Chronique

Retour au collège

Juin 1977. Assis dans les marches du collège, j’attends que mon père vienne me chercher. Comme tous les jours. Mais aujourd’hui, ce n’est pas pareil. C’est la dernière fois.

Ce n’est pas juste le début des vacances d’été. C’est le début de l’inconnu. Mes années d’études secondaires sont terminées. Cinq ans au collège de Montréal. Cinq ans à vivre avec des centaines de petits gars, en veston et en col roulé. Mon corps a grandi de quelques pouces. Ma pensée s’est élargie de kilomètres de savoir. Et mon cœur s’est rempli de souvenirs.

Je regarde l’endroit, déjà nostalgique. Ce rond-point qui mène à l’entrée principale, avec son arbre géant et son mât bien haut, faisant claquer le fleurdelisé au vent. La façade grise et austère, avec sur le pignon du toit, une croix qui touche le ciel. C’est beau comme le respect. Et puis le grand mur de pierre qui longe la rue Sherbrooke et nous sépare du vrai monde. De la jungle. Là où personne ne te connaît.

Tous mes amis sont déjà dans l’autobus. Il y en a plein que je ne reverrai jamais, mais que je n’oublierai pas. Le Chevrolet Bel Air de Papa roule lentement vers moi. J’ouvre la porte, lance mon sac d’école sur la banquette arrière et m’assois à côté de lui. Mon père me regarde : 

«  C’est fini…

 – C’est fini. »

Tout est dit. L’auto fait le tour de l’entrée et passe le mur. Ma vie n’est plus ici.

Trente-neuf années sont passées, sans jamais que j’y retourne. Et puis vendredi dernier, m’y revoilà. Dehors, rien n’a changé. Le mur de pierre tient bon. L’arbre domine toujours autant. Le drapeau est toujours aussi fier. La croix, toujours solennelle. Et mes yeux qui les regardent n’ont pas changé, non plus. Ils sont toujours aussi impressionnés. J’en ai vu des choses depuis. Mais une maison d’enseignement, ça reste un lieu sacré.

Je m’en viens tourner un petit témoignage, en prévision des célébrations du 250e anniversaire du collège, qui auront lieu l’an prochain. C’est le plus vieux collège de la métropole. Louis Hippolyte La Fontaine, Georges-Étienne Cartier, Louis-Joseph Papineau et Émile Nelligan y ont appris l’histoire avant d’en faire partie.

C’est Valérie Molenaar, responsable des communications, qui m’accueille.

Finis les flash-back. Le présent vient de me rattraper. Une femme au collège de Montréal, en 1977, ça existait seulement dans nos rêves. Qu’on faisait tous les soirs. Elle me conduit au bureau de la directrice générale, Patricia Steben.

Je suis dans l’enceinte du collège, et je ne suis entouré que de femmes : Valérie, Patricia et mon adjointe Camille. Vive le progrès ! Dans mon temps, tout ici était masculin. C’était bien. Mais il manquait quelque chose. C’est bien beau apprendre le français, la géographie et les sciences, mais ce qui nous fait le plus grandir, c’est apprendre l’autre. Et plus l’autre est différent, plus on apprend. Le mélange des genres est le plus beau bouillonnement. Un collège qui vieillit bien, c’est un collège qui vieillit avec son temps. Et l’âme de cette demeure, ce n’est plus celle des Sulpiciens, c’est celle des Patricia et des Valérie. Parce que nous sommes en 2016.

On franchit les longs corridors. J’ai l’impression de faire une fouille archéologique. Je cherche des repères, des vestiges de mon époque. Je reconnais les rampes, les mosaïques sur les murs, quelques poignées, quelques fenêtres. La salle d’étude est complètement transformée, la cafétéria aussi. Autant l’extérieur est raccord avec 1977, autant l’intérieur est un nouvel endroit. C’est parfait. Le vrai changement est intérieur.

Je demande des nouvelles de mon mentor Pierre Dubois avec qui on avait fondé le journal étudiant. Il enseigne toujours ici, avec la même énergie.

On croise quelques élèves zélés en cette journée pédagogique. Ils nous saluent poliment. Je les salue respectueusement. Je suis chez eux maintenant. Elles ont et ils ont dans les yeux le feu de celles et de ceux qui ont la vie devant eux.

Une institution a beau avoir 250 ans ou 500 ans, elle a toujours l’âge des gamins qui l’habitent ; 12, 14, 16 ans, l’âge de tous les espoirs, l’âge de toutes les promesses.

On arrive dans l’ancienne aile des pensionnaires, maintenant c’est une classe, avec les mêmes bureaux que dans les années 70. C’est là que l’on va faire l’entrevue. Le réalisateur est Mathieu Grimard, un ancien de 2005. Un ancien pas aussi ancien que moi !

Je souris. Je suis heureux. Ça me fait du bien de constater que mon vieux collège est lumineux. Qu’il respire l’enthousiasme des gens qui le dirigent, des jeunes qui y vivent.

La caméra tourne. Mathieu me demande de lui raconter quelques souvenirs. J’en ai tellement. De la toute première journée où je n’arrivais pas à ouvrir mon cadenas jusqu’à… aujourd’hui.

Trente-neuf ans plus tard, j’en ai un de plus. Et un beau. Ce retour au collège n’est pas un retour en arrière. Au contraire. C’est un bond en avant. Parce que tout ce que j’ai appris ici avance toujours avec moi. Apprendre, c’est prendre en soi.

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