Stephen Hawking 

Un esprit en lévitation

La paralysie emprisonnait son corps, mais son intelligence supérieure a réinventé l’univers.

Pour être débarrassé de son fauteuil, il lui avait fallu un vol parabolique ! Atteint d’une sclérose latérale amyotrophique, Stephen Hawking ne pouvait plus marcher. Ni parler. Ni écrire. Et ne communiquait qu’avec le mouvement de ses yeux. Mais il a gardé le plus longtemps possible son sourire car, depuis l’âge de 23 ans, il se considérait en sursis. Lorsque la maladie lui est diagnostiquée, à 21 ans, on lui donne deux ans à vivre. Scientifique, il sait que l’erreur est humaine. Il aura eu le temps de révolutionner la compréhension des trous noirs et d’écrire Une brève histoire du temps, pour expliquer l’incompréhensible, de se marier et d’avoir trois enfants. Signe du ciel, il avait pris à Cambridge la succession d’un certain Newton… Stephen Hawking, superstar de l’astrophysique, mort le 14 mars à 76 ans, était convaincu que l’homme devrait un jour quitter sa planète pour en coloniser de nouvelles. On aimerait croire qu’il a simplement pris les devants.

C’est sous les lambris cossus de la Royal Society de Londres que Stephen Hawking fit parler de lui pour la première fois. Il avait 21 ans. À la tribune, ce jour-là, le distingué Fred Hoyle, sommité de la physique, expliquait pourquoi l’Univers avait toujours existé. Personne ne pipait mot quand, venue du fond de la salle, s’éleva une voix affirmée sortie d’un corps frêle : « Vous vous trompez. » Stupéfait, Hoyle condescendit à descendre de son Olympe pour répondre à l’impudent : « Ah oui, jeune homme. Et pourquoi donc ? – Parce que je l’ai calculé », lui répondit Hawking.

À cet instant, le binoclard insolent n’avait plus, en principe, que deux ans à vivre. Ce n’était pas la raison de son effronterie. Les 55 années à suivre allaient le prouver. Stephen Hawking avait la faculté farouche de refuser les évidences et d’expliquer pourquoi. C’était là son génie.

Ses copains de classe l’avaient surnommé « Einstein », mais ses études n’avaient rien d’exceptionnel. Il était un de ces surdoués qui traversent les cours en regardant les nuages. Sauf que lui cherchait déjà à comprendre le ciel. Le diagnostic de sa maladie, la sclérose latérale amyotrophique (SLA), a tout changé. Sous le choc, il se cloître plusieurs semaines, écoute du Wagner et réfléchit au sens à donner à cette vie qui s’en va à 22 ans. Au sortir de cet isolement, sa décision est prise. Il va se lancer dans une quête qu’aucun homme n’a encore réussie. Pas même le grand Albert Einstein. Appréhender la signification de TOUT. « Mon but était simple : la compréhension totale de l’Univers. Pourquoi il est comme il est. Et pourquoi, finalement, il existe. »

Sans explication médicale, la maladie ralentit sa course. Il passe le cap fatidique des deux ans mais est tout de même contraint à s’installer dans une chaise roulante, qu’il ne quittera plus.

Plus tard, devenu le « grand » Stephen Hawking, on l’accuse de rouler sur les orteils des… casse-pieds. « Une rumeur malveillante », répondait-il quand il pouvait encore esquisser un sourire sur son visage déjà marqué par la paralysie, « et je roulerai sur les pieds de quiconque la propagera »…

Moment de gloire

Son moment « eurêka » arrive en 1974, avec la publication d’un article intitulé Explosions des trous noirs ? C’est ce point d’interrogation qui lui aurait valu le prix Nobel si sa théorie avait pu être vérifiée. Son papier éblouit la communauté scientifique internationale par son audace. L’équation, immédiatement baptisée « Radiations de Hawking », fait de lui une célébrité. Bien plus tard, il demandera à ce qu’elle soit inscrite sur sa tombe. 

Que dit-elle pour les profanes ? En faisant (très) simple, elle connecte la physique quantique (l’infiniment petit) avec la théorie générale de la relativité (l’infiniment grand) en postulant que les trous noirs, dont rien ne peut sortir en raison d’une force gravitationnelle infinie, « ne sont pas aussi noirs que ça ». Et que des informations peuvent s’en échapper. Plus passionnant pour le grand public, ce que cela induit : l’Univers pourrait avoir été créé au fond d’un trou noir, à son point de singularité, là où toutes les lois de la physique s’effondrent. Pour les astrophysiciens du monde entier, c’est du grain à moudre pendant des dizaines d’années.

Dans les mois qui suivent, il est admis à la Royal Society de Londres, là même où il avait publiquement apostrophé le théoricien à sa tribune. Il a 32 ans. Dès lors, sa quête pour comprendre l’Univers dans sa globalité ne semble plus aussi illusoire. En théorie… Car la maladie gagne du terrain. Pour un physicien qui passe ses journées à griffonner des équations, ne plus pouvoir écrire, ou avec une extrême difficulté, rend la tâche insurmontable. Un homme normal aurait abdiqué. Pas Hawking, qui invente sa propre méthode. Puisqu’il ne peut plus marcher vers un grand tableau noir pour y inscrire ses équations, ni vérifier des résultats algébriques sur du papier, il va raisonner de manière géométrique, appréhendant les chiffres et les propriétés… comme des objets flottants à l’intérieur de son cerveau.

L’Univers est né il y a 13,8 milliards d’années. En percer le mystère prend forcément du temps. Stephen Hawking n’en a pas beaucoup. Sa longévité est déjà un miracle. Qui menace de s’interrompre en 1985, à Genève, quand il est frappé d’une violente pneumonie et doit être placé sous assistance respiratoire. Seuls quelques initiés parvenaient encore à comprendre son élocution. Désormais, sa voix sera celle d’une machine.

Un livre pour le grand public

C’est au moment où il perd la capacité d’écrire et l’usage de la parole qu’il choisit de rédiger un livre pour le grand public. Afin de laisser quelques droits d’auteur à sa femme, Jane, et à leurs trois enfants. À l’aide d’un ordinateur, qu’il commande par la bouche grâce à une sorte de « stylo », il écrit, ou plutôt il égrène, des lettres puis des mots et enfin des phrases. À peine une par minute… entre ses cours à la Royal Society et ses recherches fondamentales. Ainsi naît  Une brève histoire du temps. Un ouvrage de vulgarisation (toute relative) de l’histoire de l’Univers. 

Quand l’éditeur s’aperçoit, quelques jours après la sortie, qu’une photo du livre a été imprimée à l’envers, il décide bien évidemment de rapatrier tous les exemplaires. À sa totale stupéfaction, ils sont déjà tous vendus ! Un « phénomène » de librairie est en marche. Les mots de Hawking sont désormais comptés. Il va en user avec soin, ciselant ses phrases avec précision et l’humour tout droit sorti d’un cerveau au QI stratosphérique. Il aura cette modeste formule : « Personne ne peut résister à l’idée d’un génie handicapé. »

Stephen Hawking est maintenant le scientifique le plus populaire depuis Einstein. Il a d’innombrables admirateurs, même si ses millions de lecteurs ne finiront jamais son ouvrage. Une étude, menée bien plus tard par Amazon sur ses tablettes Kindle, constatera que les gens abandonnent après 6,6 % du livre.

Le papillon est prisonnier de son scaphandre, mais sa gloire s’envole tout autour du globe. Conférences, honneurs, apparitions télévisées, Hawking est devenu un oracle. Il incarne l’intelligence dans sa forme la plus pure. Sa parole est devenue incontournable. Et si le public l’écoute, au-delà de sa stature, c’est sûrement parce qu’il saisit intuitivement que Hawking a semé des graines pour percer des mystères « à venir ». Pas seulement pour expliquer l’Univers tel qu’il avait été et comment il fonctionne actuellement.

Le Nelson Mandela des étoiles

Il est devenu le Nelson Mandela des étoiles. Dans son bureau de l’Université de Cambridge, le ronronnement lancinant de la machinerie le maintenant en vie accueille les visiteurs subjugués. « Je ne suis jamais qu’à une panne de ventilateur de la catastrophe », plaisante-t-il pour les mettre à l’aise. Ces dernières années, il s’était avancé sur une foule de sujets, et pas des moindres. Il avait ainsi zappé Dieu dans l’origine de l’Univers, suggéré que rencontrer des extraterrestres ne serait certainement pas une bonne idée, donné un calendrier au-delà duquel le ticket de l’humanité ne serait plus valable (1000 ans) et averti que l’intelligence artificielle pourrait être la dernière invention de l’homme.

Ses ultimes travaux, achevés 15 jours avant sa mort, prouvent qu’il n’avait en rien ralenti sa quête et touchait peut-être au but. Hawking a élaboré les mathématiques qui pourraient permettre à un algorithme, installé sur le détecteur d’une sonde, de détecter les traces de ce qu’il croyait avec obstination : notre Univers n’est qu’un parmi une infinité d’autres. C’est la théorie des multi-univers. À un comique anglais lui demandant s’il en existait un dans lequel il serait forcément plus intelligent que lui, Hawking avait répondu : « Tout à fait. Et un autre où vous seriez drôle, aussi. » Le monde a perdu beaucoup de points de QI depuis le 14 mars.

Les formules non mathématiques de Hawking

Sur Dieu

« Quand les gens me demandent si Dieu a créé l’Univers, je leur dis que la question même n’a pas de sens. C’est comme demander où est l’extrémité de la Terre : la Terre est une sphère, elle n’a donc pas d’extrémité. La chercher est un exercice vain. » 

Sur les moments « eurêka » de sa carrière

« Une découverte scientifique, ça n’est pas meilleur que le sexe, mais la satisfaction dure plus longtemps. » 

Sur les voyages dans le temps

« Si le voyage dans le temps est possible, où sont les touristes du futur ? » 

Sur la prédestination

« J’ai remarqué que les gens qui croient fortement à la prédestination, et qu’on ne peut rien changer, font quand même attention avant de traverser la rue. » 

Sur l’humanité

« Nous sommes simplement une race avancée de singes sur la planète mineure d’une banale étoile. Mais nous pouvons comprendre l’Univers. Cela fait de nous quelque chose de très spécial. » 

Sur les extraterrestres

« Si des extraterrestres venaient nous rendre visite, le résultat serait similaire à celui de Christophe Colomb arrivant en Amérique. Cela n’a pas particulièrement réussi aux Américains de naissance. Il suffit de nous regarder pour voir comment une forme de vie intelligente peut se développer d’une manière que nous n’aimerions pas rencontrer. » 

Sur la célébrité

« L’inconvénient, c’est que je ne peux aller nulle part sans être reconnu. Cela ne suffit pas de porter des lunettes noires et une perruque. La chaise me trahit toujours. » 

Sur sa maladie

« Mes attentes ont été réduites à zéro quand j’avais 21 ans. Tout, depuis, a été du bonus. » 

Sur l’intelligence

« J’ai toujours considéré l’intelligence humaine comme surestimée. Il n’est pas certain que cela soit une valeur de survie sur le long terme. »

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