Véhicules électriques

Petite révolution chez les concessionnaires

Les ventes de véhicules électriques et hybrides rechargeables ont progressé de 134 % au Québec lorsqu’on compare les trois premiers trimestres de 2017 et la période correspondante en 2018, ce qui provoque une petite révolution chez les concessionnaires, forcés d’y adapter leur modèle d’affaires et leurs pratiques. Portrait en cinq thèmes de ce vent de changement qui souffle sur l’industrie. 

Véhicules électriques

Dans les salles d’exposition

« La formation est la première chose », résume Hugo Jeanson, directeur général et copropriétaire de Bourgeois Chevrolet, à Rawdon, un pionnier qui a commencé à se spécialiser dans les voitures électriques en 2013, il y a six ans.

Les constructeurs conçoivent généralement des formations à l’attention du personnel des concessionnaires. Chez Nissan, par exemple, l’« Université Nissan », en ligne, offre des formations spécifiques à différents métiers – techniciens, vendeurs, conseillers au service, contremaîtres d’atelier, directeurs des ventes, directeurs du service, directeurs des pièces et directeurs généraux.

« La meilleure chose, c’est d’utiliser le véhicule », croit toutefois M. Jeanson. 

« Tu peux avoir une très bonne formation au bureau, mais tant que tu n’as pas roulé avec pendant deux semaines, un mois, un an, tu ne peux pas tout expliquer comment elle va réagir à -30 °C, à 30 °C, quand tu montes une côte ou que tu en descends une, etc. »

— Hugo Jeanson, directeur général et copropriétaire de Bourgeois Chevrolet

« La formation, c’est une chose, la pratique, c’en est une autre, estime lui aussi Jean-François Lussier, de Lussier Chevrolet, à Saint-Hyacinthe. Il faut que les gens soient familiers, qu’ils connaissent les trucs pour économiser, pour trouver les endroits où recharger, etc. Il y a une panoplie de choses à connaître et à maîtriser, et ça fait la différence. »

En voiture !

Tout cela a un coût, difficile à chiffrer, reconnaît M. Jeanson, mais qui implique « énormément de temps ». Au départ, il a aussi prêté des voitures électriques au personnel, ce qui a là aussi entraîné des coûts.

« On mettait notre monde dedans. Que ce soit des techniciens, des comptables, des gens de pièces, il fallait qu’ils fassent au moins deux semaines pour bien comprendre. »

En comparaison, les voitures à essence ne sont généralement testées, selon M. Lussier, que « quelques minutes, pour aller dîner, par exemple ».

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Dans l’atelier

Une croyance forte auprès des amateurs de voitures électriques veut qu’elles nécessitent moins d’entretien, ce qui, évidemment, pourrait avoir d’importantes conséquences sur les revenus des concessionnaires. La vérité ne serait pas si claire.

Certes, les concessionnaires devront faire leur deuil des vidanges d’huile, puisque les moteurs électriques n’en utilisent pas.

« Un changement d’huile, ce n’est pas là qu’on fait une grosse marge de profit », rappelle toutefois Yannick Lecours, directeur du marketing et des communications pour Le Prix du Gros, un des plus importants groupes du Québec, qui réunit 22 concessionnaires de 16 marques.

« C’est un travail très normé dans l’industrie, avec sensiblement le même prix partout. C’est difficile d’y ajouter une plus-value. »

— Yannick Lecours, du groupe Le Prix du Gros, à propos des changements d’huile

« On perd l’entretien du moteur, mais il n’y a pas beaucoup d’entretien du moteur dans une année, rappelle pour sa part M. Lussier. Et nos routes étant ce qu’elles sont, il y a de l’usure pareil. »

Il note entre autres une augmentation de la demande pour les services d’alignement, qui ont un impact positif sur la consommation énergétique du véhicule, laquelle est chère aux propriétaires de voitures électriques.

« Est-ce qu’il y a moins d’entretien à faire ? Un peu, mais pas tant que ça, juge-t-il. Est-ce qu’on aura moins d’occasions de voir nos clients ? Ça, oui, c’est possible. On perd une des principales raisons pour lesquelles les gens venaient. Ce sera à nous de les relancer. »

Nouveaux équipements

Pour l’instant, les pertes potentielles de revenus liés au service sont largement compensées par l’arrivée de nouveaux clients attirés par l’électrique, indique Hugo Jeanson.

« À long terme, oui, ça va changer notre modèle d’affaires, mais ce n’est pas d’ici cinq ans, peut-être plus dix ans », croit M. Jeanson.

Les concessionnaires doivent aussi investir quelques milliers de dollars dans de nouveaux équipements pour réparer les voitures électriques, notamment des équipements pour manipuler leurs lourdes piles.

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Dans les investissements

La première obligation d’un concessionnaire qui commence à vendre des voitures électriques est l’installation de bornes.

« Quand les voitures arrivent, elles ne sont pas pleines, il faut pouvoir les bouger dans la cour », explique d’entrée de jeu Jean-François Lussier.

Ça ne s’arrête évidemment pas là.

« Nous, comme groupe, chaque fois qu’on procède à la mise à jour d’une concession, et on vient d’en terminer quatre, on met à jour l’électricité, affirme M. Lecours. Ça inclut notamment l’installation de bornes à l’extérieur et à l’intérieur, ainsi que de prises au plancher dans la salle de démonstration. »

Investir dans les prises et les bornes

À Rawdon, Bourgeois Chevrolet a fait installer pas moins de 25 prises de 220 Volts un peu partout dans ses installations. Une vingtaine de chargeurs portatifs peuvent s’y brancher.

Lussier Chevrolet, lui, a dû faire passer de trois à « sept ou huit » le nombre de bornes.

« À un moment donné, l’entrée électrique ne suffisait plus. Nous avons remplacé tout l’éclairage par du DEL pour que ça tire moins d’énergie du panneau. Ça n’a l’air de rien, mais ça a coûté plus de 10 000 $. »

— Jean-François Lussier, de Lussier Chevrolet

Les bornes devant son garage sont accessibles gratuitement pour tous les visiteurs, peu importe la marque de leur voiture. « On n’est pas racistes », blague-t-il.

Bien sûr, il se pose des questions quand il voit deux Nissan Leaf, comme c’est apparemment régulièrement le cas, les monopoliser durant toute la fin de semaine.

« Ils viennent ici, ils voient mes Volt et mes Bolt, peut-être que pour leur prochaine voiture, ils seront des clients », indique-t-il.

Des prêts plus longs

D’importantes sommes ont aussi dû être consacrées à l’agrandissement des parcs de véhicules démonstrateurs. Un petit « tour du bloc » ne suffit pas pour tester une voiture électrique, contrairement aux voitures à essence.

« Avec un véhicule à essence, les gens roulent cinq ou dix minutes et ça va, dit M. Jeanson. Mais là, on parle d’un vrai changement d’habitudes. »

Les prêts peuvent donc maintenant durer de 24 à 48 heures.

« Il faut que les clients puissent vraiment la voir, démystifier leur propre peur, réaliser qu’il n’y a pas tant d’inconvénients que ça », estime M. Lussier.

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Dans les relations avec les constructeurs

Les difficultés des concessionnaires à obtenir les stocks suffisants pour répondre à la demande ont maintes fois fait la manchette depuis l’arrivée des voitures électriques. Cela a évidemment eu un impact sur les relations entre concessionnaires et constructeurs, mais aussi entre concessionnaires.

« Il y a certainement eu du chamaillage, reconnaît François Lefevre, directeur marketing et produit pour la Nissan Leaf au Canada. Mais dès qu’on met au clair le processus et les normes d’attribution, il y a beaucoup moins de frictions. Ça s’est relativement bien passé. Nous avons structuré cela de façon juste, sinon, ça aurait pu se passer autrement. »

Au Québec, les constructeurs sont maintenant obligés, en raison d’une loi surnommée « Loi zéro émission », d’atteindre certains seuils de ventes de véhicules électriques en proportion de leurs ventes totales. Pour Nissan, 2018 n’a absolument pas posé problème à ce chapitre.

« On a fait 6,73 %, alors que notre obligation était de 3,5 %. »

— François Lefevre, directeur marketing et produit pour la Nissan Leaf au Canada, à propos des seuils de ventes de véhicules électriques 

Les constructeurs qui, comme Nissan, ont surpassé les attentes pourront théoriquement, vers la fin de l’année, vendre leurs « crédits » supplémentaires à des constructeurs qui seraient restés sous le seuil.

Aucun mécanisme ne semble toutefois être en place au sein des constructeurs pour récompenser financièrement leurs concessionnaires les plus verts, qui permettent d’atteindre ou de surpasser le seuil.

Pour l’instant, on se contente de leur accorder de plus larges parts des stocks de véhicules électriques.

« C’est la façon de nous récompenser, approuve M. Lussier. J’aime mieux avoir des véhicules pour les vendre qu’un chèque. »

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Dans les livres comptables

Pour un concessionnaire, est-il plus payant de vendre une voiture à essence ou électrique ? Même si la demande surpasse généralement l’offre, les marges de profit pour les voitures électriques sont, au mieux, équivalentes à celles des voitures à essence.

Selon Hugo Jeanson, les marges réalisées sur les voitures électriques sont inférieures, en pourcentage, à celles réalisées sur des véhicules à essence de même prix. En dollars, elles se comparent donc à celles de véhicules moins chers.

« On fait moins de marge, mais ce sont des véhicules qui sont le fun à vendre, parce que les gens sont contents. »

« C’est dans la moyenne des véhicules que l’on vend en grande quantité. On ne fait pas des coups de circuit quand on vend ça. »

— Jean-François Lussier, de Lussier Chevrolet

« Présentement, elles valent trop cher, juge M. Jeanson. Quand la capacité des batteries va augmenter, pour moins cher, les marges vont pouvoir augmenter et les prix vont diminuer ou se stabiliser. »

Selon lui, ce moment viendra vers 2020 ou 2021.

Par ailleurs, le succès des véhicules électriques reste dépendant des crédits accordés par les gouvernements, selon M. Lussier.

« C’est sûr que si, dans le budget, le rabais du gouvernement était tombé, moi, j’avais un jardin de voitures électriques chez nous. »

En Ontario, l’élimination de la subvention gouvernementale a provoqué une baisse importante des ventes.

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