OPINION SYSTÈME DE SANTÉ

Quand une « bonne infirmière » est une infirmière surchargée

À force d’activer la machine, on pousse l’humain à l’erreur

Au cours des dernières années, les médias ont rapporté des histoires vécues par des infirmières se disant surchargées de travail.

Que ce soit aux urgences, en centre d’hébergement et de soins de longue durée et récemment dans le secteur de la maternité au CHU Sainte-Justine, il faudra se rendre à l’évidence qu’à force d’activer la machine, on pousse l’humain à l’erreur. Briser le silence dans le néant est audacieux, surtout quand on sait que le vide ne transporte pas le son.

À travers ma jeune expérience dans le réseau où j’ai côtoyé plusieurs collègues infirmières et infirmiers, j’ai été témoin de plusieurs demandes de prendre en charge plus de patients.

Toutes les raisons sont justifiées pour demander au personnel de prendre davantage de patients.

Hélas, la normalité n’est pas balisée, elle est plutôt arbitraire dans les milieux où j’ai exercé et je n’ai jamais vu de ratio patient-infirmière dans quelconque convention collective.

Oui, c’est flou, et je parie que c’est à l’avantage de nos patrons qui représentent le gouvernement qui vous représente ! Ainsi, il est plus difficile de dire, hors de tout doute, que le professionnel de la santé dépasse la charge de travail acceptable et sécuritaire lorsqu’elle n’est pas clairement établie. On ne peut dépasser la ligne si la ligne n’existe pas…

Quand mes collègues se font supplier de prendre des patients supplémentaires, les arguments qui ressortent la plupart du temps sont : « Tu sais, on manque de staff, il faudrait que tu le prennes. » « Si tu ne le prends pas, sur qui le patient peut-il compter  ? » « On sait que tu es une bonne personne, pense au patient. » Et j’en passe.

Altruisme et humanisme

À première vue, ce qui ressort, c’est l’utilisation des sentiments et des valeurs. Que souhaite-t-on observer chez une infirmière ? Qu’elle ait intégré des valeurs empreintes d’humanisme et qu’elle soit bienveillante, c’est évident. Historiquement, la profession est associée à des valeurs altruistes et humanistes. Toutefois, en ce qui concerne les comptables, ingénieurs et autres professionnels dans d’autres domaines que celui de la santé, ils vous diraient probablement, devant de tels arguments, que le dossier supplémentaire sera réglé le lendemain, même si on les flatte dans le sens du poil.

Il importe alors de se demander à quel point l’intégration des valeurs humaines chez les infirmières est bénéfique dans une perspective de surcharge de travail. Et si notre bonté ne revient pas à nous tirer une balle dans le pied. Il n’y a aucune infirmière qui souhaite voir l’état d’un patient se détériorer à cause de sa non-prise en charge.

D’un autre côté, aucune infirmière ne souhaite être poussée à l’erreur à cause d’une surcharge de travail. En effet, études et recherches concluent à l’augmentation des risques d’accident lorsqu’on augmente la charge de travail de l’infirmière. Chaque fois que l’on nous demande de prendre un patient de plus, on se demande à quel prix ce sera possible et nous pouvons vivre une détresse morale issue de cette bienveillance. Un patient symptomatique, ce n’est pas nécessairement un dossier important qui peut être réglé à 8 h le lendemain.

Le réflexe de la « bonne infirmière » est d’accepter, de faire de son mieux, de se retenir pour aller à la toilette, de retarder son heure de repas et de finir plus tard en sachant qu’on ne paie plus les heures supplémentaires à certains endroits.

En d’autres mots, on s’essaie, et si ça passe, on a réussi à envoyer le problème sous le tapis. Mais ce n’est pas parce qu’on ne voit pas un problème qu’il n’existe pas. Remettre le problème à la base opérationnelle et ne pas y être attentif relève soit de l’ignorance ou de l’hypocrisie.

Un problème qui perdure

Dans une structure où davantage de pouvoirs ont été remis dans les mains du ministre de la Santé, il est difficile d’expliquer l’inaction pour régler un problème qui perdure, surtout lorsqu’on investit massivement dans la rémunération médicale qui ne produit pas plus de services à la population. Je me permettrai de dresser un lien avec la théorie des intérêts structurels, où la structure sert les intérêts des personnes qui la gouvernent. Cette inaction, est-ce de l’hypocrisie, de l’optimisme démesuré, de la dégénérescence maculaire gouvernementale ?

La prochaine fois que vous visiterez un hôpital, je vous invite à vous demander ce que l’infirmière fait quand elle n’est pas dans la chambre de son patient. Questionnez-la sur son expérience de travail dans les conditions imposées par les politiques empreintes de rigueur budgétaire. Demandez-lui pourquoi c’est si long avant de pouvoir la voir quand vous sonnez votre cloche. Et si vous nous reprochez de parler au travail, dites-vous que si nous parlons ensemble, c’est parce que l’écoute ne descend pas toujours sur le plancher des vaches.

L’écoute mutuelle patient-infirmière, je l’espère, est probablement l’outil de prédilection pour mener une action afin d’influencer les politiques. Si le gouvernement ne vous écoute pas, il sera forcé de vous entendre sur votre bulletin de vote.

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