Chronique

Le précédent de Québec

L’acte de haine et de terreur qui a frappé Québec, dimanche soir, marque un précédent non seulement au pays, mais aussi à l’échelle internationale.

Pas qu’il s’agisse du premier meurtre de masse commis contre un lieu de culte musulman. Au cours des dernières années, des dizaines, sinon des centaines de mosquées ont été ciblées en Irak, au Pakistan ou en Afghanistan.

Mais contrairement aux tragiques évènements de Québec, c’était l’expression d’une violence sectaire opposant musulmans et musulmans.

Ça n’enlève rien à l’horreur de ces attaques, qui ont causé une trop longue série de bains de sang. Mais il s’agissait d’actes d’une nature particulière, que l’on peut difficilement mettre sur le compte de l’islamophobie.

Nous ne sommes pas non plus en présence d’une rare agression islamophobe commise dans un pays occidental. Profanations, graffitis haineux, insultes, crachats, incendies criminels, sans oublier les têtes de cochon placées devant des mosquées : voilà une liste non exhaustive du harcèlement subi par des musulmans en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Suède, ailleurs en Europe et en Amérique du Nord au fil des dernières années. On a même déjà vu des assaillants tirer des coups de feu contre des mosquées.

Cette vague de violence s’est accentuée après l’attentat contre Charlie Hebdo, en janvier 2015. Mais jusqu’à dimanche, ces agressions n’avaient encore jamais fait de victimes humaines, confirme Michaël Privot, directeur du Réseau européen contre le racisme (ENAR).

« Avec un acte de violence armée faisant plusieurs victimes, on vient de passer à une nouvelle étape, le discours de haine se matérialise. »

— Michaël Privot

Établi à Bruxelles, l’ENAR suit l’évolution du racisme en Europe. Joint hier, Michaël Privot a fait valoir que les musulmans établis en Occident avaient été jusqu’à maintenant épargnés par les attaques sanglantes comme celles qui ont, dans le passé, visé la communauté juive. On se souvient de Mohamed Merah, par exemple, qui s’en était pris aux élèves d’une école juive de Toulouse, il y a cinq ans. Ou du fameux attentat de la rue Des Rosiers, à Paris, en 1982.

Selon Michaël Privot, celui qui a tiré sur les fidèles réunis à la mosquée de Québec a fait entrer la vague islamophobe qui sévit en Occident dans une nouvelle catégorie : celle du passage à l’acte. C’est une sorte de saut qualitatif. « On entre dans la violence mortelle à grande échelle… »

Cela explique peut-être pourquoi cette attaque a produit autant de vagues internationales. Jusqu’à la tour Eiffel dont les lumières ont été éteintes, lundi, en guise de soutien aux victimes du carnage. Tous les pays touchés par le racisme politique et le rejet islamophobe se sont sentis concernés : si un tel débordement de violence a pu survenir à Québec, pourquoi ne se produirait-il pas à Paris, à Londres ou à Berlin ? Et, en filigrane : qui sera le prochain ?

Les motivations qui ont animé le meurtrier n’ont pas encore été entièrement élucidées, mais on connaît déjà ses sympathies xénophobes, version Marine Le Pen et Donald Trump.

Or, selon Michaël Privot, c’est « ce discours de stigmatisation qui prépare le terrain pour la violence matérialisée ».

En d’autres mots, de telles attaques ne tombent pas du ciel et ne surviennent pas dans le vide sidéral. « Il y a une corrélation entre les discours politiques haineux et le niveau de violence que l’on observe dans la société », note Michaël Privot.

Allez donc savoir ce qui se passait dans la tête du tireur quand il est entré au Centre culturel islamique avec une arme à feu. Mais devant la montée des mouvements d’extrême droite partout en Occident, devant les discours banalisant la haine et l’exclusion, un tel passage à l’acte n’était qu’une question de temps.

Michaël Privot va jusqu’à se demander si en fermant la porte des États-Unis aux ressortissants de sept pays musulmans, Donald Trump n’a pas fourni au tueur de Québec l’étincelle qui lui manquait pour traduire ses fantasmes de mort en réalité.

Un rappel à l’ordre à tous les hommes et femmes publics, chez nous et ailleurs, qui auraient envie d’enfourcher le cheval de la xénophobie pour gagner en popularité. Les mots de la haine ne sont pas que des mots. Ils portent à conséquence.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.