabilité, humiliation publique, etc.

Il demande pardon ?

Elles étaient préadolescentes, surdouées, prêtes à conquérir le monde avec l’audace aveugle que seuls les jeunes possèdent. Comme les autres filles de leur âge, elles ne disposaient pas d’un mode d’emploi à l’usage des victimes d’agresseurs.

Elles considéraient leur entraîneur comme un demi-dieu. Il était, à leurs yeux, celui qui détenait les clés de leur réussite. Pour elles, il était un modèle.

D’autres ont essayé de le dénoncer, de crier que tout cela était anormal. Ce fut en vain.

L’administration faisait la sourde oreille, d’autant que les résultats des athlètes étaient bons.

Les commanditaires en avaient pour leur argent et les parents étaient fiers. L’équipe féminine canadienne de ski alpin glissait tout droit vers la gloire grâce à des athlètes hors du commun.

Deux mots découlent régulièrement de ce procès : « immaturité » et « manipulation » ! Voilà deux des principaux attributs qui caractérisaient ce loup, qui passait 270 jours de voyages par année avec des brebis ! Bravo !

Vous croyez que ce qui est arrivé à ces jeunes filles est exceptionnel ? Pas du tout. Ce genre d’histoires commence tout juste à sortir. Si vous plongiez un peu plus profond dans le merveilleux monde du sport, vous seriez surpris !

L'image publique

L’un des pires vices sera toujours de tenter de cacher l’abus en s’imaginant protéger l’image publique ou corporative. Pire, un tel comportement se fait toujours aux dépens des victimes qui se retrouvent muselées. Agir ainsi, c’est redonner du pouvoir à l’agresseur et ajouter de la honte aux victimes. J’en rage !

Un fait a changé le cours des choses. Un jour, un juge a simplement dit à ces filles : « Je vais vous écouter. »

Pour la première fois en 20 ans, quelqu’un en position d’autorité a tendu l’oreille à ces 12 femmes qui ont refoulé leurs souffrances physiques et morales durant deux décennies.

Malgré la honte qui les dévorait, elles ont pourtant trouvé le courage de se lever, pour éviter que d’autres jeunes filles voient aussi leur vie bousillée, pour les quelque 20 secondes de jouissance de celui qui est prétendument un homme.

Au même titre que le suspect, le personnel de Ski Canada et les membres du conseil d’administration de l’époque devraient être confrontés à une sérieuse introspection pour complicité et aveuglement volontaire, surtout dans ce cas précis. Les conseils d’administration s’en sortent toujours trop bien et j’y reviendrai un jour.

Aujourd’hui, ces femmes disputent la plus grande épreuve de leur carrière.

Mais cette épreuve est tellement plus considérable qu’un simple chrono. Elle leur permettra de se réapproprier leur histoire et leur identité. Leur seule présence au tribunal et leur courage d’affronter leur agresseur leur ont fait remporter une victoire beaucoup plus grande qu’elles ne l’auraient jamais cru : elles ont regagné leur estime d’elles-mêmes.

Au cours des 20 dernières années, il y a eu un très grand nombre de championnats avec de belles performances. Mais la plus grande des victoires est celle de cette équipe féminine anonyme. Malgré cette adversité difficile à comprendre, elles sont en train de vaincre la bêtise masculine. Au-delà d’un individu, elles affrontent et dénoncent l’aveuglement volontaire, les préjugés, la testostérone dégradante d’un homme immature et celle de plusieurs membres des conseils d’administration et des fédérations supposément responsables, mais qui ont perfectionné l’art de se fermer les yeux quand bon leur semble.

Elles sont douze. Douze qui s’apprêtent enfin à passer simultanément une ligne imaginaire d’arrivée, insufflant du courage et de l’espoir à toutes celles qui vivent encore injustement des situations semblables.

Cette démonstration exceptionnelle de force et de résilience mérite toute notre admiration. Le podium qui s’apprête à les accueillir ne possède qu’une seule marche, la plus haute, celle qui permet de contempler toutes ces montagnes qui, jadis, paraissaient infranchissables.

Chapeau, les filles !

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