Chronique

Le cadeau de 25 millions d’Aldo

Aldo Bensadoun a étudié en économie à McGill, il y a plusieurs décennies. Et il trouvait alors formidable de voir parsemés sur le campus les noms des personnages ayant choisi d’encourager l’école, de léguer une partie de leur fortune pour favoriser l’avancement du savoir.

Le concept l’allumait. Comme si chaque nom était une pierre dans la construction d’un vaste édifice qui s’appelle la culture, une ville, une communauté. C’est depuis ce temps qu’il se disait qu’un jour, il aimerait lui aussi laisser comme ça un témoignage de son engagement envers la connaissance.

Hier, on a appris que le géant montréalais de la chaussure né en 1939 avait donné 25 millions à McGill pour mettre sur pied une école spéciale pour l’étude de la vente au détail. Il veut que Montréal devienne un centre d’excellence mondial en la matière.

Fou comme idée ? Avec des entreprises comme Couche-Tard ou Aldo, Montréal a déjà une expertise internationalement reconnue, explique Isabelle Bajeux-Besnainou, doyenne et professeure de finance à la faculté de gestion Desautels de McGill. La ville a produit ses détaillants innovateurs. Aldo, fondée en 1972, est présente dans 101 pays, avec 2300 points de vente. Maintenant, explique Aldo Bensadoun en entrevue, donnons-nous d’autres moyens d’avancer nos connaissances en la matière, alors que le monde du détail, en plus, est en train de traverser une révolution technologique où tous les repères sont remis en question.

« C’est très excitant, tout ça, c’est la découverte », dit l’homme d’affaires d’origine marocaine. Il a grandi à Paris, où il a obtenu son bac au lycée Henri-IV avant d’étudier en génie à Cornell – « je n’ai pas vraiment aimé ça » – pour venir terminer ses études à McGill. « Peut-être que moi aussi, maintenant, je vais m’inscrire à des cours. »

Selon lui, l’avenir n’est pas du tout écrit, mais il ne doit pas nous faire peur. L’avenir, surtout, est à ceux qui sont ouverts aux changements.

Ce que veut le fondateur d’Aldo, c’est que la nouvelle École Bensadoun de gestion du commerce au détail ratisse large et qu’elle aille chercher de l’expertise partout pour mieux comprendre l’avenir. 

Neurosciences, architecture, psychologie… L’idée est de comprendre le consommateur, où il est, comment il prend ses décisions, ce qu’il cherche lorsqu’il choisit, quelles sont ses émotions.

Celui qui a participé à la révolution de la « fast fashion » en mettant au point des systèmes de production et de distribution souples et rapides pour des chaussures collées aux tendances de la mode – c’est le H & M ou le Zara du Québec – parle maintenant beaucoup plus de compréhension complexe de l’univers de l’achat, du contact virtuel avec le consommateur.

« Le commerce internet augmente de 15 à 20 % par année, c’est important de bien rejoindre et de bien comprendre ce client-là. » Une femme, un homme, un jeune, un boomer, peu importe, un personnage qui puise ses idées sur Instagram, Facebook, Snapchat… Qui compare les idées et les suggestions venues de partout, qui est sollicité par la pub ciblée, peu importe l’heure du jour et de la nuit. On ne fait que commencer à saisir l’ampleur des changements que ce nouveau paradigme provoquera et McGill et M. Bensadoun veulent que les chercheurs de Montréal aient une longueur d’avance sur ce nouveau terrain.

Mme Bajeux-Besnainou explique que l’école va démarrer rapidement. Dès la rentrée, de nouveaux professeurs seront recrutés et bientôt il y aura une chaire pour un prof d’expérience, une sommité. Il y aura aussi des conférences et beaucoup d’expérimentation concrète. D’ailleurs, on mettra sur pied un laboratoire de vente au détail à l’angle des rues Sherbrooke et McTavish où le public sera bienvenu. Le but de tout cela : expérimenter la vente au détail, de biens ou de services.

Car M. Bensadoun insiste : il n’est pas question de limiter la vente au détail aux secteurs traditionnels et de moderniser des institutions. Quand Uber est apparu, explique-t-il, il arrivait d’un angle mort. « On veut servir les détaillants de la planète », dit l’homme d’affaires. Et découvrir des façons de faire et de penser la vente au détail, là où on ne sait même pas encore qu’on peut aller.

Selon M. Bensadoun, il n’existe actuellement aucune autre école au monde à ce point spécialisée dans la vente au détail et qui offre des programmes de maîtrise et de doctorat. Pour le moment, précise-t-il, seuls deux établissements, Wharton en Pennsylvanie et Oxford au Royaume-Uni, proposent un programme spécialisé en vente au détail, mais avec diplôme de premier cycle uniquement. « Donc, on veut créer. »

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