LIVRE  LES SUPERBES

Qui a peur des femmes qui réussissent ?

Dans Les superbes, Léa Clermont-Dion et Marie Hélène Poitras se demandent pourquoi les femmes qui ont du succès dérangent autant.

On dit souvent que les Québécois ont un problème avec le succès. Et ce serait encore pire quand il se conjugue au féminin, selon Léa Clermont-Dion et Marie Hélène Poitras, auteures du livre Les superbes – Une enquête sur le succès et les femmes, un ouvrage qui regroupe témoignages et réflexions.

Qu’entend-on par succès ? Parle-t-on seulement de succès médiatique ? « Ça ne veut pas dire la même chose pour tout le monde et on a essayé de faire en sorte que cette diversité se reflète dans le livre », affirme Léa Clermont-Dion.

« Oui, on a interviewé des femmes connues comme Mariloup Wolfe, l’avocate Sonia Lebel ou Joanne Liu de Médecins sans frontières, poursuit-elle. Mais on a aussi parlé avec Marie-Christine Lemieux-Couture, une militante et mère monoparentale qui a dû abandonner ses études doctorales pour subvenir aux besoins de sa famille. Et avec Widia Larivière qui nous dit que dans la langue algonquine, le mot “succès” n’existe pas. C’est une notion occidentale qui est plus associée à la reconnaissance personnelle. Bref, notre livre n’est pas homogène, il présente des trajectoires qui s’entrechoquent. »

TROP BELLE POUR ÊTRE CRÉDIBLE

Dans cet ouvrage écrit à quatre mains, les auteures réfléchissent à voix haute sur la réussite des femmes et ce qu’elle suscite de négatif dans leur entourage et dans l’espace public. Des réactions pas toujours positives comme le paternalisme, la jalousie, le sexisme, les agressions verbales ou les commentaires du genre :  « Elle a sûrement couché avec un tel… », et ce, même si « on est en 2016 »…

Il faut dire que les deux jeunes femmes ont elles-mêmes goûté à cette médecine. Que ce soit pour son livre La revanche des moches ou pour son documentaire sur les troubles alimentaires, Beauté fatale, qui lui a valu une lettre ouverte signée par plusieurs dizaines de féministes disant ne pas se reconnaître dans son image trop lisse, Léa Clermont-Dion est souvent la cible de critiques. On la trouve trop « kid Kodak », trop mignonne pour être crédible. Initiatrice de la Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée à l’âge de 17 ans, auteure, documentariste, coanimatrice d’une émission de télé avec Mitsou et étudiante au doctorat, la jeune femme de 25 ans est une performante et elle dérange.

DES FEMMES QUI ÉCOPENT

De son côté, Marie Hélène Poitras, journaliste spécialisée en musique et écrivaine, a dû faire face à la jalousie de certains collègues à la sortie de son roman Griffintown. Invitée à l’émission Tout le monde en parle en avril 2012 – le gros lot pour un auteur qui publie un livre –, elle a subi les commentaires désobligeants de ceux qui estimaient qu’on la « voyait trop ». Elle confie qu’un écrivain lui a écrit une lettre tellement dure qu’en pensant à la sortie d’un prochain roman, l’excitation a cédé la place à l’appréhension. « C’est ce que j’appelle recevoir des flèches au flanc, souligne celle dont le premier roman, Soudain le Minotaure, a remporté le prix Anne-Hébert.

« Ce genre d’attaques, ça nous ralentit, ça nous fait mal alors qu’en principe, sortir un livre, c’est une belle chose. »

— Marie Hélène Poitras, au sujet des critiques qu’elle a affrontées après son passage à Tout le monde en parle en avril 2012

« En gros, on se demande : c’est quoi le problème avec les femmes qui brillent ? ajoute Léa Clermont-Dion. Sommes-nous les seules à qui c’est arrivé ? »

Malheureusement, la réponse à cette question est non. Les exemples de femmes qui écopent lorsqu’elles ont du succès ne manquent pas. Et plusieurs ont accepté de témoigner. De la « gameuse » Miss Harvey, qui connaît un succès mondial, à la chanteuse Béatrice Martin alias Cœur de pirate, en passant par l’ex-première ministre Pauline Marois, l’auteure Fabienne Larouche et l’écrivaine Perrine Leblanc, à qui on a dit qu’elle devait son succès à son apparence, toutes ces femmes ont des anecdotes pas vraiment drôles à raconter.

« On me paterne tout le temps, tout le temps, tout le temps, confie Cœur de pirate dans le livre. En entrevue, il m’arrive régulièrement de me dire : “Wow ! Jamais on ne me poserait cette question si j’étais un gars.” On me dit comment accomplir mon travail, on me traite comme une petite fille. Heille, je fais ce boulot-là depuis presque 10 ans ! »

« Les femmes âgées vivent aussi du paternalisme, souligne quant à elle Louise Arbour. On ne dispose que d’une petite ouverture entre la jeunesse et la vieillesse pour ne pas se faire traiter en mineure ! Ça m’arrive de rencontrer des gens qui n’ont pas le quart de mon parcours et qui ont toutes sortes de conseils à me donner. […] Quand une femme dérange, on la traite de bitch. On en revient à la sexualité. »

« CHECKE TES PRIVILÈGES ! »

« On aimerait que les femmes s’approprient le livre, qu’il leur redonne du pouvoir, souhaite Léa Clermont-Dion qui s’est fait tatouer le mot “superbe” à l’intérieur du poignet lors d’un récent voyage au Viêtnam. Nous, on est ressorties de cette expérience galvanisées. »

Le féminisme blanc et bourgeois n’est pas à la mode ces temps-ci et on reprochera sans doute aux deux auteures de parler de leur point de vue de privilégiées. Elles en sont conscientes. « Peut-être qu’on va nous dire : de quoi tu te plains ? reconnaît Marie Hélène Poitras. Tu publies des livres, tu as un travail, tu as une famille, tu as une maison… Checke tes privilèges ! Sauf qu’en même temps, ce n’est pas parce qu’on dénonce quelque chose qui est invisible, qui n’est ni un féminicide ni un viol, que ça ne doit pas être dit. »

Les superbes – Une enquête sur le succès et les femmes

Léa Clermont-Dion

Marie Hélène Poitras

VLB éditeur

254 pages

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