Santé mentale

Maman est très fatiguée

La première fois que Marie-Claude* a senti qu’elle sombrait dans une fatigue incontrôlable, elle a poussé la machine au maximum, se convainquant que c’était une mauvaise passe.

« Je partais travailler le matin, et à midi, je n’étais plus capable de faire ma journée, raconte la travailleuse sociale de 39 ans. Je n’arrivais plus à me concentrer, j’accumulais des retards dans mes échéanciers. Comme j’ai tardé à aller chercher de l’aide, la pente a été plus raide à remonter. »

À l’époque, Marie-Claude venait de vivre une séparation et vivait seule avec ses filles de 3 et 6 ans. « Lors de ce premier épisode de dépression, j’ai reçu le diagnostic d’anxiété, ce qui m’a fait comprendre l’origine de mes maux de ventre, de mes crises, de ma perte de poids. »

À l’aide d’antidépresseurs, de psychothérapie et d’activité physique, Marie-Claude remontait peu à peu la pente.

« L’arrêt de travail, ce n’est pas des vacances. On reste à la maison alors qu’on n’est pas censé y être. Ça a été long avant que j’accepte de ne rien faire de mes journées, avant que mon corps comprenne qu’il devait se reposer. »

— Marie-Claude

La dépression demeure un mystère à bien des égards, explique le Dr Denis Audet, médecin omnipraticien. « Nous connaissons ses critères diagnostiques, nous savons qu’elle est d’origine multifactorielle, mais nous ne comprenons pas encore tous ses mécanismes. Toutes les personnes qui traversent des malheurs ne font pas de dépression. Il y a des prédispositions génétiques qui entrent en ligne de compte, de même que l’environnement, la gestion du stress et de l’énergie. »

Au bout de quatre mois d’arrêt, Marie-Claude a repris progressivement le travail. « C’était trop tôt. J’étais à peu près à 80 % de mon fonctionnement. Je voulais tellement aller mieux. »

La rechute

Cinq années ont passé et presque du jour au lendemain, les symptômes sont réapparus. « Cette fois, je ne me suis pas laissée m’enfoncer, raconte la travailleuse sociale. J’ai réagi rapidement et je me suis donné le temps de guérir. »

« On peut généralement contrôler, soulager, traiter la dépression jusqu’au rétablissement complet », affirme le Dr Audet, également professeur de clinique au département de médecine familiale et de médecine d’urgence à l’Université Laval. Mais c’est une maladie qui tend à récidiver.

« On estime qu’un épisode de dépression non traitée pourrait durer en moyenne neuf mois. Cependant, la persistance de symptômes résiduels comme de la fatigue ou des problèmes de concentration constitue un fort indicateur du risque de rechute vers des épisodes ultérieurs. »

— Le Dr Denis Audet, omnipraticien

Le deuxième épisode dépressif a agi également comme un révélateur pour Marie-Claude. Comme sa fille qui a eu un diagnostic peu de temps auparavant, elle apprend qu’elle est atteinte du TDAH. « La dépression arrive rarement seule, énonce le Dr Audet. La moitié du temps, elle accompagne un problème de santé préexistant comme les troubles anxieux, le TDAH ou des problèmes de consommation. C’est important d’investiguer et de diagnostiquer, sinon le traitement de la dépression risque de ne pas conduire au résultat escompté. »

Pour Marie-Claude, être mère seule a représenté un défi supplémentaire : « On peut arrêter de travailler, mais on ne peut pas arrêter d’être parent. Mes filles, je ne les ai jamais tassées, que ça aille bien ou non, j’étais là pour elles. »

Accompagner ses enfants

Pour expliquer à ses filles ce qu’elle traversait, la maman a utilisé des mots qu’elles pouvaient comprendre : « Je leur disais : “Maman est très fatiguée.” Comme elles s’inquiétaient, je leur ai dit que je n’allais pas mourir, que j’avais juste besoin de me reposer. Heureusement, j’avais un bon réseau autour de moi pour me soutenir. »

La Dre Claudia Écrement, psychologue, reconnaît qu’il n’est pas toujours nécessaire ou pertinent de tout révéler aux enfants.

« Beaucoup de parents préfèrent que les enfants ne soient pas au courant. Ces parents s’organisent pour compenser afin que les enfants n’en souffrent pas trop. Dans le cas d’une dépression majeure sévère, cependant, la personne est dysfonctionnelle, donc elle peut difficilement le cacher. »

— Claudia Écrement, psychologue

Le maintien de la routine, surtout pour les tout-petits, est important, souligne la docteure en psychologie infantile. Même si c’est un autre membre de la famille qui les prend en main, il aura un effet rassurant et encadrant, souligne-t-elle.

Lorsque Marie-Claude a sombré vers un deuxième épisode dépressif, ses filles de 8 et 11 ans avaient une meilleure idée de ce que traversait leur mère. « Elles comprenaient mieux que j’étais très fatiguée, mais aussi que cela aurait une fin. Elles y voyaient même du positif : maman est plus présente. »

Construire sur de nouvelles bases

Malgré la rudesse de ses épreuves, Marie-Claude reconnaît qu’elles lui ont permis de trouver des explications à ce qu’elle vivait depuis longtemps. « J’ai appris à connaître mes propres limites, à accepter l’aide offerte. J’ai appris à m’organiser autrement. Je ne peux pas changer qui je suis, alors je me dote d’outils pour être au meilleur de moi-même. »

« Il faut être fait fort pour traverser une dépression, souligne le Dr Audet. Les gens ne sont pas responsables de leur bagage génétique. Il y a des stresseurs qui entrent en ligne de compte. Il y a parfois un contexte hormonal sur lequel on n’a pas toujours le contrôle. Ce qui arrive à mes patients pourrait arriver à n’importe qui : des dirigeants d’entreprise, des médecins… Je leur dis : ta responsabilité, ce n’est pas la dépression, c’est de travailler pour t’en sortir, avec différents moyens comme l’activité physique [validée comme traitement de première ligne dans les dépressions légères ou modérées], la psychothérapie et la médication. »

Maintenant que Marie-Claude a recouvré la santé, elle caresse le projet de réaliser avec ses filles un tableau d’images représentant leurs rêves, leurs projets et leurs objectifs. Pour regarder en avant et bâtir sur du solide. « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts », conclut la maman.

* Le prénom a été changé pour préserver l’anonymat.

Des ressources

Fédération des familles et amis de la personne atteinte de maladie mentale : www.ffapamm.com

Revivre, Association québécoise de soutien aux personnes souffrant de troubles anxieux, dépressifs et bipolaires : www.revivre.org

Association québécoise de prévention du suicide : www.aqps.info

Conseils de Claudia Écrement

Quoi demander à un parent dépressif ?

« Idéalement, d’être présent pour la routine des enfants et se reposer entre-temps. D’essayer de maintenir une hygiène de vie. De tenter de prendre des repas aux mêmes heures. Globalement, de maintenir un équilibre et une certaine routine, même si c’est normal que les activités et sorties sociales soient beaucoup réduites. »

Conseils de Claudia Écrement

Quoi ne pas demander à un parent dépressif ?

« De faire ses tâches habituelles comme avant. D’être disponible sur le plan affectif ou dans l’intimité. La personne dépressive est tellement envahie par ses besoins qu’elle peut sembler sans cœur, mais elle n’est pas capable d’en faire plus. Il est important d’expliquer cette réalité aux conjoints et aux enfants en leur disant que tout devrait rentrer dans l’ordre plus tard. »

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