La Presse au congrès de l’acfas

Biologie, sciences sociales, mathématiques, éducation, génie : le congrès de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS) bat son plein à Saguenay, réunissant plus de 3000 chercheurs d’une trentaine de pays. Toute la semaine, La Presse couvrira cette grand-messe de la science en français.

La Presse au congrès de l’ACFAS

Dans les coulisses d’un labo de pot

SAGUENAY — Avec la légalisation du cannabis à nos portes, les producteurs doivent maintenant savoir exactement ce que contient le pot qu’ils vendront bientôt aux consommateurs. Quelle est sa concentration exacte en THC ? Contient-il des pesticides, des bactéries, des champignons ? Et qu’en est-il des terpènes, ces molécules volatiles qui donnent ses arômes au cannabis ? Le Laboratoire PhytoChemia, à Saguenay, est l’un des rares labos au Québec à être autorisé à tester cette drogue. La Presse a profité du congrès de l’ACFAS pour en visiter les coulisses.

Le chimiste Dany Massé exhibe trois « cocottes » de pot laissées par un client. Sa mission : déterminer exactement ce que contiennent ces fleurs de cannabis. À cette fin, M. Massé les broie d’abord en une fine poudre afin d’obtenir un produit homogène. Cette poudre est ensuite mélangée dans un solvant pour en extraire les différents composés. Il en résulte un liquide vert vif qui dégage des arômes si puissants qu’ils gagnent l’ensemble du laboratoire.

« Là-dedans, on a tous les cannabinoïdes qu’il y avait dans la plante. Et si c’est si vert, c’est parce que j’ai aussi extrait la chlorophylle. »

— Le chimiste Dany Massé, du Laboratoire PhytoChemia

Le liquide est ensuite versé dans de minuscules fioles, puis envoyé dans une machine toute neuve appelée « chromatographe en phase liquide ». Sur un écran, des pics apparaissent. Chacun d’entre eux correspond à des substances actives du cannabis, qu’on appelle les cannabinoïdes. THC, CDN, CBN, alouette : la grosseur des pics donne la concentration de chacun des ingrédients. C’est ainsi qu’un producteur peut connaître la concentration exacte de THC – la principale substance qui « gèle » – de sa plante.

Goût et odeur

« J’ai vu des concentrations allant de 0 à 20 % », explique Dany Massé. Le chimiste fournira aussi au producteur ce qu’on appelle un « profil de terpènes ». Il s’agit des différents composés volatils – pinède, limonène, linalol, myrcène – qui donnent son goût et son odeur au pot. Pas moins de 257 d’entre eux ont été identifiés jusqu’à maintenant. Certains sentent le sapin et d’autres, le citron. Et les producteurs veulent savoir lesquels se trouvent dans leurs produits.

Grâce à une autre machine qui fait ce qu’on appelle de la spectroscopie de masse, les chimistes peuvent aussi détecter les traces de 96 pesticides différents qui pourraient se trouver dans l’échantillon et qui seront interdits lorsque le pot sera vendu au public. Quatre métaux lourds – mercure, plomb, arsenic et cadmium –, des champignons et des bactéries comme la salmonelle et E. coli peuvent aussi être détectés dans le laboratoire.

« On reçoit de deux à trois échantillons par semaine, de partout au Canada. »

— Le chimiste Dany Massé, du Laboratoire PhytoChemia

PhytoChemia, fondée par trois étudiants de l’Université du Québec à Chicoutimi, surfe sur la légalisation qui est imminente au Canada. La boîte compte 12 employés et mène ses activités selon des règles strictes. Hubert Marceau, l’un des trois cofondateurs, explique que seuls les individus et les entreprises qui possèdent un permis de Santé Canada peuvent y faire tester leurs produits.

« Au gramme près »

« Ici, tout est régi au gramme près. On a un formulaire et on indique ce qui rentre et ce qui sort. Le registre est très strict », explique Dany Massé. Et pas question pour PhytoChemia de jouer les conseillers en cannabis.

« On a souvent des clients qui nous demandent : “Quel effet va faire mon pot ?”, raconte Dany Massé. On lui répond qu’on est des chimistes, pas des médecins ni des biologistes. On ne le sait pas. Notre job est de dire ce qu’il y a dans le pot. Point. »

Congrès de l’ACFAS

Les mères paient cher la naissance de leurs enfants

SAGUENAY — Avoir des enfants plombe solidement les revenus des mères canadiennes et québécoises… mais pas ceux des pères. Une étude montre que les mères canadiennes encaissent une baisse importante de revenus de 40 % à la naissance de leur premier enfant, et qu’il leur faut des années avant de retrouver le niveau de salaire d’avant la maternité.

« La maternité a un impact négatif sur les trajectoires de revenus des mères, mais on ne s’attendait pas à ce que les pénalités, si on peut appeler ça ainsi, durent si longtemps », explique Marie Mélanie Fontaine, étudiante au doctorat en sciences économiques à l’Université du Québec à Montréal.

La baisse des revenus s’atténue chaque année après la naissance du premier enfant, et les revenus des mères finissent par retrouver leur niveau d’avant la maternité.

Mais ici, le Québec fait office de société distincte. Ce temps de récupération est près de trois fois plus court au Québec – soit quatre ans après la naissance du premier enfant, contre onze ans dans le reste du Canada.

L’étudiante soupçonne que les politiques familiales plus avantageuses expliquent ce rattrapage plus rapide au Québec, mais elle veut maintenant le vérifier scientifiquement.

Des congés parentaux « plus avantageux »

« La prochaine étape est de regarder l’impact causal des politiques québécoises, notamment les garderies subventionnées et le régime québécois d’assurance parentale, qui offre des congés parentaux plus avantageux pour les parents au Québec », dit Mme Fontaine.

En épluchant les données de Statistique Canada, Mme Fontaine a fait un autre constat troublant : les revenus des pères ne sont pas touchés par la naissance des enfants. « C’est surprenant, convient la chercheuse. Toute la responsabilité des naissances sur le marché du travail repose sur les épaules des mères. » Mme Fontaine précise que les données étudiées vont de 1982 à 2013. « Une des prochaines étapes est de voir comment ça évolue dans le temps, explique la chercheuse. C’est sûr que certaines politiques sont arrivées pendant cette période. Quel impact ont-elles eu ? Ça va être intéressant de l’étudier. »

Congrès de l’ACFAS

La peur en héritage

Les scientifiques présents au congrès de l’ACFAS ont décortiqué nos peurs. Pendant que certains mesuraient notre peur de l’autre, d’autres analysaient comment nos peurs se transmettent de génération en génération.

« Mother’s gonna put all of her fears into you », chantait Pink Floyd sur l’album The Wall. On sait que les parents peuvent transmettre leurs peurs à leurs enfants. Et une étudiante de l’Université de Montréal en a décortiqué les mécanismes.

« La peur se retrouve au centre de plusieurs psychopathologies, comme les troubles anxieux et le trouble de stress post-traumatique », explique Alexe Bilodeau-Houle, étudiante à la maîtrise en psychologie. 

« Et comme il y a une grande composante familiale dans ces troubles, il est intéressant d’étudier la transmission de la peur du parent à l’enfant. »

— Alexe Bilodeau-Houle, étudiante à la maîtriseen psychologie

Pour ce faire, Mme Bilodeau-Houle a élaboré un ingénieux protocole. Première étape : inculquer une peur chez le parent en lui présentant un stimulus neutre (une lumière bleue) tout en lui administrant simultanément une légère décharge électrique. Une lumière jaune, au contraire, n’était associée à aucune décharge électrique. Face à un tel traitement, l’adulte devient rapidement nerveux face à une lumière bleue. Les chercheurs ont filmé ces expériences, puis les ont fait visionner à leurs enfants âgés de 8 à 12 ans.

Les enfants ont ensuite été exposés aux mêmes lumières bleues et jaunes, et on leur a dit qu’ils pourraient recevoir des décharges électriques. En réalité, aucune décharge n’a été administrée aux enfants. La chercheuse a montré que les enfants étaient plus stressés lorsqu’une lumière bleue apparaissait, montrant qu’ils avaient assimilé les peurs de leurs parents. Fait intéressant, les filles ont présenté des réponses de peur plus importantes que les garçons face aux lumières (qu’elles soient bleues ou jaunes) et discriminaient mieux le signal de peur (lumière bleue versus lumière jaune).

« On sait que les filles et les femmes sont de deux à trois fois plus à risque de souffrir de troubles anxieux et de trouble du stress post-traumatique, ce qui est cohérent avec nos données », dit Mme Bilodeau-Houde, qui travaille sous la direction de la Dre Marie-France Marin. Prochaine étape : étudier la peur chez les enfants dont les parents souffrent du trouble de stress post-traumatique.

Les Maghrébins discriminés à Québec

À CV égal, les chances que les employeurs de la ville de Québec convoquent en entrevue un candidat qui porte un nom franco-québécois étaient deux fois plus élevées que pour un candidat au nom maghrébin. C’est ce qu’a découvert Jean-Philippe Beauregard, étudiant au doctorat à l’Université Laval, en envoyant des paires de CV à 202 employeurs de la région de Québec.

« On s’attendait à de la discrimination et on avait fait l’hypothèse que ça allait être plus élevé qu’à Montréal, mais on n’avait pas idée de l’ampleur. »

— Jean-Philippe Beauregard, étudiant au doctorat à l’Université Laval

Il y a plusieurs années, dans une étude similaire, la Commission des droits de la personne avait mesuré un taux de discrimination de 33 % chez les Arabes pour les emplois qualifiés (contre 50 % à Québec selon cette nouvelle étude).

Les CV envoyés par M. Beauregard étaient conçus pour attirer l’œil des employeurs sur des candidats intéressants qui avaient faits des études dans la région de Québec et possédaient des expériences locales, peu importe leur nom. Le plus fort taux de discrimination a été observé dans le secteur des ressources humaines, alors que le candidat maghrébin avait 73 % moins de chances de se faire convoquer en entrevue que le Québécois de souche. Le taux de discrimination était de 55 % en comptabilité et 33 % en marketing. M. Beauregard souligne que de tels taux de discrimination peuvent mener les candidats au chômage ou à accepter des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés.

« Dans les deux dernières années, il y a eu une visibilité accrue des groupes d’extrême droite qui entretiennent des discours anti-musulmans et anti-immigration et on s’attend à ce que ça ait eu une influence », commente M. Beauregard.

Congrès de l’ACFAS

Interagir avec les morts sur Facebook

Imaginez que, par nostalgie, vous publiez sur Facebook une photo de l’un de vos amis décédé. Elle apparaît sur les écrans de vos proches, remuant des émotions qui peuvent se propager au gré des connexions du réseau social. C’est ce genre « d’interactions posthumes » survenant dans le monde virtuel entre morts et vivants qui intéresse Sonia Trépanier, candidate à la maîtrise à l’UQAM. « Qu’est-ce qui motive les gens à publier ce contenu ? Comment, à long terme, cela affecte-t-il le rapport au deuil ? Est-ce que c’est positif ou négatif ? Est-ce que Facebook devrait gérer ça différemment ? Est-ce que les gens devraient être plus au courant ? C’est tout ça que je veux savoir », explique Mme Trépanier, qui démarre ses recherches.

Facebook donne l’option de planifier ce qu’il adviendra de notre page Facebook lorsque nous mourrons (la supprimer ou la léguer à un ami). Des proches peuvent aussi demander de fermer la page d’un défunt ou de la faire transformer en page commémorative. « La plupart du temps, les gens ne le font pas et la page devient simplement inactive », dit Mme Trépanier. Dans ce cas, l’algorithme de Facebook lui-même peut soudainement faire resurgir la photo d’un défunt comme souvenir, ou même proposer cette personne comme ami. Les émotions qui s’ensuivent peuvent être d’autant plus inattendues. Mme Trépanier compte d’abord observer les interactions posthumes qui se déroulent sur Facebook, puis faire passer des questionnaires à ceux qui en prennent l’initiative et ceux qui les subissent pour comprendre leurs motivations et leurs émotions.

Le stress influence le contenu des rêves

Plus vous êtes stressé le jour, plus vous vivrez des émotions négatives la nuit dans vos rêves. C’est ce qu’a découvert Eugénie Samson-Daoust, étudiante à la maîtrise en psychologie à l’Université de Montréal, dans une rare recherche visant à tisser des liens entre notre vie quotidienne et le mystérieux monde des rêves. « Ça vient appuyer l’hypothèse de la continuité des rêves, qui dit que nos rêves sont une continuité de ce qu’on vit à l’éveil, qu’ils sont représentatifs de nos préoccupations quotidiennes », explique Mme Samson-Daoust. Les résultats, encore préliminaires, ont été obtenus par des questionnaires portant sur les émotions vécues pendant la journée et celles dont se souviennent les participants dans leurs rêves. L’étudiante a aussi noté que les gens qui se disent anxieux se souviennent moins bien de leurs rêves que les autres.

— Philippe Mercure, La Presse

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