Crise au Burundi

« J’ai enterré assez d’enfants »

Au Burundi, on l’appelle la maman aux 10 000 enfants. Marguerite Barankitse a recueilli les orphelins de la guerre civile, de 1993 à 2005. Alors que le pays s’enfonce à nouveau dans la violence, « Maggy » craint de devoir « encore réparer les pots cassés ». Elle est de passage au Canada, cette semaine, pour sensibiliser les élus aux « crimes d’État » commis par le régime burundais. La Presse l’a rencontrée.

« Je n’ai jamais vu une chose pareille », tranche Marguerite Barankitse, à propos des violences en cours au Burundi.

Pourtant, l’horreur, elle connaît. La femme de 59 ans, reconnue internationalement pour son œuvre auprès des enfants dans le besoin, énumère les vagues de violences qu’elle a vécues : 1965, 1972, 1988, 1993.

Les massacres de « nonante-trois », comme elle le dit, passé colonial belge oblige, ont marqué le début d’une guerre civile qui a duré 12 ans et qui a emporté une soixantaine de membres de sa propre famille.

Cette fois, ce sont des jeunes « brûlés à l’acide », qu’on retrouve au petit matin « dans des sacs en plastique », d’autres « que l’on castre », ou encore une « maman à qui on a enfoncé un morceau de bois dans son sexe avant de la [tuer et de la] jeter dans la rue ».

Ces violences ont commencé en avril dernier, lors de l’annonce de la candidature du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat jugé par bon nombre d’observateurs contraire à la Constitution et aux accords d’Arusha, qui ont mis fin à la guerre civile.

C’est la brutalité avec laquelle les manifestations ont été réprimées qui a amené cette femme « apolitique » à grossir les rangs de la contestation dès les premiers jours. « Je ne pouvais plus me taire », lâche-t-elle.

« J’ai réagi parce qu’on a tué un enfant de 15 ans. Alors qu’il était agenouillé, les bras en l’air, le policier lui a fracassé la tête avec deux balles. »

— Marguerite Barankitse

La réélection en juillet du président Nkurunziza, lors d’un scrutin que Marguerite Barankitse qualifie de « mascarade », n’a pas mis un terme à la répression.

MENACÉE DE MORT

En prenant position, Maggy est devenue indésirable pour ce président qui l’avait pourtant décorée deux fois et qualifiée de « maman nationale ».

Un mandat d’arrêt a même été lancé contre elle. « Ils ont dit que j’étais insurrectionnelle », raconte-t-elle, mi-outrée, mi-incrédule.

Pendant un mois, elle a été cachée par un ambassadeur pour échapper aux policiers burundais. « Je savais qu’ils allaient me torturer, me tuer. »

Elle a finalement dû se résoudre à fuir le pays, une fuite ironiquement facilitée par le passeport diplomatique qui lui avait été un jour délivré pour « honneur national » par le président Nkurunziza.

Aujourd’hui, elle vit en exil au Rwanda, où elle vient en aide aux réfugiés burundais avec le Haut Commissariat pour les réfugiés des Nations unies (HCR). « Je me suis dit : “Je vais suivre mes enfants” », raconte-t-elle de sa voix douce et chaleureuse.

Plus de 207 000 Burundais ont fui le pays depuis le début de la crise, selon le HCR.

UN « MALADE MENTAL »

Marguerite Barankitse a beaucoup voyagé ces derniers mois pour sensibiliser la communauté internationale aux « crimes d’État » commis par le régime de Pierre Nkurunziza, « un possédé, un malade mental », sous qui « le Burundi n’a jamais été aussi pauvre ».

« On devrait l’amener à [la Cour internationale de justice de] La Haye », s’exclame-t-elle, haussant le ton pour une rare fois durant cet entretien d’une heure.

Elle en veut aussi à la communauté internationale, « qui nous laisse mourir » en tardant à réagir à cette crise qui risque d’« enflammer toute la région des Grands Lacs ».

« Trop, c’est trop, dit-elle. J’ai enterré assez d’enfants. »

Marguerite Barankitse invite les pays qu’elle visite à cesser de « collaborer avec ce régime illégitime et sanguinaire », rappelant que le Canada contribue en matière d’aide internationale au Burundi. « Si on détruit tout, c’est le peuple canadien qui va perdre son argent. »

Elle appelle aussi le Conseil de sécurité des Nations unies à adopter des « sanctions claires contre les criminels qui dirigent ce pays ».

Ce même Conseil a d’ailleurs déclaré la semaine dernière être « vivement préoccupé » par « la montée constante de la violence au Burundi », évoquant des « exécutions extrajudiciaires », des « actes de torture », des « arrestations arbitraires » et des « détentions illégales ».

Malgré la gravité de la crise, Marguerite Barankitse se montre optimiste. « Tous les tyrans finissent par tomber », dit-elle. « Nous allons rentrer. »

CHRONOLOGIE DE LA CRISE BURUNDAISE

26 AVRIL

Début des manifestations au lendemain de l’annonce de la candidature de Pierre Nkurunziza à un troisième mandat.

13 MAI

Une tentative de coup d’État échoue, des médias indépendants sont saccagés.

23 MAI

Assassinat du dirigeant d’un parti d’opposition, Zedi Feruzi.

24 JUILLET

Le président Pierre Nkurunziza est réélu au terme d’un scrutin contesté.

2 AOÛT

Assassinat du général Adolphe Nshimirimana, considéré comme le numéro 2 du régime.

3 AOÛT

Tentative d’assassinat contre le célèbre militant des droits de la personne Pierre Claver Mbonimpa.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.