claude castonguay 1929-2020

Le père de l’assurance maladie, Claude Castonguay, est mort samedi à l’âge de 91 ans. Portrait et hommages.

Claude Castonguay, bâtisseur de nation

Il faut se replonger dans l’atmosphère du Québec de 1960 pour commencer à comprendre le legs de Claude Castonguay. Pas d’assurance maladie. Pas de régime public de retraite. Des services sociaux minimaux. Un accès limité à l’éducation.

Ce qu’on appelait l’État était encore une sorte d’artisanat administratif. Et c’est une poignée de personnes qui a eu la tâche vertigineuse et exaltante de construire un État moderne.

Claude Castonguay, mort samedi, était l’un des derniers représentants de cette génération de « bâtisseurs de la Révolution tranquille ». Profondément engagé dans la modernisation du Québec, dans le progrès social et national.

Il n’était pas, comme son ami d’enfance Claude Morin, haut fonctionnaire. Mais quand est venu le temps de créer une caisse de retraite pour les travailleurs québécois, on a fait appel à ses services. Jean Lesage, au départ, avait naturellement pensé à une firme d’actuaires bien branchée à Toronto. Mais son sous-ministre Claude Morin a plutôt suggéré comme consultant son ami Castonguay, qui se faisait déjà un nom dans les assurances. Au début des années 1960, les Québécois qui étaient actuaires se comptaient sur les doigts de très peu de mains et Lesage se demandait s’il était prudent de faire appel à un inconnu. Il a pris ses renseignements et a fini par penser que c’était son idée.

Claude Castonguay a donc participé à la création de ce qui allait devenir la Régie des rentes du Québec. Il n’est peut-être pas étranger au fait que cette seule caisse hors du régime fédéral soit systématiquement en meilleure santé que le Canada Pension Fund…

Il s’est vite fait un nom, et quand est venu le temps d’étudier la question de l’assurance maladie, c’est lui qu’on a choisi pour présider une « Commission d’enquête sur la santé et le bien-être social ».

On l’oublie, mais ce 9 novembre 1966, c’est sous le gouvernement « conservateur » de l’Union nationale de Daniel Johnson qu’est instituée cette commission dans le but de dessiner un système d’assurance maladie.

« Attendu que la santé des citoyens est d’importance primordiale et que la maladie a sur la société des répercussions considérables… », commence l’arrêté du Conseil exécutif. Le « bien-être social » étant indissociable de la santé, la commission se penchera également sur la question.

Dans les 13 tomes qu’elle va publier en trois ans, le premier s’ouvrant comme il se doit sur une citation du pape Paul VI, la commission dresse un état des lieux du Québec social et s’attaque en détail à tous les enjeux, du nombre de lits jusqu’à l’organisation des professions.

Claude Castonguay ne sera pas là pour signer le dernier volume : il s’est lancé en politique et est élu député de Louis-Hébert – c’est Gérard Nepveu qui le remplace, dans ce qui est devenu la commission Castonguay-Nepveu.

Il est allé en politique pour une chose : mettre en œuvre l’assurance maladie. Longtemps, les gens de la génération de mes parents ont appelé leur carte d’assurance maladie « la castonguette ». Robert Bourassa ne pouvait trouver ministre plus compétent, il avait étudié la question de fond en comble, il avait l’autorité morale et, dirions-nous aujourd’hui, « transpartisane ».

Mais son prestige est tel que lorsque des négociations constitutionnelles sont convoquées par Pierre Elliott Trudeau en 1971 à Victoria, Claude Castonguay fait partie du comité restreint. Ce n’est pas un juriste, c’est un homme de chiffres, mais c’est surtout un homme de dossiers, et là encore, il va s’imposer. Tellement, raconte Claude Morin, que la position du Québec est appelée la proposition Castonguay par les négociateurs fédéraux.

Après trois ans de politique, Claude Castonguay en a assez, il retourne dans le secteur privé. Il n’a pas pour autant délaissé sa passion pour la chose publique. Il sera impliqué dans les discussions constitutionnelles subséquentes. Brian Mulroney le nommera sénateur en 1990, pour l’associer à une sortie de crise constitutionnelle. Il coprésidera momentanément en 1992 une autre commission d’enquête, moins glorieuse celle-là, Castonguay-Dobie, pour tenter de trouver une issue à la crise constitutionnelle. Il quitte le Sénat aussitôt.

Fermement opposé au fédéralisme centralisateur et aux « thèses de Pierre Trudeau », il n’a jamais franchi le Rubicon constitutionnel. Il est resté attaché au régime fédéral même si, pour l’avoir interviewé souvent à cette époque, je sais qu’il traînait une sorte de lassitude politique de fédéraliste exaspéré.

***

Ce qui est remarquable dans son cas, c’est son souci de continuer à participer au débat politique actuel. Jusqu’à cet automne, il écrivait encore des commentaires dans La Presse, à 91 ans, et a presque présenté ses excuses quand il s’est arrêté. L’homme a été passionnément engagé dans la discussion publique jusqu’au bout de ses forces.

Il a appris cet automne qu’il était atteint d’un cancer du foie.

« Il est parti comme il a vécu, m’a dit sa fille Joanne, samedi. Il a tenu le fort jusqu’à la fin. »

Dans ses dossiers, soigneusement rangés, témoins de sa discipline de vétéran de la Marine, on peut trouver, écrits de son écriture claire et fine, le bilan annuel des grands évènements familiaux et publics. Naissances, décès, élections américaines… Il en faisait une lecture pour son clan familial tissé serré, puis rangeait le dossier.

« J’ai lu quelque part le terme “pérenniaux” pour décrire les gens de cette génération qui sont encore ancrés dans le présent, curieux de tout ce qui se passe. Ça le décrit parfaitement », m’a dit Joanne Castonguay.

Car il ne lui suffisait pas d’avoir mis sa griffe sur cet État nouveau, d’être entré dans l’Histoire il y a 50 ans.

Ce qui est tout aussi remarquable, c’est que jusqu’à ce que la lumière s’éteigne dans le fort, il n’était pas satisfait de sa construction ; il a voulu le rénover, l’entretenir, l’améliorer, participer à l’évolution du Québec. Il ne s’est pas mis en retrait pour frotter ses souvenirs.

Il a évolué à ses côtés, et son legs n’en est que plus admirable.

Le « père de l’assurance maladie » s’est éteint

Le « père de l’assurance maladie » et ancien ministre de la Santé Claude Castonguay est mort dans la nuit de vendredi à samedi, à l’âge de 91 ans. Personnage marquant de la société québécoise, il laisse derrière lui un legs important.

« Il est décédé chez lui, dans sa maison, entouré de sa famille. On s’y attendait, il n’était pas bien depuis quelque temps », confie son beau-frère Gaspard Fauteux, qui est le frère de Marie Castonguay, l’épouse du défunt. « La famille va d’abord laisser passer les évènements, ajoute M. Fauteux. Ils ont besoin de soutien et d’amour. »

Claude Castonguay laisse dans le deuil sa femme, mais aussi ses trois enfants, Monique, Joanne et Philippe, ainsi que cinq petits-enfants.

Directeur général du Parti libéral du Québec (PLQ) à l’époque où M. Castonguay était ministre, Ronald Poupart se souvient d’un grand homme. « C’est une tristesse. Sur le plan public, il a fait d’énormes travaux pour aider la société. Ç’a été un pionnier du développement de l’aide aux Québécois en matière de santé », se remémore M. Poupart, en offrant au passage ses plus sincères condoléances à la famille.

« On voyait qu’il adorait la politique, sans nécessairement en avoir fait beaucoup. Il adorait ça, non pas pour la joute parlementaire, mais plutôt pour voir comment la société pouvait évoluer. »

— Ronald Poupart, ancien directeur du PLQ

Présidente du PLQ de 1970 à 1973, Lise Bacon accueille la nouvelle avec chagrin. « Cet homme a fait beaucoup pour les Québécois avec l’assurance maladie. Avant ça, plusieurs s’endettaient pour se faire soigner », dit-elle. « J’ai pensé qu’il se passait quelque chose, il n’y a pas longtemps, quand il a annoncé qu’il n’écrirait plus », ajoute la première femme à avoir occupé les fonctions de vice-premier ministre du Québec.

Collaborateur régulier des pages de La Presse, Claude Castonguay avait en effet annoncé dans un dernier texte, début novembre, qu’il n’y écrirait plus. « Mon âge m’a rattrapé. J’ai perdu une grande partie de mon énergie et mon équilibre est de plus en plus chambranlant. À tel point que je ne me sens plus en mesure de générer l’effort que requiert la rédaction de chroniques périodiques », avait-il expliqué.

Ancien chef de cabinet de Robert Bourassa, John Parisella parle d’une « triste nouvelle ». « C’était un grand Québécois, avec une grande contribution, et un visionnaire. Il a transformé notre vie. On va tous conserver un excellent souvenir de Claude Castonguay, et surtout de la reconnaissance. Il a été engagé toute sa vie, il a toujours gardé un œil ouvert, et a toujours été à l’écoute des grands enjeux de la société », souligne-t-il.

Une longue et grande carrière

Né le 8 mai 1929 dans la capitale nationale, M. Castonguay a fait ses études à l’Académie de Québec de 1944 à 1948, puis à la faculté des sciences de l’Université Laval, de 1948 à 1950. Il a aussi étudié à la faculté des sciences actuarielles de l’Université du Manitoba, de 1950 à 1951.

Au tournant des années 50, il a été chargé de cours, puis professeur agrégé au département d’actuariat de l’Université Laval, en plus d’occuper un poste d’actuaire associé à l’Industrielle. Il a aussi cofondé Castonguay, Lemay et Associés, une entreprise qui a depuis été renommée Sobeco, et a notamment été président de l’Institut canadien des actuaires, en 1978.

Il a été élu en 1970 comme député de Louis-Hébert sous la bannière du Parti libéral, puis a été nommé ministre de la Santé dans le gouvernement de Robert Bourassa, poste qu’il a occupé de mai à décembre 1970. L’un de ses grands projets aura été la création du régime d’assurance maladie, mais aussi du régime de rentes et du régime d’assurance médicaments du Québec. Il a ensuite occupé le poste de ministre des Affaires sociales jusqu’en 1973.

En 1966, M. Castonguay avait été mandaté par le gouvernement de Daniel Johnson, dans la foulée de la Révolution tranquille, pour présider une vaste commission d’enquête sur la situation des soins de santé et des services sociaux.

Dans son rapport, M. Castonguay avait recommandé la création d’une politique d’assurance maladie et la mise sur pied d’un réseau de cliniques de services sociaux.

Aujourd’hui, celles-ci sont devenues les centres locaux de services communautaires (CLSC), bien connus du grand public. Plus récemment, en 2007 et 2008, il a aussi présidé un groupe de travail sur le financement du réseau de la santé.

Outre ces faits marquants, Claude Castonguay a accumulé les engagements politiques et sociaux. Membre de plusieurs conseils d’administration, dont celui de la Caisse de dépôt et placement du Québec, il a aussi été chancelier de l’Université de Montréal, puis président de la Fondation Wilbrod-Bhérer du Centre hospitalier de l’Université Laval, entre autres fonctions.

Des années 1970 aux années 2000, le politicien s’est aussi vu décerner plusieurs doctorats honorifiques, entre autres par l’Université Bishop’s, l’Université McGill et l’Université Laval. En 1991, il a été nommé officier de l’Ordre national du Québec, puis grand officier en 2014. Son livre Mémoires d’un révolutionnaire tranquille, publié en 2005 aux Éditions du Boréal, retrace les jalons de sa vie personnelle et professionnelle, en plus de faire état des grands dossiers dont il s’est occupé au cours de sa carrière.

Claude Castonguay 1929-2020

Le monde politique salue un « visionnaire »

La nouvelle du décès du « père de l’assurance maladie », Claude Castonguay, a suscité bien des réactions du monde politique québécois et canadien sur les réseaux sociaux.

— La Presse Canadienne

« Le Québec perd un de ses plus grands visionnaires. Claude Castonguay laisse derrière lui un héritage immense. Toute sa vie, il aura contribué à renforcer la qualité et l’efficacité de notre système de santé. J’offre toutes mes condoléances à sa famille et à ses proches. »

— François Legault, premier ministre du Québec

« Claude Castonguay était un visionnaire qui se souciait des plus vulnérables. Son legs est immense et les effets de sa contribution à la société québécoise continueront de se faire sentir encore longtemps. Mes plus sincères condoléances à ses proches. »

— Justin Trudeau, premier ministre du Canada

« Le Québec a perdu aujourd’hui le “père de l’assurance maladie”. J’aimerais offrir mes condoléances à ses proches. Je veux aussi souligner son importante contribution pour le Québec. Un visionnaire qui a révolutionné l’accès aux services de santé. »

— Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec

« Je salue l’apport inestimable de Claude Castonguay au Québec moderne. Père de l’assurance maladie, il a contribué à ce que chaque Québécois ait accès à des services de santé, peu importe sa situation économique. Bravo et merci, Monsieur ! »

— Danielle McCann, ministre de l’Enseignement supérieur du Québec et ex-ministre de la Santé

« Mes condoléances à la famille et aux proches de monsieur Claude Castonguay. Connu comme le “père de l’assurance maladie”, son héritage reste immense et a contribué à jeter les bases de notre filet de sécurité sociale. Merci monsieur Castonguay. »

— Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral du Québec

« Claude Castonguay est un grand bâtisseur du Québec. L’héritage qu’il nous laisse est immense, prenons-en soin. Mes condoléances à sa famille et à ses proches. »

— Manon Massé, co-porte-parole de Québec solidaire

« Un des grands artisans de la Révolution tranquille nous a quittés. Claude Castonguay laisse derrière lui un héritage immense. L'accès universel aux soins de santé est l'une des plus grandes réalisations du Québec moderne. J'offre mes plus sincères condoléances à ses proches. »

— Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

« Un révolutionnaire tranquille qui nous quitte. Un artisan talentueux et généreux du Québec moderne. »

— Pierre Duchesne, ancien ministre de l’Enseignement supérieur

« C’est avec tristesse que j’ai appris le décès de Claude Castonguay. Il fut non seulement le “père de l’assurance maladie”, mais également une figure marquante de la politique québécoise. Mes plus sincères condoléances à la famille. »

— Erin O’Toole, chef du Parti conservateur du Canada

« On doit saluer la contribution exceptionnelle de Claude Castonguay dans la construction du #Québec moderne, notamment avec la mise sur pied du système de #santé public. Merci monsieur. »

— Alexandre Boulerice, chef adjoint du Nouveau Parti démocratique

« Si les grands hommes et grandes femmes se définissent plutôt par la réflexion soutenue que les allégeances du moment, Claude Castonguay fut un grand. Un très grand. Il y a quelques semaines encore, il était des réflexions du Québec, avec rigueur et audace. Sa trace sera durable. »

— Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

« Claude Castonguay vient de nous quitter. Le Québec perd un grand homme. Il a contribué à transformer notre société. J’offre mes plus sincères condoléances à sa famille et à ses proches. »

— Gilles Duceppe, ancien chef du Bloc québécois

« La métropole et le Québec tout entier perdent un pionnier et un ténor de la Révolution tranquille au legs immense. Mes pensées accompagnent la famille et les proches de M. Claude Castonguay. »

— Valérie Plante, mairesse de Montréal

« Je me rappellerai toujours le plaisir que j’ai eu à discuter avec M. Castonguay sur notre système de santé. Un grand sage qui, avec son expérience, nous portait vers l’avant. Mes condoléances à sa famille et ses proches, en ces temps si difficiles. »

— La Dre Diane Francœur, présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.