Chronique

Robuchon et les responsabilités de Loto-Québec

Êtes-vous allé manger chez Joël Robuchon au Casino de Montréal ?

Moi, oui. C’est un restaurant où la cuisine est exceptionnelle et qui apporte quelque chose de nouveau à Montréal, une excellence et un raffinement classique inégalé.

Est-ce que faire venir ce chef et une succursale de son concept éprouvé dans notre métropole était le genre de projet qui méritait des investissements massifs de notre argent public ?

Ça, c’est une autre question.

Parce qu’on parle d’une somme très importante. Loto-Québec refuse de confirmer quoi que ce soit. Mais actuellement, entre les sorties en chambre du Parti québécois et de la Coalition avenir Québec, outrés qu’un tel contrat ait été accordé sans appel d’offres, sans que les chefs d’ici n’aient la chance de présenter leurs propositions, le chiffre qui circule est de 11 millions. Pour rénover les lieux et installer L’Atelier.

Le Casino de Montréal dit que c’est « moins élevé » que ça, mais le ministre des Finances Carlos Leitão, interrogé à l’Assemblée nationale à cet égard, ne l’a pas démenti. Donc, de toute évidence, on n’est pas loin du compte.

Imaginez quel genre de restaurant on aurait pu avoir si on avait donné 11 millions à Dyan Solomon ? À son restaurant toujours bondé, Olive + Gourmando, j’ai déjà croisé les vedettes Susan Sarandon, Ethan Hawke, Kirsten Dunst… Ça, c’est du glamour international, et attiré avec de simples sandwichs !

Mais parlons de restauration haut de gamme. Imaginez si on avait confié le contrat, et le budget, à cette valeur totalement sûre qu’est Costas Spiliadis, fondateur de Milos, avenue du Parc. C’est là que tous les grands noms de passage à Montréal s’arrêtent, de Mick Jagger à Sophia Loren en passant par Johnny Depp ou Puff Daddy. Personne ne dira que ce gars-là n’a pas les qualifications pour relever le défi du Casino. Il remplit son restaurant en vendant à gros prix des repas simples, mais parfaits. Et toute la clientèle bien nantie montréalaise et de passage adore.

Évidemment, on aurait pu aussi aller chercher Normand Laprise et Christine Lamarche, le duo du Toqué !, ou David McMillan, Fred Morin et Marc-Olivier Frappier, piliers de Joe Beef et compagnie, des restaurants de haut calibre qui font déjà des miracles avec leurs moyens. Martin Picard et Marc Beaudin ? Je n’ose m’imaginer la quantité d’acteurs internationaux que le chef et l’homme d’affaires qui ont créé le Pied de cochon auraient séduits avec une telle enveloppe.

Graziella Battista, la plus élégante des restauratrices d’origine italienne, plus classique, aurait sûrement aussi fait des merveilles.

Tous des gens d’expérience, qui ont fait leurs preuves, capables de gérer un restaurant haut de gamme à grand débit avec vins chers et clientèle avertie ou prête à dépenser.

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Mais le Casino a choisi, sans faire d’appel d’offres, de donner le contrat à M. Robuchon, une star, une valeur ultra-sûre du monde des casinos, puisque parmi les 12 villes où ce chef le plus étoilé du monde compte des établissements, il y a Las Vegas, Monaco, Singapour et Macao. Et comme à Montréal, ces restaurants s’abreuvent de la clientèle du jeu.

Du strict point de vue du gestionnaire, ce choix se défend. Un Atelier, c’est une marque validée, une machine rodée, un pilote gagnant.

Ce qui coince, toutefois, c’est qu’on est au Casino. Et le Casino est chapeauté par Loto-Québec.

On parle donc d’un monopole d’État, qui n’a pas ce privilège de fonctionner dans un univers sans concurrence – contrairement aux restaurateurs québécois ! – pour rien.

Il l’a parce que quelque part, le législateur, donc notre institution démocratique, a trouvé nécessaire l’idée de garder un contrôle sur ce secteur, pour le bien de la collectivité.

D’ailleurs, peut-on lire sur le site de la société, la mission de Loto-Québec, qui chapeaute la Société des casinos, est notamment de « gérer l’offre de jeux de hasard et d’argent de façon efficiente et responsable en favorisant l’ordre, la mesure et l’intérêt de la collectivité québécoise ». Sa vision ? « Proposer un divertissement de choix aux Québécois grâce à une offre attrayante, novatrice et compétitive… »

En outre, sur le site de la Société des casinos du Québec, on lit que celle-ci « accorde une importance capitale à la qualité du divertissement et de la restauration au sein de ses établissements. L’équipe de ce secteur, dont les membres sont sélectionnés parmi les diplômés de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), compte des chefs et des sommeliers de grande renommée ».

Donc, le Casino reconnaît sa responsabilité par rapport à la collectivité, incluant la nécessité d’embaucher les diplômés de la grande école publique québécoise de cuisine et de gestion.

Où exactement s’inscrit, dans tout cela, le choix d’acheter à grands frais et sans la moindre transparence un concept à succès français ?

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Le problème dans cette histoire, ce n’est pas la venue à Montréal de Robuchon, et ce n’est certainement pas le travail exceptionnel que fait l’équipe en place. Le problème, c’est que le Casino n’a pas rempli ses responsabilités par rapport à la collectivité. De la même façon que Loto-Québec n’honore pas la tâche qu’on lui a confié d’encadrer, de protéger la société dans le dossier des loteries vidéo.

Le problème, c’est que Loto-Québec, comme la Société des alcools, est une boîte d’État bourrée, dans sa mission autant que dans ses actions quotidiennes, de contradictions et de paradoxes que personne au gouvernement n’a le courage de mettre sur la table.

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