Décryptage

Le nouvel ordre mondial en quatre mots

Du sommet du G7 dans Charlevoix à la rencontre Trump-Poutine à Helsinki en passant par la poignée de main entre le président américain et le leader nord-coréen Kim Jong-un, une visite acrimonieuse de Donald Trump à Londres et le sommet de l’OTAN, les cinq dernières semaines ont été riches en rebondissements internationaux.

Au-delà du caractère chaotique de l’apparent réalignement de Donald Trump, ces évènements où ce dernier a vilipendé les traditionnels alliés des États-Unis, tout en montrant patte blanche à des puissances habituellement hostiles, sont-ils les signes d’une nouvelle donne planétaire ? Assistons-nous à l’avènement d’un nouvel ordre mondial ?

Oui, mais ce brassage de cartes a commencé bien avant l’élection de Donald Trump, affirme le politologue et spécialiste de l’Asie de l’Université Laval Gérard Hervouet, avec qui nous nous sommes entretenue cette semaine. Voici, en quatre mots-clés, les principales caractéristiques de la nouvelle configuration multipolaire qui, peu à peu, repousse l’Occident vers les marges.

Symptôme

L’élection de Donald Trump est davantage le symptôme que la cause d’un phénomène perceptible depuis pas loin de deux décennies, affirme Gérard Hervouet. Ce phénomène, c’est « la crise latente de l’ordre libéral » qui s’est mise en branle au début du millénaire. Crise alimentée par la hausse des inégalités économiques, la mondialisation selon le modèle américain ayant fait des gagnants, mais aussi des perdants.

Cette crise a été marquée notamment par le déclin des valeurs traditionnelles de l’Occident, telles que la démocratie ou les droits de la personne. « L’Occident n’est plus un modèle à suivre, et plusieurs pays cherchent d’autres modèles pour assurer la prospérité de leur population », dit Gérard Hervouet. C’est le cas, par exemple, de la Chine et du Viêtnam, dont le développement économique n’est pas associé à une libéralisation politique.

L’arrivée au pouvoir de Donald Trump a accéléré le phénomène. Depuis, la première puissance mondiale qui a créé cet ordre libéral clame haut et fort qu’elle n’y croit plus ! Donnant ainsi un « puissant coup de pied dans la fourmilière ».

C’est ce qui fait dire à Gérard Hervouet que « Trump est le produit d’un courant historique » qui s’est emballé depuis son arrivée au pouvoir.

Multipolaire

Il y a eu le monde bipolaire de la guerre froide, le monde unipolaire qui a brièvement suivi la chute du mur de Berlin, bienvenue dans un monde multipolaire aux alliances nombreuses et complexes. Ce n’est plus l’Occident qui choisit quels pays sont des partenaires économiques fiables et lesquels ne le sont pas. « Cette dynamique s’est rompue », dit Gérard Hervouet.

Un exemple : la planète n’a pas arrêté de tourner quand Washington a annoncé son retrait de l’Accord de Partenariat transpacifique, le fameux PTP. D’autres acteurs, dont le Japon et l’Australie, ont pris le leadership d’un nouveau traité qui devrait voir le jour en 2019. Sans les États-Unis.

Un autre projet de libre-échange, le Partenariat économique régional global, inclut l’Inde, la Chine, la Thaïlande, la Corée du Sud. Au total, 16 pays du Pacifique sont en train de forger des ententes beaucoup moins contraignantes que les traités de libre-échange traditionnels. Loin, très loin de Washington…

Pendant ce temps, la Chine vient de lancer un gigantesque projet des « nouvelles routes de la soie » qui visent à connecter l’Asie au Moyen-Orient. De nouveaux « couloirs de croissance » apparaissent, l’Inde se rapproche du Japon, Singapour négocie un accord de libre-échange avec l’Amérique latine.

Globalement, « un très grand nombre d’acteurs essaient de reprendre les choses en main en contournant les États-Unis », constate le chercheur. Les États occidentaux n’ont plus de réticences à négocier avec des dictatures plus ou moins éclairées, et ont cessé de donner des leçons de démocratie.

Résultat : les pays émergents n’ont plus à adopter le modèle occidental pour se développer.

Complexité

Ce nouveau monde multipolaire est très fragmenté et complexe. Des puissances s’affirment : « Personne ne peut freiner la montée de la Chine et de l’Inde, ça ne dépend plus de nous », les Occidentaux…

Les grands pays à suivre, les nouveaux acteurs qui seront au premier plan dans cette reconfiguration économique mondiale, seront le Brésil, l’Afrique du Sud, l’Argentine et, qui sait, peut-être même l’Iran, prévoit Gérard Hervouet.

De grandes institutions qui ont orchestré les belles années de la mondialisation libérale, comme l’Organisation mondiale du commerce, sont en perte d’influence. Et d’autres institutions prendront le relais.

Dans ce monde nouveau ouvert à de nouveaux acteurs, les États-Unis continueront d’exercer une influence sur le plan militaire. Par contre, leur crédibilité est déjà entachée : viendraient-ils vraiment au secours d’un allié en péril ? Sans crédibilité, leur poids ne pourra que s’étioler.

Finalement, le train de l’histoire est en train de passer, et Donald Trump n’est pas dedans.

Incertitude

Pendant que l’ordre économique mondial se déconstruit et qu’une nouvelle configuration voit progressivement le jour, le mot le plus important à retenir reste : « incertitude », rappelle Gérard Hervouet. Qui sait quelle sera la prochaine cible de Donald Trump et dans quelle direction il entraînera son pays, avant de changer de cap et de repartir en sens inverse…

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