ÉDITORIAL

Bilingue : un strict minimum

À peine commencée, la course à la direction du Parti conservateur dérape déjà. Le candidat putatif Kevin O’Leary ne parle pas français, refuse de l’apprendre et serait malgré tout comeneur, selon un sondage de Postmedia.

Un aspirant premier ministre devrait pourtant parler les deux langues officielles, au moins assez pour participer à un débat. C’est une évidence. Une simple preuve de décence.

Ce qui est pire que le refus de M. O’Leary, c’est son excuse. En interview avec le Maclean’s, il s’est enfoncé un peu plus dans la mare linguistique. Il vient du Québec, donc il n’a pas besoin de parler français pour en connaître la réalité, a-t-il expliqué. « Le Québec est dans mon sang. Je sais exactement comment le Québec fonctionne. »

S’il le savait, il comprendrait que les Québécois n’apprécient pas particulièrement qu’un cocitoyen refuse d’apprendre leur langue officielle.

Ce test élémentaire de jugement et de culture politique, M. O’Leary vient de l’échouer.

Bien sûr, un chef peut être moins à l’aise dans une des deux langues officielles. C’était par exemple le cas de Stéphane Dion en anglais ou de Stephen Harper en français. Mais ils ont reconnu leur handicap et ils ont essayé de le corriger. M. Harper, Ontarien exilé en Alberta, en est venu à parler un français tout à fait intelligible.

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M. O’Leary ressemble à une version canadienne de Donald Trump, sans la xénophobie. Deux hommes d’affaires devenues vedettes de téléréalité, des loustics dont le besoin d’attention semble insatiable.

Peut-être que sa candidature n’est qu’un coup de publicité. Peut-être que ses propos sur le français ne visaient qu’à provoquer. Mais la question du bilinguisme demeure pertinente, d’autant plus qu’elle survient à un moment important dans l’histoire du nouveau Parti conservateur.

Son premier chef, Stephen Harper, a d’abord essayé de courtiser le Québec. À ses débuts, il a reconnu la nation québécoise et lui a accordé un poste de conseiller à l’UNESCO. Il commençait aussi ses discours officiels en français, même à Washington.

Mais la porte a commencé à se refermer quand, à cause de certaines erreurs, les Québécois lui ont tourné le dos. M. Harper a par la suite nommé quelques unilingues à des postes névralgiques, comme un vérificateur général, un juge de la Cour suprême et un ministre des Affaires étrangères.

C’était une erreur, avait reconnu à mots couverts le chef conservateur. En 2013, comme tous les autres députés fédéraux, il votait en faveur de la loi C-419. Ce projet de loi néo-démocrate exige le bilinguisme de 10 officiers, comme le vérificateur général, le directeur d’Élections Canada et les commissaires au lobbyisme ou à la protection de la vie privée.

Il serait absurde que les conservateurs soient aujourd’hui moins exigeants pour leur futur chef et aspirant premier ministre. À moins de vouloir qu’au Canada, les deux langues officielles deviennent l’anglais et le « traduit ».

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