Opinion
Départ de Luc Ferrandez

La montagne aura accouché d'une souris

Il faut avoir fait de la politique pour comprendre combien en sortir est difficile. L’adrénaline prodiguée par le rythme frénétique des requêtes des citoyens et des lobbys de toute sorte, les décisions urgentes à rendre à l’appareil bureaucratique et, surtout, l’impression d’être au centre de la discussion publique alimentée par des contacts continuels avec les journalistes et influenceurs nous donnent l’impression d’être utile, voire carrément d’exister.

Sortir de cette bulle demande courage et détermination. Cela, surtout lorsqu’on le fait sur la base de principes. Aussi, le départ de Luc Ferrandez comme maire de l’arrondissement du Plateau et membre du comité exécutif de la Ville de Montréal force le respect.

Entré en politique pour transformer l’environnement urbain, il en ressort avec un arrondissement qui a subi plusieurs transformations. Les intersections des rues ont été rétrécies par l’aménagement de saillies de trottoirs, le flot de circulation a été ralenti par des ajustements aux sens uniques, les ruelles ont été sécurisées et plusieurs, verdies.

Aussi, Luc Ferrandez sera connu comme l’un des décideurs, sinon le décideur qui aura introduit l’esprit du nouvel urbanisme au Québec.

Cela dit, ni les polémiques qu’il a su soulever tout au cours de son mandat ni la qualité de petites initiatives qu’il a mises de l’avant ne donnent l’impression qu’il a fait de grandes choses. Comme si son bilan paraissait anecdotique plutôt qu’un changement de paradigme dans la façon dont nous développons nos communautés. Ferrandez en impute la faute, dans son digne et magnifique message de départ, sur notre refus collectif de prendre les bonnes décisions face à la crise environnementale. Peut-être. Mais deux autres facteurs expliquent, à mon sens, que la montagne ait finalement accouché d’une souris.

Le premier aura été son manque d’intérêt face à l’exécution de sa vision. Avoir des idées est une chose ; les réaliser en est une autre. Les grands hommes d’État sont ceux qui ont su conjuguer les deux, par exemple René Lévesque, dont l’aspiration pour le Québec s’est notamment traduite par la nationalisation de l’électricité, opération d’affaires exécutée à la perfection, ou Jean-Paul L’Allier, qui a su donner une stature de capitale nationale à Québec en requalifiant son centre avec finesse.

Il semble que le rôle d’intendance et de conciergerie, qui est pourtant au cœur du mandat des villes et arrondissements, ne l’intéressait pas. Montréal et le Plateau n’ont pas été aussi sales depuis longtemps. Alors que nous sommes à la mi-mai et que l’interdiction de stationner sur rue chaque semaine est en vigueur depuis maintenant 47 jours, le ménage du printemps n’est pas à moitié complété. Les poubelles des parcs débordent, et il est incompréhensible qu’on n’y retrouve toujours pas des bacs à recyclage et à compost.

Aussi, la mobilité n’a jamais été aussi difficile qu’aujourd’hui. Certes, il n’y a jamais eu autant d’automobiles et les véhicules sont plus gros que jamais. Mais le fait qu’on ne coordonne toujours pas les travaux fait en sorte qu’alors que j’écris ces lignes, on retrouve simultanément des travaux sur Hutchison, Parc, Saint-Urbain, Saint-Laurent et Saint-Denis, des rues toutes parallèles, transformant les déplacements en enfer, tant pour les automobilistes que pour les cyclistes et les piétons.

Une Ville antipathique

Le deuxième facteur qui explique ce maigre bilan aura été sa difficulté à engager un dialogue positif avec les différentes parties prenantes.

Il est de notoriété publique que Luc Ferrandez n’avait ni la patience ni la passion des longues assemblées citoyennes.

Lui qui prône l’arrivée d’un « leader du style autoritaire progressiste » en aura incarné le personnage.

Traiter, à tort ou à raison, les fonctionnaires qui ne partagent pas ses vues d’ « attardés sociaux » ou catégoriser toute personne qui gagne sa vie comme entrepreneur, qu’il s’agisse de petits commerçants ou de grands hommes d’affaires, de « droite » aura finalement été un repoussoir aux idées dont il faisait pourtant la promotion. Comme s’il avait réussi à faire de la Ville de Montréal, déjà naturellement en déficit d’empathie face aux citoyens, une ville carrément antipathique.

Aussi, il suffit de parler aux cols bleus ou cols blancs de l’arrondissement du Plateau pour comprendre à quel point ceux-là mêmes qui étaient aux premières loges de la transformation souhaitée n’étaient pas engagés, et n’y croyaient pas. Or, la révolution urbaine qu’il appelle de tout cœur demandera la participation du plus grand nombre.

Que faire pour l’avenir ? Entre une droite cupide et une gauche dogmatique, il doit bien exister un centre progressiste et mobilisateur.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.