Éditorial Ariane Krol

Économie canadienne
Dans l’ombre de Donald Trump

Son nom n’apparaît nulle part, mais on distingue clairement ses empreintes dans les nouvelles prévisions économiques de la Banque du Canada. On a beau ne pas vouloir se laisser impressionner par les coups d’éclat de Donald Trump, quand les entreprises d’ici commencent à en tenir compte dans leurs décisions, il devient difficile de les ignorer.

L’économie se porte bien. Mieux que la Banque du Canada ne l’avait prévu, assez pour qu’elle relève son taux directeur d’un quart de point de pourcentage. Au sud de la frontière, toutefois, l’horizon est de plus en plus incertain. Et cette incertitude liée aux politiques américaines risque d’avoir un impact très concret sur les décisions des entreprises canadiennes, prévient la Banque dans son Rapport sur la politique monétaire publié hier.

Il y a d’abord les renégociations de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Même si elle s’attend à ce que l’accord s’applique au moins jusqu’à la fin de 2019, et juge les effets d’une rupture trop complexes pour être chiffrés d’avance, la Banque le reconnaît sans détour : l’incertitude s’est accentuée, au point d’avoir des répercussions sur les perspectives d’investissement et d’exportations au Canada.

« On a vu ça avec de grandes entreprises récemment : vu l’incertitude, elles se demandent s’il ne serait pas plus prudent de faire leurs investissements aux États-Unis. »

— Carolyn Wilkins, première sous-gouverneure de la Banque du Canada, en conférence de presse

Ces témoignages recueillis par la Banque dans le cadre de ses enquêtes et de ses discussions avec les gens d’affaires confirment ce que plusieurs redoutaient depuis plusieurs mois : que les entreprises du Québec et du reste du Canada se mettent à investir, et à créer leurs emplois, aux États-Unis plutôt qu’ici afin de protéger leurs parts de marché américaines.

À cela s’ajoute la réforme fiscale américaine qui, tout en suscitant une croissance prometteuse pour les fournisseurs canadiens, risque d’influencer leurs projets d’expansion. « Les entreprises pourraient décider de rediriger une partie de leurs dépenses d’investissement du Canada vers les États-Unis pour bénéficier de l’imposition moindre sur le revenu des sociétés », note le rapport de la Banque. Plus qu’une possibilité, c’est une probabilité bien réelle. Les investissements canadiens des deux prochaines années seront de 0,5 % moins élevés qu’ils ne l’auraient été autrement, prévoit l’institution.

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Si les États-Unis adoptent des politiques beaucoup plus protectionnistes, ils pourraient même nuire à leur propre croissance, prévient la Banque. Elle n’est pas la première à le dire. On ne compte plus les émissaires canadiens, les industries américaines et les élus à Washington qui ont démontré tout ce que les États-Unis perdraient en se retirant de l’ALENA. Et pourtant, le président Trump continue à brandir périodiquement cette menace, sans qu’on sache s’il l’envisage sérieusement ou s’il n’y voit qu’une tactique de négociations. Et malheureusement, chaque entreprise canadienne qui investira chez lui plutôt qu’ici contribuera à lui donner raison.

La prochaine série de négociations débute la semaine prochaine à Montréal. Espérons qu’elle amènera des développements concrets qui permettront, enfin, de réduire un peu le niveau d’incertitude.

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